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Full text of "Remarques sur la littérature épistolaire du Nouveau Testament [microform]"

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REMARQUES 

SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE 

DU NOUVEAU TESTAMENT 



DU MÊME AUTEUR 



Leçon d'ouverture du cours d'Histoire des religions au 

Collège de France (1909), iii-12, 43 pages 1 80 

A propos d'Histoire des religions (1911),! vol. in-12, 324pages. 7 BO 

Choses passées (igiS), i vol. m-12, x-SgS pages 9 fr. 

Mors et Vita, deuxième édition (1917), in-12, 90 pages 3 50 

La Paix des nations et la religion de l'avenir (1919), in-12, 

3i pages 1 50 

De la Discipline intellectuelle (1919), .1 vol. in-12, 192 pages 7 50 

Essai historique sur ie Sacrifice (1920), 1 vol. gr. in-8, 552 pages. 36 fr. 

Les Livres du Nouveau Testament traduits du grec en français 
avec introduction générale et notices (1922), 1 vol. gr. in-8, 

714 pages 36 fr. 

La Religion, deuxième édition (1924), 1 vol. in-12, 406 pages 9 fr. 

La Morale humaine, deuxième édition (1928), 1 vol. in-12, 

3o6 pages 12 fr. 

L'Eglise et la France (1925), 1 vol. in-12, 240 pages 6 fr. 

Religion et humanité (1926), 1 vol. in-12, 266 pages.. 12 fr. 

L'Evangile et l'Eglise, cinquième édition (1929), 1 vol. in-12, 

xxxrv-277 pages 12 fr. 

Les Mystères païens et ie mystère chrétien, deuxième édition 

(igSo), 1 vol. gr. in-8, 352 pages 40 fr. 

Les Actes des Apôtres (1920), 1 vol. gr. in-8, 963 pages 60 fr. 

L'Evangile selon Marc (1912), in-12, 5o3 pages 12 fr. 

L'Evangile selon Luc (1924), 1 vol. gr. in-8, 600 pages 36 fr. 

Le quatrième Evangile, deuxième édition (1921), gr. in-8, 

602 pages 36 fr. 

L'Apocalypse de Jean (1923), 1 vol. gr. in-8, 406 pages 24 fr. 

Mémoires pour servira l'histoire religieuse dé notre temps 

(1931), trois volumes grand in-8, SSg, 664, et 607 pages 175 fr. 

La Religion d'Israël, troisième édition (i933), 1 vol. in-8, 328 pages. 30 fr. 

La Naissance du christianisme (1933), 1 vol. în-8, 452 pages. . . 36 fr. 

Le Mandéisme et les origines chrétiennes (1934), 1 vol. in-8, 

180 pages 15 fr. 

Y a-t-il deux sources de la Religion et de la Morale ? Deuxième 

édition, 1934, l vol. in-12, 224 pages 1 fr . 



ALFRED LOISY 



REMARQUES 

SUR 

LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE 

DU 

NOUVEAU TESTAMENT 



PARIS 
LIBRAIRIE EMILE NOURRY 

J. THIÉBAUD, SUCCESSEUR 

62, RUE DES ÉCOLES, 62 

1935 



LIBRARIES 



1156735 



AVANT-PROPOS 



Le recueil officiel du Nouveau Testament contient qua- 
torze Epîtres nominalement attribuées à l'Apôtrè Paul, et 
sept Epîtres dites catholiques, attribuées à d'autres apô- 
tres : une à Jacques, deux à Pierre, une à Jude et trois à 
Jean. Que toutes ces Epîtres soient sûrement authenti- 
ques, comme le voudrait l'orthodoxie romaine, c'est, au 
point de vue de la critique rationnelle la moins sévère, une 
thèse insoutenable. Dire qu'aucun de ces documents n'est 
authentique, même partiellement, serait une autre exagé- 
ration. D'ailleurs, authentiques ou non, les Epîtres sont 
des monuments de la primitive antiquité chrétienne, et 
qui méritent à ce titre la considération de l'historien. 

A première vue, elles sont tout autre chose que des 
pièces de correspondance ; et, comme les Evangiles, qui, 
pour toutes les orthodoxies, sont des documents authen- 
tiques et historiques relatifs à la vie et à la mort de Jésus, 
sont plutôt, en réalité, d'anciens manuels de l'initiation / 
chrétienne où est enseignée la légende cultuelle du Seigneur | 
Jésus, les Epîtres pourraient bien être aussi, il semble 
qu'elles soient de même, pour une très large part, des mor- 
ceaux de vieille catéchèse, — une catéchèse d'où la polé- 
mique n'est pas absente, — costumées en lettres aposto- 
liques. 

Mais la critique des Epîtres, pour des raisons qu'il serait 
trop long de rechercher ici, et dont quelques-unes pourront 
être soupçonnées, sinon constatées, au cours de la pré- 
sente étude, n'est pas, semble-t-il, aussi avancée relative- 
ment que celle des Evangiles, l'emprise de la tradition 
s'exerçant encore assez fortement en cette matière sur les 






" AVANT-PROPOS 

esprits mêmes de ceux qui cherchent à y voir clair en de- 
hors de tout intérêt confessionnel. Aussi bien la question 
est-elle infiniment complexe, d'autres documents qui tien- 
nent de plus ou moins près, apparemment ou réellement, 
^ux Epîtres canoniques, y étant impliqués : l'Epître de 
Clément aux Corinthiens, les Epîtres dites d'Ignace d'Antio- 
che et la lettre de Polycarpe aux Philippiens. Il y va même, 
en un sens, nous nous en apercevrons bientôt, de toute la 
chronologie du Nouveau Testament. 

Pans un ouvrage récent sut La Naissance du Christia- 
nisme, celui qui écrit ces lignes avait, autant que le per- 
mettait le plan de son livre, indiqué comment il comprend 
ce vaste problème, et pour quels motifs il lui paraît impos- 
sible d'admettre l'authenticité globale de compilations 
aussi hétéroclites que l'Epître aux Romains, les deux 
Epîtres de Paul aux Corinthiens ; de rapporter à la fin du 
premier siècle l'Epître de Clément et de considérer comme 
authentiques les Epîtres dites d'Ignace d'Antioche. Or il 
est advenu que certains ont trouvé ces motifs insuffisam- 
ment développés ; d'autres, qui peut-être lisent un peu 
vite, ont déclaré ne pas les voir, ou encore ont pensé dé- 
couvrir que c'étaient des « impressions personnelles », 
comme si leurs impressions à eux et leurs opinions étaient 
purement objectives et impersonnelles. Nous allons donc 
exposer la nature de ces impressions-là, et montrer, autant 
qu'il nous est possible,^ que nos raisons sont des faits et que 
nos impressions proviennent d'un contact assidu avec la 
réalité. Certes, l'accablement de l'âge et des infirmités ne 
nous permettra pas, cette fois encore, bien que ce soit la 
dernière, de pousser l'examen aussi loin que nous l'au- 
rions souhaité, mais nous espérons établir l'état réel du 
problème sur tous les points les plus importants \ 



1. Il faut, dès ce début, reconnaître à J. Turmel (H. Delafosse)- 
le mérite d'avoir posé la question sur son véritable terrain dans ses 
publications sur Les Ecrits de saint Paul (4 vol. 1926-1928), et dans 
Lettres d'Ignace d'Antioche (1927). Son plaidoyer contre l'authenticité 
des lettres ignatiennes est décisif. En ce qui regarde les Epîtres de 
Paul, son analyse des textes est bien orientée dans l'ensemble, discu- 
table en beaucoup de détails, à raison de sa préoccupation exclusive 



AVANT-PROPOS / 

touchant Marcion. On n'écrit pas ici pour le défendre ni pour le com- 
battre ; on le suit là ou on croit devoir le suivre. L'esprit trop scolas- 
tique de son argumentation, le carîictère systématique et l'outrance 
de certaines conclusions lui ont fait tort dans l'esprit des critiques 
les plus indépendants. Et certes, lui-même ne soupçonne pas com- 
bien ces particularités de son œuvre rendent ardue et délicate, pres- 
que compromettante, la tâche, qu'on a voulu assumer ici, d'extraire 
de ses dernières publications divers éléments qui s'imposent, qui 
devraient s'imposer à l'attention de tous les historions désintéressés. 
Peut-être n'est-il pas superflu de rappeler que, dans mes Livres du 
Nouveau Testament (1922), j'ai signalé comme interpolés : dans I Corin- 
thiens (xiii) le cantique de l'amour ; dans Romains (xiii, 1-7) la note 
sur le respect dû aux pouvoirs établis et (xiii, 8-10) la leçon de la 
charité ; dans I Thessalonieiens la leçon sur la résurrection (iv, 13-v, 
11) et des surcharges rédactionnelles (ii, 13-16, et m, 3-4). 



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REMARQUES 

SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE 

DU NOUVEAU TESTAMENT 



CHAPITRE PREMIER 
Deux théories du Salut. 



Commençons par l'Epître aux Romains, qui a, pour nos 
recherches, l'avantage de présenter nettement distinctes, 
bien qué\kïuelque peu! enchevêtrées, deux théories du salut 
qu'il est malaisé de se figurer comme ayant existé 
simultanément dans le même esprit au moment de leur 
rédaction. 

I 

Après un préambule (i, 1-7) dont nous négligeons les 
surcharges, — aucune Epître n'a de suscription aussi solen- 
nelle, et il est permis de se demander si une bonne partie 
de ce que cette suscription contient en plus de l'adresse et 
de la salutation habituelles ne serait pas de rédaction se- 
condaire \ — nous trouvons (i, 8-17) l'énoncé bien cohé- 
rent d'une thèse qui semble être le thème naturel de l'Epî- 
tre, et dont pourtant le développement ne viendra que 
plus loin : Paul, depuis longtemps, voudrait venir à Rome, 
parce qu'il porte l'Evangile en tous lieux pour procurer à 



1. Notamment ce qui se lit, dans les vv. 3-4, entre les mots : touchant 
son Fils, et : Jésus- Christ, notre Seigneur. 



10 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

tous, Juifs et Gentils, le bienfait de la foi dont vit le juste, 
comme il est écrit (Habacuc, ii, 4). 

La thèse vient seulement dans m, 27-iv \ Là nous 
voyons que le salut moyennant la foi étant pour le païen 
comme pour le juif, celui-ci n'a pas le droit d'affecter une 
supériorité quelconque à l'égard de celui-là ; car c'est la 
même foi qui justifie l'un et l'autre. Et cela n'est pas l'abo- 
lition de la Loi, c'en est la confirmation. L'économie de la 
foi est fondée sur Abraham, lequel était encore incirconcis 
lorsqu'il fut justifié par la foi (iv, 9). 

Car nous disons (d'après Genèse, xv, 6) : 
« Fut imputée à Abraham 
la foi à justice. » 

Il y a là un contresens qui supporte toute l'argumenta- 
tion. Le sens est : la foi d'Abraham lui fut imputée à bonne 
œuvre ; Paul entend « justice » au sens de justification ; 
mais peu importe, il s'agit de son opinion, non de la nôtre. 
Suivons le raisonnement : 

Comment donc fut-elle imputée ? 

Au circoncis, 

ou à l'incirconcis ? 
Pas au circoncis, 

mais à l'incirconcis. 
Et il reçut le signe de la circoncision. 

en sceau de la justice de la foi, 

(justice) acquise dansl'incirconcision, 
Afin d'être le père de tous les croyants incirconcis, 

pour que leur fût imputée la justice, 
Et le père des circoncis, 

de ceux qui ne sont pas circoncis seulement, 
Mais qui suivent les traces de la foi 

qu'eut, incirconcis, notre père Abraham. 

1. Faire abstraction de iv, 15 : « Car la loi produit la colère; mais, 
où il n'est pas de loi il n'est pas non plus de transgression », réflexion 
interpolée, pour l'équilibre, d'après la seconde théorie du salut, la 
théorie mystique, qui sera plus loin analysée. Il en va de même pour 
IV, 25 : « Lequel (Jésus) a été livré pour nos péchés et a été ressuscité 
pour notre justification », queue de phrase qui sert à introduire la 
théorie mystique dont nous venons de parler. 



DEUX THÉORIES DU SALUT 11 

Car ce n'est pas par la Loi que fut la promesse, 

à Abraham et à sa postérité, 

d'être héritier du monde. 
Mais par la justice de la foi, etc. 

De cette thèse, que l'on peut dire eschatologique, et où 
l'on sent vivre l'esprit du christianisme primitif, la suite 
vient seulement au ch. ix, où Paul s'abandonne au senti- 
ment que lui inspire l'incrédulité de la masse Israélite à 
l'égard de l'Evangile : 

Vérité je dis en Christ, je ne mens pas, 

ma conscience me rendant témoignage par l'Esprit saint : 
Que m'est tristesse grande 

et incessant chagrin à mon cœur ; 
Car je voudrais être moi-même au ban du Christ 

pour mes frères, mes parents selon la chair, 
Qui sont Israélites, 

à qui appartiennent la filiation, la gloire, les alliances, 

la législation, le culte, les promesses, 
A qui sont les patriarches 

et dont est le Christ ^. 

Le Paul qui parle ici fait grand cas de tous les biens et 
gloires d'Israël, y compris la Loi ; le Paul de la thèse mys- 
tique tiendra un tout autre langage. Pourtant celui que 
nous entendons a pour l'infidélité de son peuple une expli- 
cation toute trouvée : 

Or ce n'est pas que soit devenue caduque la parole de Dieu ; 
car tous ceux qui sont d'Israël ne sont pas Israël ; , 
ni, pour être postérité d'Abraham, qu'ils soient tous enfants, 

La postérité d'Abraham a été comptée en Isaac, l'enfant 
de la promesse, non pas en Ismaël. Cas parallèle de Jacob 
et d'Esaii, avec le même sens. Le long développement par 

1. L'addition : « selon la chair », répond aux préoccupations d'une 
théologie plus avancée. De même la doxologie : « Il est au-dessus de 
tout, Dieu, béni pour les siècles. Amen. » Les interprètes se demandent 
s'il faut la rapporter à Dieu ou au Christ. Ce qui n'est pas douteux, 
c'est la surcharge. Le plus probable est qu'elle concerne le Christ de 
la gnose mystique dont il sera parlé plus loin. 



12 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

lequel est justifiée la Providence (ix, 14-29), à grand ren- 
fort de textes bibliques, pourrait n'être pas de première 
main ; toutefois il est dans le sens de la thèse, et rien, ce 
semble, n'oblige à le renvoyer à une date tardive, par 
exemple après 150. Le principe de la thèse est bientôt re- 
joint (ix, 30-x, 21) : 

Les Gentils qui ne poursuivaient pas la justice, 

ont atteint la justice, 

la justice qui vient de la foi ; 
Mais Israël, poursuivant une loi de justice, 

à cette loi n'est pas parvenu. 
Pourquoi ? Parce que ce n'est pas par la foi (qu'il l'a recherchée) 

mais par les œuvres. 

C'était écrit {Isaïe, viii, 14 ; xxviii, 16). Israël n'a pas 
vu que le Christ est la fin de la Loi pour la justification de 
tout croyant. Paul réussit à le prouver par la Loi même en 
alléguant un texte du Deutéronome (xxx, 12-14), qu'il 
paraphrase avec assez de subtilité pour en tirer la recom- 
mandation de son Evangile : 

Situ confesses par ta bouche (comme) Seigneur Jésus, 

et que tu croies en ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts^ 
tu seras sauvé. 

Saluons au passage ce symbole primitif de la croyance 
chrétienne ; nous ne le retrouverons pas souvent dans les 
Epîtres. La profession de cette foi est la condition unique 
du salut pour le Juif comme pour le Grec. Le ministère de la 
prédication y est coordonné, comme aussi bien le dit l'Ecri- 
ture, laquelle aussi prédit l'appel aux Gentils et l'endurcis- 
sement d'Israël (Joël m, 5 ; Isaïe lu, 7 ; lui, 1 ; Psaume 
xix, 5 ; Deutéronome xxxii, 21 ; Isaïe lxv, 1-2). Cette foi- 
son de textes et la libre exégèse qui leur est appliquée carac- 
térisent la thèse eschatologique, et l'on avouera que tout 
cela s'accorde au mieux avec les conditions dans lesquelles 
Paul a exercé son ministère. 

Un développement analogue à celui qui vient d'être 
signalé dans le précédent chapitre traite un peu spéculati- 



DEUX THÉORIES DU SALUT 13 

vement la question de savoir si la réprobation d'Israël est 
provisoire ou définitive (xi) :1a réponse,étayée aussi à grand 
renfort de textes, est que la réprobation est provisoire, la 
Providence ayant niénagé l'endurcissement de la majorité 
Israélite pour donner temps à l'accession des païens ; celle-ci 
obtenue, la réconciliation d'Israël se produira. Et l'auteur 
de louer la « profondeur » de la sagesse divine. Notons 
qu'une telle idée devait se produire , assez naturellement, 
— on la trouve de même indiquée dans l'apocalypse synop- 
tique {Marc, XIII, 10, et parallèles). — Mais ici le système 
est, autant dire, fermé. Le caractère secondaire de ce 
morceau apparaît en ce que l'auteur emprunte à la thèse 
mystique ^ l'image de la greffe, par laquelle est figurée l'ini- 
tiation au mystère chrétien {Romains, vi, 5). 

Fait curieux et qui jette un jour singulier sur la compo- 
sition de la prétendue lettre aux Romains, un fragment 
(xv, 8-12), égaré dans la partie morale, semble représenter 
et il représente excellemment la conclusion originale de la 
thèse eschatologique, à quoi s'ajustait le plus naturelle- 
ment du monde la fin normale de la lettre (xv, 14-33) : 

Car je dis que le Christ est devenu ministre de la circoncision, 

— entendons : qu'il a exercé son ministère auprès des 
circoncis ; et une telle assertion, de la part de Paul, mérite 
d'être relevée, — 

pour (montrer) la véracité de Dieu, 
afin de réaliser les promesses (faites) aux patriarches, 
Tandis que les Gentils, pour (sa) miséricorde, glorifient Dieu 
selon qu'il est écrit, etc. 

Suivent quatre textes prophétiques {Psaume xviii, 50 ; 
Deutéronome, xxxii, 43 ; Psaume cvii, 1 ; Isaîe, xi, 10) ^. 
On ne peut pas se dissimuler que les morceaux rejoints 

1. Remarque de Turmel, Les écrjts de s. Paul, I, 64. 

2. Le vœu exprimé dans xv, 13, est une conclusion d'épître, 
comme il s'en trouve plusieurs dans les derniers chapitres de Romains, 
attestant à leur façon les remaniements qui se sont produits dans la 
transmission du texte. 



14 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

de la thèse eschatologique constituent un document homo- 
gène et complet, parfaitement intelhgible, que les cir- 
constances de la transmission, non pas les variations 
subites de l'esprit extraordinairement mobile qu'aurait été 
l'Apôtre Paul, ont disloqué, comme nous le voyons, par 
l'intrusion et l'ajustement de pièces étrangères à ce fonds 
primitif. Mais cette constatation se fera mieux encore par 
l'examen ultérieur des principaux éléments qui ont été 
surajoutés à la lettre authentique. 

Des fragments de la même théorie eschatologique se 
rencontrent dans l'Epître aux Galates, où il est moins fa- 
cile de reconnaître comment ils ont pu en constituer le 
premier fonds. Toutefois l'essentiel de la doctrine est là, en 
connexion avec le rappel des circonstances dans lesquelles 
Paul a porté l'Evangile en Galatie ; et ce point ne laisse 
pas d'avoir son importance. Il va de soi que la base de l'ar- 
gumentation (m, 6-9, 11-12, 14a) est toujours le fameux 
texte (Genèse, xv, 6) : « Abraham crut à Dieu, et cela lui 
fut imputé à justice. » 

Sachez donc que, les hommes de foi, 

ce sont eux les fils d'Abraham. 
L'Ecriture, prévoyant que Dieu justifierait par la foi les- Gentils 

le prédit à Abraham : 

« Seront bénis en toi tous les Gentils » [Genèse, xn, 3 ; xviii, 18). 

Encore un contresens : le texte signifie que les peuples 
envieront le bonheur d'Israël et se le souhaiteront. Mais 
ce qui importe est le sens que Paul y a voulu voir. Ce sens 
est que « les hommes de foi sont bénis avec et dans le 
croyant Abraham ». 

Que par la Loi nul ne soit justifié devant Dieu, c'est évident, 
puisque le juste par la foi vivra {Habacuc, ii, 4). 

Et tout cela, « pour qu'aux Gentils la bénédiction d'Abra- 
ham arrive en Christ Jésus ». Suit une petite dissertation . 
sur la validité de la promesse faite à Abraham quatre cent 
trente ans avant que fût promulguée la Loi (m, 15-18, 
196). Ici Paul insiste sur ce que les promesses ont été faites 



DEUX THÉORIES DU SALUT 15 

à Abraham « et à sa postérité ». Il découvre que cette pos- 
térité, désignée au singulier, ne peut être que le Christ ; or 
tous les croyants étant un dans le Christ (m, 285-29) : 

Si vous êtes au Christ, 

donc postérité d'Abraham vous êtes, 
selon la promesse héritiers ^. 

Après avoir rappelé avec quel empressement dévoué les 
Galates l'ont reçu (iv, 11-20), Paul reprend son argumen- 
tation, évoquant, comme dans Romains, ix, 7, le cas d'Israël 
et d'Isaac (iv, 21-23, 28-31) : 

Dites-moi, vous qui voulez être sous la Loi, 

n'entendez-vous pas la Loi ? 
Car il est écrit qu'Abraham eut deux fils, 

un de la servante, 

et un de la (femme) libre ; 
Mais celui de la servante selon la chair est né, 

celui de la (femme) libre en vertu de la promesse ^... 
Or vous, frères, à la façon d'Isaac 

enfants de la promesse vous êtes. 
Mais, de même qu'alors celui qui était né selon la chair 

persécutait celui (qui était né) selon l'esprit, 

ainsi en est-il encore maintenant. 
Mais que dit l'Ecriture ? 

« Chasse la servante et son fils ; 
Car n'héritera pas le fils de la servante 

avec le fils de la (femme) libre » {Genèse, xxi, 10). 
C'est pourquoi, frères, nous ne sommes pas enfants de la servante,. 

mais de la femme libre. 

1. Des réflexions empruntées à la gnose mystique se remarquent 
dans m, 10, 13, 19 a. Inutile d'insister ici sur la façon dont elles sont 
ajustées à leur contexte, pour faire prévaloir une autre notion de la 
Loi, notion que nous allons voir systématiquement développée dans 
Romains, v-viii. 

2. Le parallèle allégorique des deux femmes, qui figureraient les 
deux alliances, la Synagogue et l'Eglise, le judaïsme et le christia- 
nisme (iv, 24-27), vient en surcharge par rapport au thème des deux 
fils, qui n'appelle en aucune façon ce commentaire ; donc addition 
secondaire, que l'on peut qualifier, si l'on veut, de catholique ; mais 
il est plus malaisé de voir (avec Turmel, IH, 95-96) que le glossateur 
ait eu souci de combattre Marcion. 



16 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Et cela finit par une véhémente exhortation à résipis- 
cence (v, 7-12). 

La réprobation de l'Israël non croyant est envisagée ici 
plus froidem eut que dans Romains ; mais c'est que Paul, 
devant ses convertis de Galatie, n'a pas à se faire valoir 
comme Israélite. 

En rapprochant ce que nous trouvons dans Galates de 
l'exposé plus complet que nous avons trouvé dans Romains^ 
nous obtenons un enseignement cohérent, tout proche de 
ce que la tradition évangélique nous invite à considérer 
comme ayant été l'Evangile primitif : l'admission au règne 
de Dieu moyennant la foi au Christ ressuscité, avec cette 
clause particulière, relative aux Gentils, qu'ils y sont admis 
moyennant la foi seule, sans être astreints à la circoncision 
ni aux observances spéciales de la Loi. C'est cela qu'on 
attendrait ; c'est cela qui existe, sans que l'on soit obligé 
de faire la moindre violence aux textes pour l'établir, sans 
que personne soit autorisé à regarder cette simple cons- 
tatation comme une « impression » toute « personnelle ». 
C'est, comme nous venons de le voir dans l'Epître aux 
Romains, le rajustement de textes qui ne demandent qu'à 
se rejoindre. 

II 

Par rapport à cette thèse que nous avons appelée escha- 
tologique, la thèse que nous avons appelée mystique, parce 
qu'elle est, parce qu'elle affecte elle-même d'être une doc- 
trine de mystère, est comme une grande surcharge, juxta- 
posée, superposée, entremêlée à la thèse fondamentale, par 
manière d'explication supérieure, en telle façon que l'on 
n'imagine pas comment Paul lui-même aurait pu farcir 
d'un commentaire aussi transcendant et aussi contradic- 
toire sa propre théologie. 

Autre thèse, autre méthode, et autre style. La thèse 
eschatologique de Paul s'échafaudait sur des textes bibli- 
ques subtilement interprétés. La thèse mystique a revêtu 
plutôt, dans Romains, la forme d'un système doctrinal, qui 



DEUX THÉORIES DU SALUT 17 

peut bien avoir son point de départ dans certains faits bi- 
bliques, mais qui décrit une économie générale du salut où 
la révélation biblique elle-même ne compte plus de rien. 
Plus question d'Abraham, ni des promesses faites à Israël. 
Il s'agit d'Adam et de la conduite de Dieu envers le genre 
humain. 

Un morceau de suture (Romains, m, 21-24) a;été fort habi- 
lement inséré devant l'exposé de la thège eschatologique, 
comme pour en rectifier d'avance la signification et la por- 
tée. D'autre part, ce point d'attache semblerait vouloir 
rejoindre l'énoncé même de la thèse (dans i, 16-17), comme 
si tout l'entredeux (i, 18-20-iii, 20) n'était, comme il est 
en effet, qu'une surcharge interprétative du conglomérat 
qui résultait originairement des deux thèses, eschatologique 
et mystique, déjà enchevêtrées \ Paul avait écrit (i, 17) : 

La justice de Dieu dans (l'Evangile) se révèle 

par la foi, pour la foi, 
Selon qu'il est écrit : 

« Le juste par la foi vivra » {Habacuc, n, 4). 

Notre mystique glisse cette remarque : 

Or maintenant, sans la Loi, la justice de Dieu est manifestée. 

Notons ce « sans la Loi », qui met la Loi hors de cause, 
comme facteur positif dans l'économie mystique du salut ; 
et ce « sans la Loi » est redressé par une glose : « attestée 
par la Loi et les Prophètes » ; mais de cette addition la 
gnose mystique ne tient aucun compte. On nous dit ce 
qu'est la « justice » : 

Mais justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ 

pour tous les croyants. 
Car il n'est pas de distinction, 
^ parce que tous ont péché 

1. Noter qu'un même artifice de suture (i, 18) rattache l'enclave i, 
18-iv, 20, à I, 16-17, bien que l'on passe à un autre sujet. Il ne s'agit 
pas vraiment, dans tout cela, d'écarts accidentels d'une pensée qui 
n'aurait pas su se conduire. La mentalité de Paul n'est aucunement 
en cause dans cette affaire de combinaisons rédactionnelles. Et la 
mentalité routinière des commentateurs aura mis beaucoup de temps 
à s'en apercevoir. 



18 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

et sont privés de la gloire de Dieu : 
Justifiés pour rien par sa grâce 

moyennant la rédemption qui est en Christ Jésus, 
Que Dieu a institué victime propitiatoire 

— ici une addition : « par la foi en son sang », qui n'est 
pas naturelle et qui coupe la phrase, veut affirmer la 
réalité de la passion du Christ avec effusion de sang, — 

pour la démonstration de sa justice, 
Après permission des péchés advenus dans la tolérance de Dieu, 

— le règne du péché s'étendant depuis Adam jusqu'à la 
mort du Christ, — 

afin qu'il soit, lui, juste, 

et qu'il rende juste celui qui a la foi de Jésus. 

Ainsi est énoncé préliminairement, en bref, le mystère du 
salut, qui est, on peut le reconnaître, dès cette première 
amorce, tout autre chose que la thèse eschatologique tou- 
chant la participation des Gentils à la promesse que Dieu 
fit à Abraham. Le gros de la thèse mystique vient d'un 
seul tenant (v-viii) après le gros de la thèse eschatologique 
(m, 27-iv, 14, 16-24) amené par l'artifice le plus ingénu ^. 
Paul vient de dire (iv, 24) « que la foi est imputée à justice, 
comme dans le cas d'Abraham, à ceux qui croient à celui 
qui a ressuscité des morts Jésus notre Seigneur » ; et le 
rédacteur gnostique continue bravement : 

Lequel a été livré pour nos péchés, 

et a été ressuscité pour notre justification. 

Cela n'a aucun rapport avec le propos de Paul, mais 
fournit une transition quelconque à la doctrine qui va être 
développée dans les chapitres suivants. Du reste, nonobs- 
tant la suture, la transition se fait mal, et l'on pourrait 
se demander si l'exposé du système gnostique n'aurait pas 
existé d'abord indépendamment de l'Epître où on a voulu 
l'insérer. Toujours est-il que la théorie se présente en 

1. Déjà signalé, supr., p. 10, n. 1. 



DEUX THÉORIES DU SALUT 19 

forme d'instruction morale et qu'elle ne discute pas dans 
l'abstrait le problème du salut. Il s'agit encore de justifica- 
tion par la foi, mais ce n'est plus la même justice ni la 
même foi. Selon la thèse eschatologique, la justice s'entend 
du droit à la promesse du royaume faite à Abraham pour 
sa postérité croyante, et la foi même est la confiance dans 
cette promesse sanctionnée par la résurrection de Jésus en 
Christ prêt à venir pour la réalisation du règne. Mainte- 
nant la justice est la justification du péché qui depuis 
Adam règne dans le monde, moyennant une autre foi, qui 
est la confiance en la rédemption effectuée par la mort du 
Christ, victime propitiatoire pour le genre humain. Donc 
deux thèses, qui ne sont pas complémentaires l'une de 
l'autre, mais complètes en elles-mêmes et, au fond, exclu- 
sives l'une de l'autre. 

Notre espérance, lisons-nous d'abord, est fondée sur ce 
que Dieu, lorsque nous étions pécheurs, a témoigné de son 
amour pour nous en ce que le Christ pour nous est mort ; 
réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, nous serons sau- 
vés, rendus nous-mêmes immortels par la participation à 
l'immortalité de ce Fils ressuscité (v, 1-11) i. Et voici 
comment la chose est providentiellement advenue : 

C'est pourquoi, comme par un seul homme 

le péché dans le monde entra, 

et par le péché la mort, 
Et qu'ainsi en tous les hommes 

la mort passa, 

parce que tous ont péché... 

Ici la phrase est coupée par une sorte de parenthèse, 
l'auteur s' étant avisé d'une explication nécessaire touchant 
la place que tient la Loi dans cette économie de salut. La 

1. Sauf abstraction de deux gloses : dans v, 5, « parce que l'amour 
de Dieu», etc., surcharge suggérée à un rédacteur par la croyance 
commune (plutôt que par une influence montaniste) ; v, 9, tout entier, 
qui anticipe la conclusion naturelle formulée dans 10 ; mais le rédac- 
teur a voulu évoquer la perspective du Jugement dernier, conformé- 
ment à la croyance primitive, tout en accentuant la réalité physique 
de la mort du Christ par la mention du sang. Cette préoccupation du 
rédacteur ne prouve pas que l'auteur principal ait été docète. 



20 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

place n'est pas précisément celle que lui reconnaît Paul 
dans la thèse eschatologique : 

Car, jusqu'à la Loi, 

le péché était dans le monde ; 
Pourtant le péché n'est pas imputé, 

s'il n'y a pas de Loi, 

Propos naïfs. Il ne faut pas demander à l'auteur si d'aven- 
ture le genre humain n'aurait pas connu quelque rudiment 
de loi morale avant la législation du Sinaï. Nous devons 
nous borner à constater l'équilibre apparent du système. 

Mais régna la mort, 

depuis Adam jusqu'à Moïse, 
Aussi sur ceux qui n'avaient pas péché 

à la manière de la transgression d'Adam, 

lequel est figure de celui à venir. 

L'Adam à venir est évidemment le Christ ; car le discours 
se poursuit en opposant l'auteur de la perdition et l'auteur 
du salut. Ni la teneur du texte ni le contexte n'autorisent 
à substituer ^ « la postérité » à l'Adam « à venir ». Sans doute, 
on ne s'attend pas à trouver chez Marcion cette idée des 
deux Hommes, têtes de l'humanité, l'Adam pécheur étant 
comme l'antitype de l'Homme sauveur Jésus-Christ. Mais 
c'est que la gnose mystique dont nous tâchons de fixer les 
lignes n'est pas marcionite et qu'elle est antérieure à Mar- 
cion. Celui-ci s'est arrangé comme il a pu de ces deux Adam, 
qu'il trouvait dans le dossier attribué à Paul. 

Mais, ce n'est pas que, comme la faute, 

ainsi soit la grâce. 
Car, si, par la faute d'un seul, 

les autres sont morts, 
A plus forte raison la grâce de Dieu 

et le don par grâce, 
Celle du seul 2 Jésus-Christ, 

sur les autres ont surabondé, 

1. Comme fait Turmel, 1, 118. 

2. Le mot « homme » qu'on lit ici dans le texte, fait surcharge ; 
mais le contexte montre que la glose ne change pas le sens. 



DEUX THÉORIES DU SALUT 21 

Et il n'en va pas, comme pour l'unique pécheur, 

aussi du don. 
Car le jugement (aboutit), d'un seul, 

à condamnation ; 
Mais le don, de nombreux péchés, 

à justification. 
Car si, pour le péché d'un seul, 

la mort a régné par un seul, 
A plus forte raison, ceux qui l'abondance de la grâce 

et du don de la justice reçoivent 
Dans la vie régneront-ils 

par le seul Jésus-Christ. 
Or donc, comme par un seul péché 

sur tous les hommes il y eut condamnation. 
Ainsi, par un seul acte de justice, 

à tous les hommes il y eut justification pour vie, 
Car, comme par la désobéissance d'un seul homme 

pécheurs ont été constitués les autres, 
Ainsi, par l'obéissance d'un seul, 

justes ont été constitués les autres. 

Voilà qui est clair. Il y a deux chefs de l'humanité, Adam 
qui l'a perdue, le Christ qui l'a sauvée. Abraham et les pro- 
messes ne comptent ici de rien. Mais la Loi ? 

La Loi s'est introduite 

pour qu'abondât le péché ; 
Mais où abondait le péché 

a surabondé la grâce, 
Afin, comme a régné le péché par la mort, 

ainsi la grâce règne par la justice 

pour la vie éternelle par Jésus-Christ notre Seigneur. 

On avouera que Paul, dans sa théorie eschatologique, 
comprenait autrement le rôle de la Loi. Mais notre gnosti- 
que s'empresse de combattre une objection que ses dires 
pourraient suggérer à de mauvais esprits : faudra-t-il rester 
dans le péché pour faire abonder la grâce ? A Dieu ne 
plaise ! 

Nous tous qui avons été baptisés en Christ Jésus, 
c'est en sa mort que nous avons été baptisés. 



22 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême 

dans la mort, 
Afin, comme le Christ est ressuscité des morts 

par la gloire du Père, 
Qu'ainsi, aussi nous, 

en nouveauté de vie nous marchions. 
Car, si nous avons été associés symboliquement à sa mort, 

aussi à sa résurrection nous le serons. 

Les dernières lignes sont un peu embarrassées par excès 
de concision; mais le sens est clair. Etant donné le contexte, 
le symbole dont il s'agit ne peut être que le sacrement bap- 
tismal, dans lequel le chrétien est associé, — littéralement, 
enté, — au Christ mourant. Le résultat de cette mort sym- 
bolique, on va nous le dire, c'est la mort au péché ; et la 
conséquence de cette mort, c'est la participation à la vie 
immortelle. Ou plutôt, — car nous ne devons pas oublier 
qu'il s'agit d'un baptême par immersion, — l'immersion 
baptismale, en son premier moment, la disparition du bap- 
tisé sous l'eau, associe mystiquement le croyant à la mort 
du Christ et produit la disparition du péché ; en son second 
moment, la sortie de l'eau, elle associe mystiquement le 
croyant à la résurrection du Christ et lui est un gage de vie 
éternelle. Il est souverainement arbitraire d'introduire ici 
Marcion et le docétisme \ comme si l'auteur avait voulu 
signifier que le croyant s'associait dans le baptême à la 
mort et à la résurrection apparentes du Christ, et n'obtenait 
ainsi qu'une apparence de régénération. Marcion lui-même 
aurait répugné à une pareille fantasmagorie, vu que, no- 
nobstant son docétisme, il professait que le Christ était 
réellement mort et ressuscité. Mais il ne s'agit point ici de 
Marcion. 

Notons que l'auteur, — et ce trait fait honneur à la qua- 
lité de son mysticisme , — insiste beaucoup plus sur les 
conséquences morales de cette participation à la vie divine, 
que sur la garantie qui en résulte par rapport au salut. 

1. Turmel, 1,120, n.l. 



DEUX THÉORIES DU SALUT 23 

Sachant ceci : 

que notre vieil homme a été, avec lui (le Christ), crucifié. 
Pour que fût anéanti le corps du péché, 

de façon que nous ne soyons plus esclaves du péché.... 
Le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus, 

la mort sur lui n'a plus pouvoir. 
Car, pour ce qui est de sa mort, 

au péché il est mort une fois pour toutes ; 
Et pour ce qui est de sa vie, 

il vit à Dieu. 
De même vous, regardez-vous comme morts au péché, 

mais comme vivants à Dieu en Christ Jésus.... 
Le salaire du péché, c'est la mort ; 

mais le don de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ notre 
Car, lorsque nous étions en la chair, [Seigneur. 

les passions des péchés, éveillées par la Loi 
Agissaient en nos membres 

pour fructifier à la mort. 
Mais maintenant nous avons échappé à la Loi, 

morts à ce en quoi nous étions retenus. 
En sorte que nous servons dans la nouveauté de l'esprit 

et non dans la vétusté de la lettre. 

L'auteur s'attarde quelque peu en ses déductions ; mais 
son système, au moins de son point de vue, est en équilibre 
logique, et ce système est suffisamment clair, tant qu'on 
ne cherche pas à y introduire ce qu'il n'a pas songé à y 
mettre : à la trilogie Loi-péché-mort correspond la trilogie 
grâce-sainteté-immortalité. 

Mais ce qui est dit de la Loi aura choqué un lecteur d'es- 
prit moins absolu, qui, pour concilier cette thèse mystique 
avec la thèse eschatologique, a jugé bon de loger ici même 
(vu, 7-25) une petite dissertation sur le conflit intérieur 
qui se produit entre la conscience du devoir et la concupis- 
cence chamelle. Ainsi la question est transposée du terrain 
théologique sur le terrain psychologique, où le rédacteur 
paraît avoir consciemment utilisé la philosophie de son 
temps. Mais ce n'est pas cela qu'on lisait dans la théorie 
eschatologique de Paul ; et moins encore le lisait-on dans la 
théorie gnostique : selon la théorie eschatologique, la Loi 



24 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

de Moïse avait été une révélation de Dieu ; selon la théorie 
gnostique, elle n'avait fait qu'aggraver la condition natu- 
relle de l'homme pécheur en explicitant la conscience du 
péché. Aucun artifice de logique ne. saurait pallier cette 
dissidence, et il est inutile d'insister. Croira qui voudra que 
Paul a voulu exposer deux systèmes contradictoires pour 
se donner ensuite la satisfaction de paraître les accorder. 
Le chapitre viii, si l'on met à part quelques additions 
palliatives \ achève l'exposé de la théorie gnostique : 

Nulle condamnation donc maintenant pour ceux qui sont en Christ 
car 2 la loi de l'esprit, de la vie en Christ Jésus, [Jésus ; 

t'a libéré de la loi du péché et de la mort. 
Car Dieu, ayant envoyé son propre Fils 

dans la ressemblance de la chair du péché 
et à cause du péché, 
A condamné le péché dans la chair, 

afin que la justice de la Loi s'accomplît en nous, 
Qui ne marchons pas selon la chair 
mais selon l'esprit. 

On voudrait 3 que «la ressemblance de la chair du péché » 
signifiât « l'apparence de la chair », et que l'auteur eût en- 
seigné ici le docétisme de Marcion. Mais ressemblance 
(o[xo[co[xa) dit autre chose que simple apparence ; et dans le 
complexe : «ressemblance de la chair du péché », l'accent ne 
porte pas sur « la chair », puisque l'on dit aussitôt que 
« Dieu a condamné le péché dans la chair », dans toute 
chair humaine, c'est-à-dire aussi bien dans la chair du 

1. Dans VIII, 3 : « ce qui était impossible à la Loi, ce à quoi elle 
était impuissante à cause de la chair », glose conçue dans le même 
esprit que l'enclave vu, 7-25 (noter, en passant, que l'enclave, autant 
qu'on en peut juger d'après Tertullien et autres, figurait au moins 
en partie dans le texte de Marcion) ; dans viii, 9 : « si toutefois l'Es- 
prit de Dieu habite en vous », etc., réflexion conçue d'après la doctrine 
commune de l'Eglise; de même viii, 11, où l'on a soin d'introduire 
aussi la résurrection des corps : viii, 14-17, 23, les mots : « nous qui 
avons reçu lés prémices de Fësprit », 26^7 (dans ce dernier passage 
il est fait allusion à la glossolalie, ce qui n'oblige aucunement à ren- 
voyer la glose au temps du montanisme) ; vin, 36, citation du Psaume 
xLiv, 23, qui fait surcharge, en rapport avec un temps de persécu- 
tion. 

2. Place de la première addition signalée dans la note précédente. 

3. Turmel, I, 125, n. 2. 



_'.i 









DEUX THÉORIES DU SALUT 25 

Christ, représentative de toute chair pécheresse ; l'accent 
porte sur le mot « péché », parce que le péché n'était pas 
dans la chair propre du Christ autrement que par repré- 
sentation. L'auteur a dit assez clairement ce qu'il voulait 
dire. Il n'est pas davantage marcionite quand il dit que 
« Dieu a envoyé son Fils » : le Dieu bon de Marcion n'en- 
voie pas son Fils sur la terre ; il prend lui-même en Jésus 
la forme de l'humanité. 

L'auteur paraît s'exalter à mesure qu'approche la fin de 
son poème. 



Si le Christ est en vous, 

le corps est mort à cause du péché, 

mais l'esprit est vie à cause de la justice... 
I Si selon la chair vous vivez, vous devrez mourir ; 

\ mais, si par l'esprit vous mortifiez les actions du corps, vous vivre? 

j Car j'estime que ne sont pas à comparer les souffrances du temps prés( 

I avec la gloire qui doit être manifestée en nous, 

I Car la création impatiente 

I aspire à la manifestation des fils de Dieu ; 

I Car à la vanité la création a été soumise, 

f! non de son gré, mais à cause de celui qui l'a soumise, 

1 Avec espoir qu'aussi la création elle-même 

I sera libérée de l'esclavage de la corruption 

i pour (être associée à) la liberté de la gloire des enfants de Dieu. 

■1 

I Cette association de la nature à l'espérance des croyants 

j n'a rien de marcionite ; car la création du monde visible est 

• attribuée par Marcion à un dieu inférieur ; Marcion ne 

sauve que les âmes des croyants. Ici l'on nous affirme que 
le monde visible sera régénéré quand apparaîtra la gloire 
des enfants de Dieu. Du reste, tout ce passage (viii, 19-22) 
paraît avoir été omis dans le texte de Marcion ^. 



I 1. Témoignage d'Origène, Hom. I, 7, in Ezech. (voir Harnack, Mar- 

I riôn, 106*). Ce que nous lisons ici touchant l'asservissement conscient 

j i et involontaire de la création n'est pas très clair pour nous ; mais, 

1 1 puisqu'il est de toute évidence, par l'ensemble du passage, que Mar- 

i I cion est aussi étranger que possible à ces spéculations, il n'est pas 

i indiqué d'épiloguer sur un seul détail : « à cause de celui qui la 

I soumise », pour évoquer le démiurge de Marcion (Turmel, I, 33-34). 

I Dans la pensée de l'auteur, la création, comme les enfants de Dieu, 



S^ 



26 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Tant qu'ils sont en ce monde, les croyants ne sont a sau- 
vés qu'en espérance » ; mais 

Nous savons qu'à ceux qui aiment Dieu 
tout concourt en bien, 

à ceux qui selon (son) dessein sont appelés, 

Parce que, ceux qu'il a prévus, 

il les a prédestinés conformes à l'image de son Fils 
pour que (celui-ci) soit l'aîné de nombreux frères. 

Or, ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; 
ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés 
ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. 

Que dirons-nous donc à cela? 
Si Dieu est pour nous, 

qui sera contre nous ?... 

Inutile de poursuivre la citation de cette magnifique 
tirade, qui doit être la conclusion de ce que nous avons 
appelé, faute de meilleure désignation, la théorie mystique 
du salut dans l'Epître aux Romains. 

Il n'y fallait pas d'autres morales. Aussi bien certaines 
des moralités qu'on trouve dans les derniers chapitres peu- 
vent être en affinité avec ce que nous venons d'analyser, 
mais semblent secondaires par rapport à cet exposé général. 

Nous avons déjà signalé ^ incidemment le caractère ad- 
ventice de la double diatribe, contre les païens et contre les 
Juifs, qui se lit, dans l'Epître aux Romains (i, I8-111, 20), 
entre le préambule et les deux théories du salut que nous 
venons d'analyser. De cette surcharge il n'est pas malaisé 
de déterminer l'intention. On vient de lire, dans la conclu- 
sion du préambule, que « la justice de Dieu », — sa justice 
bienfaisante, par laquelle s'opère la justification gratifiante 

aspire à une libération finale ; il y a une régénération de l'univers créé. 
D'après ce qui nous a été dit, il n'y a qu'un Dieu, auteur du monde ; 
mais la mort est entrée dans le monde par le péché, et le péché 
d'Adam n'aura pas infecté que le genre humain, il a infecté toute la 
création, comme il a infecté toute chair. Dieu lui-même avait décrété 
cet asservissement en condamnant l'homme à la mort, s'il péchait ; 
il avait pareillement décrété la libération finale par l'envoi de son 
Fils. Le mot « vanité » peut très bien désigner les puissances cosmi- 
ques inférieures que nous retrouverons dans I Corinthiens, 11, 8. 
1. Supr., p. 17, n. 1. 



DEUX THÉORIES DU SALUT 27 

du croyantj — « se révèle de la foi à la foi, selon qu'il est 
écrit, que « le juste par la foi vivra » ; et tout à coup il est 
parlé d'une autre révélation, celle de la colère divine qui se 
manifeste sur les païens par le comble d'immoralité où ils 
sont parvenus pour avoir fermé les yeux au témoignage que 
la nature rend à son auteur. Morceau de violente et mal- 
veillante critique du polythéisme, unique en son genre dans 
nos Epîtres, et que l'on dirait avoir été emprunté à quel- 
que livre juif ; car celui qui l'a utilisé se retourne aussitôt 
contre les Juifs pour leur signifier qu'ils pourraient s'ap- 
pliquer à eux-mêmes tous les reproches qu'ils adressent 
aux païens. Toutefois l'auteur veut bien reconnaître que le 
Juif qui observe la Loi n'est pas repréhensible ; de même le 
païen qui l'observe par honnêteté naturelle ^. La vraie 
circoncision est celle du cœur. Après tout, c'est aux Juifs 
qu'ont été confiés les oracles de Dieu, — Mais, s'ils sont in- 
crédules ? — La justice de Dieu triomphera dans leur pu- 
nition. — Faut-il qu'on fasse du mal pour procurer à Dieu 
l'honneur de sa justice ? — C'est calomnie de nous prêter 
pareille opinion. — Alors quoi ? — Nous avons établi que 
Juifs et Grecs sont tous sous le péché, par conséquent tous 
sont justiciables de Dieu. — Ici s'arrête ce petit jeu de dia- 
logue, où il n'est, certes, pas question de calomnies marcio- 
nites et où il n'y a pas de réplique antimarcionite, mais un 
exercice de polémique assez superficielle, tant contre les 
païens que contre les Juifs, pour laisser entendre que tous 
feraient sagement de se rallier à la foi du Christ. Le conseil 
peut être bon, mais tout cela, eu égard au corps de l'Epître, 
n'est qu'une surcharge très artificielle et un hors-d'œuvre 
plutôt médiocre. 

La doctrine mystique, dans l'Epître aux Galates, ne se 
présente pas comme un commentaire adapté à la doctrine 

1. Ce qu'on lit dans it, 14-15, touchant la conscience du bon païen, 
est une surcharge visible à l'égard de son contexte (le v. 16 rejoint 
le V. 13, par-dessus 14-15, comme le fait remarquer Turmel, I, 107) ; 
toutefois la glose est une explication de 12-13, et qui n'y contredit 
pas. Notons que, d'après Tertullien, Marcion avait omis i, 19-ii, 1 (le 
gros de la diatribe contre les païens, qui lui aura inspiré un juste 
dégoût), II, 2, allégé, se rattachant à i, 18 ; mais il avait retenu une 
bonne partie de ii, 2-iii, 20. 



28 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

eschatologique : c'est que le Paul mystique domine toute 
l'Epître, s'étant constitué l'interprète de la carrière de 
Paul jusqu'au conflit d'Antioche, et c'est comme suite à la 
relation du conflit que vient, en manière d'instruction 
contre la conversion au judaïsme, non un exposé, mais une 
application de la doctrine. Ainsi le fond eschatologique de la 
lettre a été, dans une certaine mesure, éliminé par le rédac- 
teur gnostique. Dans cette hypothèse, qui paraît être la 
réalité, ce n'est pas par la fougue de son esprit que le rédac- 
teur passerait, sans s'en apercevoir, de l'histoire des faits à la 
polémique doctrinale ; l'histoire, comme il la contait, était 
la préface de la polémique. Ainsi le discours à Céphas de- 
vient un discours au lecteur. Judaïser, reprendre les obser- 
vances de la Loi (Galates, ii, 14) \ c'est renier le Christ, qui 
vit dans le vrai croyant (ii, 18-21), et qui l'a complètement 
libéré du joug de la Loi (m, 1, 3-4) ^. Mais bientôt le rédac- 
teur gnostique, laissant subsister le fond eschatologique de 
la lettre, se borne à y insérer des explications qui conti- 
nuent en quelque façon son plaidoyer (m, 10, 13, 19 a, 
26-28 ; IV, 4-5, 7 ; v, 1-6) % l'instruction gnostique se ter- 
minant par une large exhortation morale (v, 13-26 ; vi, 7-8, 
12-16) * dont la conclusion est que « la circoncision n'est 
rien, ni l'incirconcision, mais » ce qui importe est d'être 
« nouvelle créature », au sens où l'entend la gnose de l'Epître 



1. On ne peut guère s'empêcher de reconnaître (avec Turmel, III, 
191, n. 1) dans Galates, ii, 15-17, une sorte de commentaire qui fait 
surcharge et qui a été rédigé dans l'esprit de Bomains. ii, 17-29. 

2. Dans m, 2 et 5, on a un commentaire surajouté, comme dans ii, 
15-17, supr., n. 1. 

3. Noter dans in, 19 &-25, la longue glose adventice sur le rôle de 
la Loi, promulguée par les anges, avec un intermédiaire, et qui aurait 
été une sorte de préparation pédagogique à la venue du Christ. Rien 
n'invite à regarder comme glose dans iv, 4, les mots : « né de femme, 
né sous Loi », la première assertion signifiant que le Christ était 
homme, et non pas la conception virginale, et la seconde : « né sous 
Loi », paraissant exigée par la suite du discours, 5 : « afin de racheter 
ceux qui étaient sous Loi ». Autres gloses dans iv, 6, et 8-10, cette 
dernière dans l'esprit du rédacteur mystique (comparer iv, 3, ce qui 
est dit des « éléments du monde », expression dont le sens mytholo- 
gique est très précis). 

4. La glose de vi, 1-6, qui coupe la moralité gnostique, est relati- 
vement tardive, mais purement disciplinaire et sans couleur doctri- 
nale. 



DEUX THÉORIES DU SALUT 29 

aux Romains. C'est même grâce à cette gnose que l'on peut 
comprendre l'application qui s'en fait dans la polémique 
anti-judaïsante du rédacteur gnostique de l'Epître aux Ga- 
lates. Mais on dirait que ce rédacteur a en vue un réel péril 
de judaïsation par la contagion de quelque mystère judaï- 
sant analogue à celui qui est dénoncé dans l'Epître aux 
Colossiens (ii, 16-23) K Pour la présente étude, l'intérêt de 
l'Epître aux Galates n'est pas dans sa gnose doctrinale, 
identique à celle de l'Epître aux Romains, mais dans la par- 
tie de cette Epître où apparaît la personnalité gnostique de 
Paul, et qui sera examinée dans notre second chapitre. 



III 



Plus délicate est l'appréciation des leçons particulières 
de morale qui ont été logées entre l'exposé des deux thèses 
générales et la conclusion authentique de la lettre aux Ro- 
mains. Il s'agit des chapitres xii-xv, 7 2, paquet de leçons 
morales dont on eût fort bien pu se passer, vu que les deux 
théories du salut portaient leur moralité en elles-mêmes. 
D'ailleurs, Paul n'était pas en cas d'adresser des conseils 
moraux particuliers à une communauté qu'il ne connais- 
sait pas et près de laquelle il avait besoin seulement de se 
ménager un accueil favorable. Mais de telles moralités, — 
au fond, pièces de catéchèse courante, — sont coutumières 
dans les Epîtres : on n'aura pas voulu que l'Epître aux 
Romains en fût dépourvue. Il n'est pas surprenant que ces 
enseignements soient artificiellement groupés et qu'on soit 
fort empêché d'en découvrir l'opportunité par rapport à la 

1. Il serfc question plus loin de ce mystère. Noter de part et d'autre 
la mention des « éléments » (cf. supr., p. 28, n. 3). 

2. Se rappeler que xv, 8-12, est un morceau, le morceau final, de la 
thèse eschatologique ; le caractère de xv, 13 a été indiqué ci-dessus, 
p. 13, n. 2. La monition contre les hérétiques, xvi, 17-18, est tout à fait 
mal placée ; elle est dans le courant gnostique de l'Epître. La doxologie 
finale, xvt, 25-27 (sauf les mots de 26 : « par les Ecritures prophé- 
tiques », addition orthodoxe) est, de l'aveu des critiques, une compo- 
sition marcionite qui a trouvé asile dans les manuscrits de l'Eglise 
Elle n'est d'ailleurs pas primitive dans Marcion, qui avait simplement 
retranché de son texte les chapitres xv-xvi. Cf. Harnack, Marcion, 108'. 



30 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

situation de la communauté romaine aux temps apostoli- 
ques ; ils donnent plutôt, en général, une impression de 
déjà vu et d'adaptation peu naturelle. 

Un premier bloc de conseils moraux (xii) se présente,, 
assez logiquement ordonné, plutôt dans le ton de la 
théorie gnostique, mais comme surajouté, et sans le moin- 
dre esprit de secte ni spéciale originalité. La comparaison 
des fidèles et de leurs fonctions respectives dans la commu- 
nauté, avec les rôles divers des membres dans le corps hu- 
main (xii, 3-8) \ évoque la longue description qui se lit dans 
I Corinthiens, xii ; et la dépendance pourrait bien n'être pas 
du côté de I Corinthiens, qui pourtant n'est pas du tout 
premier âge chrétien. Notre auteur connaît deux genres 
d'enseignement, la prophétie inspirée et le ministère de 
l'instruction catéchétique ou de l'exhortation morale^ 
Point à considérer, puisque l'état normal d'une commu- 
nauté comporterait des prophètes et des ministres ordi- 
naires de l'instruction ; c'est le régime que connaît la 
Didaché, plutôt encore celui que nous révèle le Pasteur 
d'Hermas. Tel conseil (xii, 14) fait écho au Discours sur la 
montagne (Matthieu, v, 14). L'utilisation de la Loi (Deu- 
téronome, xxxii, 35) et des Proverbes (m, 4-7 ; xxv, 22) 
dans XII, 19-20, suffirait à écarter l'idée d'une origine mar- 
cionite. En somme, large instruction conçue dans le meil- 
leur esprit chrétien, mais qui n'est ni très originale ni de 
l'âge primitif. 

D'autre caractère et pas plus ancienne est la recomman- 
dation formelle d'obéir aux pouvoirs établis, parce qu'ils 
viennent de Dieu (xiii, 1-7). Surcharge palpable à l'égard 
de son contexte ; car la suite des conseils moraux reprend 
avec XIII, 8, et se poursuit jusqu'à la fin du chapitre. Une 
pareille recommandation, dans les termes où elle est don- 
née, nous amène au temps des Pastorales, au temps des 
premiers apologistes, au temps où fut écrite la Première 

1. Dans XII, 2, Paul se met en avant comme donneur de conseils. 
L'auteur de Is théorie gnostique (v-viii) s'efface complètement der- 
rière son sujet, il ne prend pas la parole en son nom personnel. L'indice 
n'est peut-être pas sans signification par rapport à l'origine des docu- 
ments. 



DEUX THÉORIES DU SALUT 31 

de Pierre, au temps des Antonins. Ce n'est certes pas aux 
premiers temps du christianisme que l'on a proclamé ainsi 
l'origine divine de l'autorité impériale. La leçon de la cha- 
rité (xiii, 8-10) fait écho à la tradition évangélique (voir 
Matthieu, xxii, 34-40, la question du grand précepte) et 
même au cantique de l'amour (I Corinthiens^ xiii, 4). Tout 
cela aussi bien nous renvoie au second siècle. Ce qu'on nous 
dit touchant la vigilance, la préoccupation du « jour » et la 
nécessité de combattre les « œuvres de ténèbres » par les 
« armes de la lumière » est au niveau d' Ephésiens, yi, 10-17. 
Il est moins facile de savoir ce qu'on a voulu signifier 
dans xiv-xv, 7. Rien n'est plus arbitraire que de prétendre 
y reconnaître une évolution de la coutume pascale de 
l'Eglise romaine au temps d'Anicet, comme si la coutume 
romaine n'avait pas été fixée auparavant ; comme si la 
Pâque du dimanche avait été inaugurée à Rome sous une 
influence marcionite, vers 140, et avait prévalu vers 155- 
165 ; comme si l'observance quartodécimane, avec immola- 
tion de l'agneau pascal (?), avait été jusque-là universelle 
dans les communautés ; un quart de siècle après, l'évêque 
de Rome, Victor, n'aurait pas hésité à excommunier les 
communautés d'Asie parce qu'elles restaient fidèles à l'ob- 
servance ancienne. Or notre texte ne dit mot de la Pâque ; 
or Irénée, qui nous documente sur le sujet, et qui sait bien 
d'ailleurs que l'observance de la Pâque dominicale est 
moins ancienne que l'autre, ne nous en représente pas moins 
Anicet et Polycarpe conférant ensemble à Rome et restant 
inébranlables dans leur observance, le premier fondé sur 
la tradition de ses prédécesseurs, et le second sur la tradi- 
tion apostolique. De l'observance quartodécimane le qua- 
trième Evangile est le livret autorisé, qui fait mourir le 
Christ à l'heure où était immolé l'agneau pascal. De la 
Pâque dominicale Marc et les deux autres Synoptiques 
après lui sont les livrets normaux, qui, moyennant un glis- 
sement rédactionnel où le dernier repas de Jésus s'identifie 
au repas pascal des Juifs, instituent une façon de semaine 
sainte qui culmine dans la résurrection du Christ. Est-ce 
encore Marcion qui aura modifié ainsi le schéma originel 



32 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

de la passion dans Marc ? Est-ce que rien ne se sera fait 
ni écrit dans l'Eglise entre Paul et Marcion ? Ceci soit dit, 
non pour combattre une thèse qui tombe toute seule, mais 
pour mettre en relief l'inconvénient d'une certaine logique 
et d'une certaine méthode insuffisamment réelles i. 

Notre texte nous met en présence de chrétiens qui pra- 
tiquent certaines observances relatives à certains jours, 
et certaines abstinences auxquelles d'autres ne se croient 
pas tenus. Des tendances encratites se sont manifestées 
dans les communautés chrétiennes avant Marcion. L'auteur 
de notre document — on ne voit pas bien la nécessité d'en 
admettre deux, un pour xiv, 1-12, et un pour xiv, 13-xv, 
7) — prêche la tolérance mutuelle, tout en spécifiant que 
ceux qui ne partagent pas les scrupules de certains doivent 
pourtant avoir à cœur de ne pas scandaliser ces derniers, 
se faire eux-mêmes abstinents en l'occasion, rien que pour 
ne pas troubler la conscience de leurs frères scrupuleux ^. 
Une imitation de I Corinthiens, viii, 1-13 (la question des 
idolothytes) paraît vraisemblable. Pour apporter plus de 
précision dans les conjectures il faudrait savoir en quel 
endroit le dossier épistolaire de Paul a été constitué, la 
compilation de l'Epître aux Romains a été élaborée. Mais 
ce n'est pas dans les tout premiers temps de la propagande 
chrétienne que se sont produites des observances aussi par- 
ticulières que celles qui sont ici visées. C'est encore au 
temps des Pastorales qu'il faut se reporter ; et nous retrou- 
verons les Pastorales. 

1. On peut voir le développement de la thèse dans Turmel, I, 64-84. 

2. Il a été remarqué plus haut, p. 29, n. 2, que Marcion terminait 
sa recension de l'Epître avec ce qu'il retenait de notre ch. xiv, sur les 
mots : « Tout ce qui ne se fait pas par conviction est péché » (v. 23), 
suivis probablement de quelque formule de pieux souhait. Ce qu'on 
lit dans xv, 4, sur les Ecritures et leur utilité, n'était pas pour lui 
-agréer, ni ce que Paul dit de son voyage à Jérusalem, ni les saluta- 
tions du ch. XVI, s'il les a connues. 



CHAPITRE II 
Les deux personnages de Paul 



Deux théories du salut se sont révélées à nous dans le 
corps de l'Epître aux Romains ; mais un seul des deux 
auteurs nous serait facilement définissable, celui qui évo- 
que avec un sentiment profond de son origine Israélite et 
de son amour pour son peuple la promesse faite à Abraham 
et dont bénéficient actuellement les Gentils avec les Juifs. 
De personnalité mystique s'opposant au Paul de la théorie 
eschatologique, ou s' assimilant à lui pour le transformer en 
apôtre unique du mystère, nous avons à peine trouvé quel- 
que trace ^. On dirait que la théorie mystique a existé 
d'abord pour elle-même et qu'elle a été ajustée en manière 
de correctif à la théorie eschatologique par un disciple de 
son premier auteur. Mais un Paul mystique se présente 
ailleurs, notamment dans l'Epître aux Galates et dans 
certaines parties principales des deux Epîtres aux Corin- 
thiens, qui ne s'intitule pas seulement apôtre du mystère, 
mais se proclame lui-même apôtre unique de ce mystère 
de salut, qui serait l'unique Evangile véritable. 



I 

Une prétention aussi exorbitante n'a pas jusqu'à pré- 
sent déconcerté les critiques qui admettent l'authenticité à 

1. Seule la monition de xvi, 17-18 {citée supr., p, 29, n. 2, est dans 
le ton violent que le Paul gnostique prend volontiers à l'égard de ses 
adversaires censés judaïsants. 



34 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

peu près intégrale des grandes Epîtres. Ces critiques conti- 
nuent de penser que Paul a été le véritable fondateur de 
l'Eglise helléno chrétienne, et ils expliquent par l'exubé- 
rance de son génie, aussi par son tempérament visionnaire, 
l'espèce de polarisation qui se serait faite de toutes ses 
expériences religieuses dans la vision inaugurale qui le 
convertit à la foi du Christ. L'hypothèse, au fond, serait 
assez compromettante pour Paul lui-même, et sans doute 
ne résout-elle pas toutes les difficultés du problème, par 
exemple, elle n'explique pas pourquoi, dans Romains et 
dans Gâtâtes, Paul raisonne alternativement d'après deux 
systèmes de doctrine, dont l'un, la théorie eschatologique, 
est incompatible avec la prétention du Paul mystique à 
être l'unique dépositaire et l'apôtre unique de l'Evangile 
uniquement vrai. Resterait donc à savoir si le Paul mysti- 
que appartient à l'ordre de l'histoire ou bien à celui de la 
fiction théologique. Dans cette dernière hypothèse, l'on 
ne devra pas être suspect d'attenter à la gloire du véritable 
Paul, si l'on réussit tout simplement à montrer comment a 
été construite la personnalité fictive et démesurée du Paul 
gnostique. Le problème est de première importance, car le 
Paul mystique paraît fort bien connaître l'histoire de 
l'autre, qu'il raconte comme sienne ; mais la question est 
de savoir s'il ne la travestit pas en la racontant. 

Il convient de commencer nos investigations par l'Epître 
aux Galates, où nous trouvons esquissée la carrière de 
l'Apôtre depuis sa conversion jusqu'au conflit d'Antioche, 
qui le sépara de Pierre et des autres missionnaires chré- 
tiens ; subsidiairement viendra la considération du Paul 
gnostique dans les deux Epîtres aux Corinthiens. 

Dans Galates, la prétention du Paul gnostique s'affiche 
dès la suscription (i, 1-3) : 

Paul, apôtre ^, 

non de la part d'hommes ni par homme, 

1. Dans I Thessaloniciens, i, 1, Paul n'affecte aucun titre : « Paul, 
Silvain et Timothée, à la communauté des Thessaloniciens » etc., 
(de même dans II Thess., i, 1) ; I Corinthiens, i, 1 : « Paul, apôtre 
appelé, de Christ Jésus, par la volonté de Dieu, et Sosthènes le frère », 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 35 

Mais par Jésus-Christ et Dieu le Père, 

qui l'a ressuscité des morts ^, 
Et tous les frères qui sont avec moi, 

aux communautés de la Galatie : 
Grâce à vous soit et paix, 

de la part de Dieu notre Père, 

et du Seigneur Jésus-Christ, 
Qui s'est donné lui-même pour nos péchés, 

afin de nous arracher au présent âge ^ mauvais, 
Selon la volonté de notre Dieu et Père, 

à qui soit la gloire dans les âges des âges 
Amen. 

Paul ici ne revendique pas seulement la qualité d'apôtre 
contre des gens qui, sans doute, la lui contestaient, mais il 
spécifie que, cette qualité, il la tient directement de Jésus- 
Christ et de Dieu le Père, à la différence d'autres qui tien- 
nent leur mission d'hommes. Ces derniers pourraient bien 
avoir représenté originairement la forme ordinaire de 
l'apostolat : délégation de missionnaires choisis, recom- 
mandés et sustentés par un groupe chrétien ^. Et c'est 
ainsi que Paul lui-même est devenu apôtre, en des condi- 
tions que l'Epître aux Galates ne laisserait pas soupçonner. 

etc. ; II Corinthiens, i, 1 : « Paul, apôtre de Christ Jésus par la volonté 
de Dieu, et Timothée le frère », etc. ; Romains, i, 1 : « Paul, serviteur 
de Christ Jésus, apôtre appelé, destiné à l'Evangile de Dieu, etc. ; 
Colossiens (Ephésiens), i, 1 : « Paul apôtre de Christ Jésus par la 
volonté de Dieu », etc. ; Philippiens, t, 1 : « Paul et Timothée, servi- 
teurs de Christ Jésus, à tous les saints en Christ », etc. ; I Timothée, i, 
1 : « Paul, apôtre de Christ Jésus, par ordre de Dieu notre sauveur 
et de Christ Jésus notre espérance, à Timothée », etc. ; II Timothée, i, 
1 : « Paul, apôtre de Christ Jésus par volonté de Dieu, selon la pro- 
messe de la vie qui est en Christ Jésus, à Timothée », etc. ; Tite, i, 1 : 
« Paul, serviteur de Dieu, apôtre de Jésus-Christ selon la foi des élus 
de Dieu », etc., etc. ; Philémon, 1 : « Paul, prisonnier de Christ Jésus, 
et le frère Timothée, à Philémon », etc. De ces adresses, les plus mo- 
destes ont toute chance d'être les plus authentiques. 

1. Au témoignage d'Origène (in Gai.), Marcion omettait : « et Dieu 
le Père », lisant : « Jésus-Christ, qui s'est ressuscité des morts ». 
Hernack, Marcion, 66*. 

2. Nul motif de supprimer ici « le présent âge » pour ne laisser que 
« le Mauvais », qui serait le démiurge de Marcion (Turmel, III, 83). Cf. 
Romains, xii, 2, ce qui est dit de « cet âge ». 

3. Sur cette question de l'origine de l'apostolat et des applications 
diverses qu'a reçues le mot « apôtre », voir La Naissance du Christia- 
nisme, 136-140. 



36 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Dans une notice des Actes (xiii, 1-2) qui paraît tout à fait 
sûre, nous lisons : « Or étaient à Antioche, dans la commu- 
nauté du lieu, des prophètes et des docteurs : Barnabe, 
Siméon dit le Noir, Lucius de Cyrène, Manaën, familier 
d'Hérode le tétrarque, et Saul. Et comme ils rendaient 
culte au Seigneur et jeûnaient, l'Esprit saint dit : « Appli- 
quez-moi Barnabe et Saul à l'œuvre où je les ai appelés. » 
La suite montre qu'il s'agit d'une mission continue à réali- 
ser en dehors de la ville, très probablement la mission de 
Syrie-Cilicie \ dont le Paul gnostique va nous dire qu'il l'a 
entreprise de lui-même et tout seul. Nous reviendrons 
bientôt sur ce point. 

Puisque le Paul gnostique ne tient sa mission d'aucun 
homme mais de Jésus-Christ, c'est qu'il ne considère pas le 
Christ comme un homme, mais comme un être transcen- 
dant qui est venu sur la terre pour détruire le règne du 
péché et sauver les hommes d'un monde asservi au mal. Le 
caractère unique de cette vocation s'exprime plus énergi- 
quement encore dans ce que le même auteur dit un peu plus 
loin (i, 11-12) : 

Car je vous (le) déclare, frères : 

l'Evangile annoncé par moi, 

il n'est pas selon homme. 
Car, moi, ce n'est pas d'un homme que je l'ai reçu 

ni que je l'ai appris, 

mais par une révélation de Jésus-Christ. 

Il y aurait donc un ou plusieurs Evangiles humains dans 
leur garantie, sinon dans leur caractère, et un seul Evan- 
gile divin par son contenu et son autorité, celui que Paul a 
reçu immédiatement de Jésus-Christ. Avant de déterminer 
le sens d'une pareille assertion, notons qu'elle est en contra- 
diction avec quelques lignes (i, 6-7) qui viennent immédia- 
tement après la suscription et qui ont chance de représenter 
le début de la lettre que Paul écrivit réellement aux fidèles 
de Galatie : 

1. Pour la discussion de ce passage et de la mission dont il s'agit, 
"voir La Naissance du Christianisme, 170-177. 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 37 

Je m'étonne que si promptement vous vous détourniez de celui 
qui vous a appelés à la grâce du Christ, pour (suivre) un autre 
Evangile: ce n'en est pas un autre, c'est qu'il y a des gens qui vous 
troublent et qui veulent renverser l'Evangile du Christ. 

Il n'y a pas ici deux sortes d'Evangile, et Paul ne se con- 
sidère pas comme le seul détenteur de l'Evangile véritable ; 
il y a seulement des gens, — les judaïsants qui sollicitent les 
Galates à la circoncision, — qui sont en train de détruire 
l'Evangile par une pareille exigence. L'Evangile, en somme, 
est la chose de tous les missionnaires, mais certains le com- 
prennent de travers. Ceci ne semble pas avoir été conçu dans 
le même plan que les déclarations hautaines du Paul gnos- 
tique. 

Mais qu'est-ce que celui-ci peut bien vouloir entendre par 
« Evangile selon homme » ? Pierre et les anciens disciples 
de Jésus n'avaient pas fait que recueillir son enseignement, 
ils avaient « vu » aussi le Christ, tout comme Paul, après sa 
résurrection. Ce n'est donc pas à eux que le Paul gnostique 
s'adresse en rejetant des Evangiles qui sont « selon homme ». 
Mais à qui parle-t-il, et que dit-il ? Veut-il dire que les 
Evangiles autres que le sien sont des inventions humaines ; 
dans cette hypothèse, il devrait dire plutôt que ce sont 
de faux Evangiles. Ne viserait-il pas la forme et la pré- 
sentation d'écrits évangéliques ? L'idée a été suggérée ^ 
déjà qu'il y avait là une allusion aux Evangiles de l'Eglise, 
qui sont « selon Marc », « selon Matthieu », etc. Cela n'est 
pas aussi invraisemblable qu'on le pourrait croire ; mais 
cela nous mènerait droit au second siècle, et pas dans les 
toutes premières années. 

Le même Paul, qui prétend être seul à tenir de Jésus lui- 
même le véritable Evangile, raconte comment la chose 
advint : 

Vous avez ouï parler de ma conduite autrefois dans le judaïsme, 
qu'à outrance je persécutais la communauté de Dieu... Mais quand 
il plut à Celui qui m'avait distingué dès le sein de ma mère... de 

1. Par Reitzenstein, Die hellenistischen Mi/sterienreli^ionen^, 377- 
380. 



38 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

révéler son Fils en moi pour que je l'annonce parmi les Gentils, 
aussitôt, sans prendre conseil de la chair ni du sang, sans monter 
à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je m'en 
allai en Arabie, puis de nouveau je retournai à Damas. 

C'est donc à Damas que ce Paul avait eu la révélation 
qui le transforma de persécuteur en apôtre, et en apôtre qui 
n'avait besoin de rien apprendre de ceux qui avant lui prê- 
chaient le Christ. N'est-il pas vrai pourtant qu'il devait 
savoir déjà quelque chose de ce Jésus qu'il avait persé- 
cuté ? N'est-il pas vrai qu'il a dû recevoir le baptême à 
Damas et s'agréger ainsi au groupe chrétien qui s'était 
formé en cette ville ? N'est-il pas vrai qu'il suppose à Jéru- 
salem un centre d'apostolat qui n'y existait pas, et qu'il 
considère les Douze comme des apôtres, alors que ces 
Douze n'exerçaient pas, à proprement parler, un ministère 
d'apostolat, et que le nom d'apôtres ne leur a été attribué, 
même réservé, qu'assez tard dans la tradition, c'est-à-dire 
par la légende. Le Paul qui parle ici a donc vécu dans un 
temps où cette réserve était un fait accompli ; ce porte- 
parole de Paul polémise contre des porte-parole de ces 
Douze et de Pierre leur chef. La conclusion s'impose dès 
l'abord. 

Mais voici, dans notre texte (i, 18-20), une contradiction 
flagrante au fond, et que l'on, a tâché d'atténuer dans la 
forme : 

Ensuite, après trois ans, je montai à Jérusalem pour faire la con- 
naissance de Céphas, et je restai auprès de lui quinze jours ; mais 
je ne vis aucun autre des apôtres, si ce n'est Jacques, le frère du 
Seigneur. Ce que je vous écris, (j'atteste) devant Dieu que je n'y 
mens point. 

A quoi bon ce serment pour garantir une chose si simple, 
si c'était la vérité ? La contradiction est palpable avec ce 
qui précède, où notre Paul a déclaré qu'il n'avait rien à ap- 
prendre des gens de Jérusalem. Elle ne l'est pas moins avec 
ce qui suit, puisque ce Paul va nous dire que les commu- 
nautés de Judée ne l'avaient jamais vu, et qu'elles avaient 
appris seulement la nouvelle de sa conversion et de son 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 39 

activité apostolique. Mais il y a plus : l'enclave que nous 
venons de citer manquait dans le texte marcionite, et ce 
n'est pas Marcion qui l'en avait retranchée, puisqu'elle est 
exclue par la teneur générale de l'exposé où l'on a voulu la 
glisser par manière de correctif. L'intention était de mon- 
trer Paul faisant acte de subordination à Pierre ; pour atté- 
nuer la contradiction avec le contexte, on a écrit qu'il était 
bien venu à Jérusalem, mais qu'il n'y avait vu que deux 
personnes, Pierre et Jacques, qui a bien l'air d'être compté 
ici parmi les Douze, bien qu'il n'en est pas fait partie, et 
que, du reste, il ne semble pas avoir jamais été un propa- 
gandiste. 

Ce n'est pas petit embarras pour les commentateurs que 
d'adapter les « trois ans » de l'enclave avec la chronologie 
esquissée par le Paul mystique : faut-il les ajouter ou les 
intégrer aux quatorze ans marqués (ii, 1) comme terme du 
voyage à Jérusalem qui est mentionné après la mission de 
Syrie-Cilicie ? Les deux combinaisons ne sont pas moins 
arbitraires l'une que l'autre : il faut laisser les trois ans au 
compte de l'interpolateur qui les a inventés. Celui-ci était 
animé du même esprit que la rédaction des Actes ^. Mais 
ce cas est d'importance : voici un faux glissé au milieu 
d'une Epître et garanti comme vérité par un serment solen- 
nel ! Par quelle sorte de personnes étaient donc gardées les 
lettres de Paul ? TertuUien, en son traité Du Baptême (17), 
gravement nous raconte l'aventure de ce prêtre d'Asie qui, 
vers 160-170, fut destitué de son emploi pour avoir trop 
mis du sien dans certains Actes de Paul, qui, nonobstant 
l'aveu du faux et sa condamnation, n'ont pas perdu tout 
crédit. Le faussaire était d'Asie, et il avait agi « pour 



1. Les Actes (vin, 26-35) ont un récit parallèle à la note de notre 
înterpolateur et qui dit à peu près le contraire : Saul, fuyant Damas, 
serait venu à Jérusalem pour entrer en relations avec « les disciples » 
et n'y aurait pas réussi d'abord parce que ceux-ci ne croyaient pas à 
sa conversion ; grâce à Barnabe, il aurait été introduit auprès des 
« apôtres » ; après quoi, il aurait prêché ouvertement avec eux dans 
Jérusalem le nom du Seigneur. Inutile de dire que ce petit roman ne 
contient pas un mot de vérité ; et, si tout ne nous trompe, il n'a pas 
été conçu dans l'ignorance de Galates, i, 18-20, mais en regard de cette 
fiction, pour la perfectionner. 



40 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

l'amour de Paul », disait-il. Il venait un peu tard, quand la 
légende officielle de Paul était fixée, et ses Epîtres officielle- 
ment reconnues. Mais, n'en doutons pas, tous ceux qui ont 
mis la main aux Epîtres, tant qu'elles furent sur le métier, 
avant la fixation du canon, ont agi aussi « pour l'amour de 
Paul » et pour l'édification de l'Eglise. L'interpolateur de 
Galates, i, 18-20, fut peut-être un des derniers qui, dans 
la rédaction des Epîtres, usèrent d'un procédé si commode 
pour le service de la bonne cause ; il n'avait pas été le pre- 
mier. 

L'auteur mystique conduisait Paul directement de Damas 
en Syrie. La prédication de l'Apôtre en Arabie, c'est-à-dire 
dans le nord du royaume nabatéen, n'avait pas duré long- 
temps, et la Seconde aux Corinthiens dit les conditions 
dans lesquelles Paul avait dû quitter précipitamment 
Damas. De la mission de Syrie-Cilicie l'auteur mentionne 
seulement l'écho qui en revenait en Judée, — il oublie 
d'ailleurs que, dans le temps où Paul se convertit, il 
n'existait pas de communautés en Judée, si ce n'est à 
Jérusalem, — et il paraît ignorer, — disons : il s'abstient 
volontairement — de signaler que, pour cette mission de 
Syrie-Cilicie, dont il avait été investi par la communauté 
d'Antioche, Paul avait travaillé en compagnie de Bar- 
nabe 1. Suit la relation du voyage à Jérusalem, dont le 
texte marcionite avait conservé la teneur originale. 

« Ensuite, au bout de quatorze ans », — à partir de la con- 
version, — « je montai » — le texte retouché ajoute : « de 
nouveau », qui est une glose en rapport avec l'interpolation 
de I, 18-20, — « à Jérusalem », — le texte retouché ajoute : 
« avec Barnabe », mais la recension marcionite ne faisait pas 
mention de Barnabe ici ni plus loin (v. 9), la logique du récit 
primitif exigeant que l'apôtre unique du véritable Evan- 
gile fût seul à traiter avec les notables, — « ayant pris avec 
moi Tite. Mais je vins d'après une révélation. » — Il faut, 
selon l'économie du récit, que l'initiative de sa démarche 
soit venue d'en haut par une révélation personnelle à 

1. Supr., p. 36. 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 41 

Paul. La réalité fut tout autre : d'après la tradition des 
Actes, très solide en ce point, certains croyants venus de 
Judée avaient inquiété les fidèles d'Antioche en soute- 
nant que les convertis du paganisme ne pouvaient être 
sauvés s'ils ne se soumettaient à la circoncision ; la commu- 
nauté résolut, pour mettre fin à cette agitation, d'envoyer 
Barnabe, Paul et quelques autres, traiter de cette affaire 
avec les anciens de Jérusalem ^. Paul n'est donc pas venu 
de son propre mouvement, et le chef de la délégation antio- 
chienne était Barnabe. — « Et je leur exposai l'Evangile 
que Je prêche parmi les Gentils. » — Ce n'est pas de cela 
qu'il s'agissait ; mais le Paul gnostique ne pense qu'à lui- 
même. La question était uniquement de savoir si les con- 
vertis de la Gentilité seraient tenus de se faire circoncire. 
L'Evangile révélé à Paul n'était pas en cause ; et Paul, à 
cette date, n'avait pas d'autre Evangile que celui de Bar- 
nabe ; il n'est pas téméraire de penser que le Paul de l'his- 
toire n'en a jamais eu d'autre. — « Ce fut à part, aux no- 
tables (que j'exposai cet Evangile), pour ne pas en vain 
courir, ou avoir couru. ». — Concession significative, et qui, 
à première vue, pourrait sembler invraisemblable ^ ; mais 
la recension marcionite avait ce trait, qui n'est pas diffi- 
cile à expliquer : dans la perspective de notre récit, ceux de 
Jérusalem n'ont pas répudié encore le véritable Evangile, 
et ils vont même le reconnaître ouvertement ; et puis, il 
fallait bien une raison pour expliquer une démarche qu'on 
ne pouvait contester. Si le récit manque un peu d'équilibre, 
c'est qu'il n'est pas conçu dans le plan de la réalité. 

La relation s'embarrasse quelque peu à propos de Tite : 
s'il était venu à Jérusalem, c'était comme membre de la 
délégation antiochienne. Le Paul mystique dit l'avoir pris 
lui-même pour compagnon, et il ne l'a nommé que pour 

1. Actes, XV, 1-2. Là Paul est nommé avant Barnabe (comme dans 
les récits précédents à partir de xiii, 13), mais, xv, 12 et xv, 25 (lettre 
apostolique) ont gardé l'ordre de la source. Il en va de même dans le 
doublet. Actes, xi, 30 ; xii, 25, qui se rapporte au même voyage, 
dédoublé dans la rédaction. 

2. Plus marcionite que Marcion, Turmel, III, 189, n. 2, estime que 
les mots : « pour ne pas courir », etc., sont une « addition catholique 
qui sauvegarde la primauté des apôtres ». 



42 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

dire, sans doute conformément à la vérité, que l'on n'avait 
pas exigé la circoncision de Tite, bien qu'il ne fût pas juif 
d'origine. Quant à lui, Paul, il a refusé toute concession 
aux faux frères qui étaient promoteurs d'une telle obliga- 
tion ; et pour ce qui est des « notables », qu'il appellera 
plus loin « colonnes », il n'a subi de leur part aucune récla- 
mation. Notons que, vers l'an 43-44, s'il n'y avait pas à 
Jérusalem un groupe d' « apôtres », il n'y avait pas non plus 
de « notables » ni de « colonnes », mais des « disciples », 
tenus en quelque considération parce qu'ils avaient été les 
premiers témoins de Jésus ressuscité. Les termes dont le 
Paul mystique se sert pour les désigner sont empruntés à 
une polémique plus récente. 

Ces notables, Paul les laisse pour ce qu'ils sont, mais 
voici quelle a été leur attitude : 

Voyant que m'a été confié l'Evangile de l'incirconcisior, 

comme à Pierre celui de la circoncision.... 

et reconnaissant la grâce à moi attribuée, 
Jacques, Géphas et Jean, 

ceux que Ton estimait être des colonnes, 
Me donnèrent la main (en signe) de communion, 

— texte corrigé : « donnèrent à moi et à Barnabe la 
main » etc. — 

afin que je fusse pour les Gentils 

— texte corrigé : « afin que nous fussions » — 

et eux pour la circoncision ; 
Seulement, que des pauvres nous eussions souvenir, 
ce qu'aussi bien j'ai eu souci de faire. 

Le Paul mystique, seul, comme il convenait à sa qualité 
d'apôtre unique de la Gentilité, a traité avec les « nota- 
bles » ; mais il est curieux que l'obligation de subvenir au 
besoin des pauvres s'impose aussi bien aux apôtres de la 
circoncision. Cela pourtant est très naturel : puisque les 
apôtres de la circoncision doivent pourvoir à l'évangélisa- 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 43 

tion de tous les Juifs du monde, il va de soi qu'ils recueillent 
les cotisations de tous les judéo chrétiens de la Dispersion. 
Mais ce qui n'est pas naturel, ce qui est historiquement 
inconcevable, ce qui est une pure fiction, imaginée à dis- 
tance des origines, c'est le partage même de l'humanité 
à convertir. Jamais Paul, de son vivant, n'a été l'Apôtre 
unique, chargé, par le Christ, de pourvoir à l'évangélisation 
de la Gentilité. Jamais Pierre et les Douze ne se considé- 
rèrent comme les seuls missionnaires autorisés du judaïsme, 
d'autant que la plupart sans doute ne furent jamais mis- 
sionnaires. Les conditions de la prédication chrétienne aux 
temps apostoliques sont bien connues : l'Evangile ne fut 
pas proposé d'abord au monde païen comme tel ; il ne pou- 
vait l'être, il ne le fut, pour commencer, que dans le monde 
juif de la Dispersion ; mais la prédication chrétienne attei- 
gnit, en même temps que les Juifs, la clientèle païenne des 
synagogues, les prosélytes et demi-prosélytes que les syna- 
gogues réunissaient un peu partout autour d'elles dans 
l'empire romain. Il est certain, non seulement par la rela- 
tion des Actes en ce qu'elle a de consistant, mais par les 
Epîtres en tant qu'elles sont un écho du ministère per- 
sonnel de Paul, que celui-ci, dans toutes les localités où il a 
porté l'Evangile, parlait d'abord dans les synagogues, et par 
conséquent s'adressait aux Juifs, et, quand il n'était plus 
supporté dans les synagogues, s'installait dans leur voisi- 
nage, continuant de drainer indistinctement leurs Juifs 
et leurs prosélytes. Il n'a pu s'agir à Jérusalem, en 44, de 
partager le monde entre deux apostolats, et la fiction n'a 
pu être conçue qu'à une assez longue distance, inventée 
pour caractériser deux personnages de légende dans l'inté- 
rêt d'une polémique. La question qui put être et qui fut 
traitée dans l'assemblée de Jérusalem fut celle des obser- 
vances légales, dont notre auteur semblerait presque se 
désintéresser, parce que, dans la réalité, il a en vue tout 
autre chose. Et donc la seule difficulté du problème qui 
nous occupe est de situer historiquement le Paul mystique. 
L'identifier d'emblée à Marcion ou à l'un de ses adeptes 
est une solution violente, puisque le Paul mystique n'est pas 



44 SUR LA LITTÉKATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMEJN'T 

marcionite. D'autre part, le Paul de l'histoire, n'en déplaise 
aux champions de l'authenticité, aurait été le plus aveugle 
des polémistes, ou le plus fieffé des menteurs, ou le plus 
insensé des fous, s'il avait tenu le langage que lui prête son 
porte-parole. Il n'est que de regarder le texte pour s'en 
rendre compte. La question n'est obscurcie que par le pré- 
jugé, très respectable, et que nous respectons infiniment, 
des interprètes. 

Mais nous avons à entendre encore le Paul mystique 
dans d'autres passages des Epîtres où il invective ou incri- 
mine les apôtres judaïsants. Ce que nous avons trouvé dans 
l'Epître aux Galates nous permet de dire que ce person- 
nage n'a pas été imaginé de toutes pièces et d'un seul coup 
pour la recommandation d'un système doctrinal. Dans cer- 
tains groupes chrétiens, que nous pourrons bientôt peut- 
être localiser, le souvenir de Paul, aussi ses lettres authen- 
tiques étaient pieusement gardés. Car, il nous faut expli- 
quer comment le Paul mystique, qui raconte dans Galates 
la carrière de l'Apôtre, se trouve, à certains égards et sur 
certains points, plus sûrement, plus exactementinforméque 
la rédaction des Actes. Ainsi la perspective dans laquelle 
nous est montrée l'assemblée de Jérusalem est fausse ; 
mais la date assignée à l'assemblée apostolique, la mention 
de Tite, l'obligation de la collecte pour les pauvres sont des 
traits pris dans la réalité. Il en va de même pour ce qui 
nous est raconté de la brouille d'Antioche, récit que nous ne 
saurions discuter ici dans le détail : la donnée générale, à 
savoir que Pierre et les autres propagandistes chrétiens 
auraient répudié le principe du salut par la foi sans les 
observances de la Loi, est fausse, et le récit même ne la 
justifie pas ; mais il est vrai qu'un incident s'est produit à 
Antioche entre Pierre et Paul, ensuite duquel Paul s'est 
séparé de Barnabe lui-même ^ et a commencé sa carrière de 
missionnaire indépendant, alors que la rédaction des Actes 



1. La mention de Barnabe dans ii, 13 : « en sorte que Barnabe lui- 
même fut entraîné dans leur simulation », est très significative. Le 
texte traditionnel, en introduisant son nom dans ii, 1 et 9, a fait 
droit aux indications historiques des Actes, 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 45 

affecte d'ignorer la venue de Pierre à Antioche, et assigne 
un autre motif, probablement fictif, à la séparation de Paul 
et de Barnabe. Le porte-parole du Paul gnostique dispo- 
sait donc de renseignements plus précis et plus sûrs que 
ceux que donne la rédaction traditionnelle des Actes. 
Serait-il bien téméraire de supposer que le groupe ou les 
groupes qui conservaient ce que nous nous permettrons 
d'appeler le dossier de Paul avaient aussi en mains un texte 
des mémoires de Luc plus authentique et plus complet que 
ce qu'il nous est donné d'en lire maintenant dans les Actes ? 



II 



Il y a aussi un Paul mystique dans I et II Corinthiens, 
qu'il nous faut entendre pour compléter le portrait de 
notre personnage. Dans les deux Epîtres il apparaît ino- 
pinément et artificiellement, comme la gnose mystique 
dans Romains, comme le Paul mystique dans Galates, en 
surcharge d'une réalité antérieure et plus humble. 

Le cas est très simple dans I Corinthiens. Abstraction 
faite d'une large glose dans la salutation ^, le commence- 
ment de l'Epître (i, 4-16) nous fait entendre Paul, le Paul 
de l'histoire, morigénant les croyants de Corinthe à propos 
de divisions qui se sont produites entre eux et auxquelles il 
se félicite de n'avoir en rien contribué. On se réclame de lui 
contre d'autres % et réciproquement. Le Christ est-il par- 
tagé ? Est-ce au nom de Paul que les Corinthiens ont été 
baptisés ? Ce n'est même pas lui qui les a baptisés, sauf un 
tout petit nombre. 

Là-dessus le discours s'élève et le sujet change, tout en 
s'accrochant à ce qui vient d'être dit touchant le baptême 
des Corinthiens (i, 17-25) : 

1. I, 2, à partir des mots : « sanctifiés en Christ », etc., qui font de 
la lettre aux Corinthiens une Epître adressée à l'Eglise universelle. 

2. L'énumération (i, 12) comportait, aussi bien dans la recension 
de Marcion, les trois noms : Paul, Apollos, Céphas (cf. Harnack, 
Marcion, 78*), qu'on retrouve dans l'Epître de Clément (xlviî). Les 
mots ; « moi au Christ », sont une glose surajoutée. 



46 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Car le Christ ne m'a pas envoyé baptiser, 

mais évangéliser : 
Non pas avec sagesse de parole, 

pour que ne soit pas évidée la croix du Christ. 
Car la parole de la croix 

pour les perdus est folie. 
Mais pour les sauvés, nous, 

c'est puissance de Dieu ^. 
Ne l'a-t-il pas rendu folle, Dieu, 

la sagesse du monde? 
Car, après que, par la sagesse de Dieu, 

le monde n'a pas connu par la sagesse Dieu, 
Dieu s'est plu, par la folie de la prédication, 

à sauver les croyants. 
Car les Juifs miracles demandent, 

et les Grecs sagesse recherchent ; 
Mais nous, nous prêchons Christ crucifié 
pourles Juifs scandale, 
pour les Gentils folie, 
Mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, 
Christ, de Dieu puissance, 
et de Dieu sagesse. 
Car ce qui est folie de Dieu 

plus sage est que les hommes, 
Et ce qui est faiblesse de Dieu 

plus fort est que les hommes... 

Voilà qui nous mène très loin des querelles de Corinthe. 
Nous entendons un grand poème théologique sur l'éco- 
nomie du mystère dont notre Paul a reçu la révélation. 
L'auteur insiste (i, 26-30) sur l'insignifiance humaine des 
recrues que l'Evangile a faites 2, puis sur sa propre insigni- 
fiance et sa faiblesse, qu'a compensée une « démonstration 
d'esprit et de puissance » (11, 1-5). Car lui-même enseigne la 
vraie sagesse à ceux qui sont capables de l'entendre (11, 
6-8) : 

1. Les citations de i, 19 b-20 {Isaîe, xxix, 14 ; xxxiii, 18) sont une 
surcharge rédactionnelle. 

2. Même remarque que ci-dessus pour la citation de Jérémie, ix, 
22-23, dans i, 31. 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 47 

Cependant nous parlons sagesse parmi les parfaits, 

non la sagesse de cet âge 

ni des princes de cet âge ^ qui sont déchus ; 
Mais nous disons la sagesse de Dieu en mystère, 

celle qui était cachée 
Qu'à définie Dieu, avant les âges, 

pour notre gloire, 
(Celle) qu'aucun des princes de cet âge n'a connue ; 

car, s'ils l'avaient connue, 

le Seigneur de la gloire ils n'auraient pas crucifié ^. 

Les « parfaits » sont les initiés au mystère, — c'est terme 
de gnose, — et Paul nous dira dans un instant que les Corin- 
thiens n'appartiennent pas à cette catégorie, comme s'il ne 
venait pas lui-même de leur expliquer le secret de Dieu. 
Que les autorités romaines et juives qui sont intervenues 
dans la passion de Jésus ne puissent être « les princes de cet 
âge », c'est-à-dire d'une ère et d'un monde, pas n'est besoin 
de le démontrer ; et ce ne serait pas merveille que ces auto- 
rités-là n'aient pas été initiées au secret de Dieu. Le secret 
qui était caché en Dieu depuis l'éternité se révèle mainte- 
nant aux croyants initiés. Cette sagesse, « c'est à nous que 
l'a révélée Dieu, par l'Esprit », l'Esprit de Dieu « le sens du 
Christ » (il, 10-16) ^ 

Mais voici une déclaration qui éclaire singulièrement la 
perspective du présent discours (m, 1-2). 



1. « Les princes de cet âge », du présent éon, sont « les princes de 
cet âge », les esprits qui président aux destinées de notre inonde 
inférieur et ne le gouvernent pas toujours au gré de Dieu. On n'a 
aucune raison de leur substituer le démiurge de Marcion (Turmel, II, 
134, p. 1), en identifiant par surcroît à ce démiurge « le prince de cet 
âge » ou « prince de ce monde », dont parle Jfean (xii, 31 ; xiv, 30 ; 
XVI, 11), qui n'appartient p&s tout à fait au même mythe. Du reste, 
si nous en croyons Tertullien, Marcion lui-même lisait : « les princes 
de ce monde » (Harnack, Marcion, 79*). D'autre part, il est superflu 
d'alléguer que Paul se bornerait à utiliser ici un mythe familier à ses 
lecteurs : Paul lui-même dit expressément le contraire (m, 1-3). C'est 
dans ce mythe qu'a été révélée Id sagesse de Dieu. 

2i La citation de ii, 9 (empruntée à un livre apocryphe plutôt qu'à 
Isaîe, LXiv, 3) fait surcharge. 

3. La première partie de ii, 16, contient une citation d'Isa'ie qui 
n?est pas formelle ; d'où vient que Marcion l'a retenue ; mais ce n'est 
pas un auteur marcionite qui l'a faite. 



48 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Quant à moi, frères, 

je n'ai pu vous parler comme à des spirituels, 
Mais comme à des charnels, 

à des nourrissons en Christ. 
Breuvage de lait je vous ai donné, 

non aliment solide ; 

car vous n'en étiez pas capables. 

La preuve, ce sont les divisions de la communauté. Si 
bien que notre Paul mystique déclare aux Corinthiens qu'il 
n'a pas pu leur parler du mystère dont il vient de leur indi- 
quer l'objet. Le fait est sans doute que le Paul de l'histoire 
n'en avait, pour une bonne raison, soufflé mot à ses con- 
vertis. Mais le discours n'en continue pas moins, de ce point 
de vue équivoque, sur les divisions de Corinthe (ii, 3-4), 
— si ce sont encore les divisions de Corinthe, — sur la na- 
ture et la qualité des enseignements reçus par les Corin- 
thiens (m, 5-11), sur le sort qui pourra échoir aux différents 
prédicateurs selon leurs mérites (m, 12-15) \ sur le carac- 
tère et la récompense du véritable apostolat (m, 21-iv, 5). 
Et comme conclusion de ce débat (iv, 6) : « Or cela, frères, 
je l'ai représenté » — plus exactement : « je l'ai transposé » 
ou « symboliquement figuré » — « en moi et en ApoUos pour 
vous % afin que vous ne vous enfliez pas l'un contre l'autre 

1. Il est probable que Marcion lisait, et avec raison, dans m, 15 : 
« Si de quelqu'un l'œuvre est consumée, il sera puni par le feu », au 
lieu de : « puni, et lui-même sera sauvé, mais ce sera comme par le feu »; 
car on comprend mal que le même individu puisse être en même temps 
puni et sauvé (Turmel, II, 137). Gela ne prouve pas toutefois que le 
feu soit allumé par le démiurge de Marcion. — La réflexion sur le 
temple de Dieu, qu'est le croyant, m, 16-17, est une surcharge dans 
le contexte ; mais rien ne prouve qu'elle soit d'origine montaniste, 
d'autant que, selon Tertullien, elle se lisait dans la recension mar- 
cionite (Harnack, Marcion, 81*). — Les citations de Job, v, 12-13 et 
de Psaume cxiv, 2, dans m, 19-20, semblent surajoutées. 

2. Dans iv, 6, les mots : « afin que vous appreniez à ne pas être au- 
dessus de ce qui est écrit »,font surcharge, et l'on est fort empêché de 
dire où tend la référence à « ce qui est écrit» (Turmel, 11,11-17). 
D'autre part, il est arbitraire, pour ne rien dire de plus, de supposer 
que Marcion, s'étant figuré lui-même dans Paul, dirait aux Corinthiens 
qu'il leur a « donné du lait », parce qu'il s'était lui-même, par politique, 
conformé à l'enseignement vulgaire. On a vu plus haut comment s'ex- 
plique l'équivoque résultant de cette assertion. Nous entendons sûre- 
ment un partisan de Paul qui se pose en face de la doctrine commune, 
plus ou moins figurée par Pierre et Apollos ; mais l'intrusion de Mar- 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 49 

pour quelqu'un. » Cela paraît vouloir signifier qu'il ne faut 
pas s'en faire accroire ni s'enorgueiller du nom de tel ou tel 
docteur. Mais cela paraît signifier d'abord que le rappel des 
affaires de Corinthe, au lieu d'être visé en lui-même, l'est 
par rapport à autre chose, à une autre situation des commu- 
nautés, à un autre intérêt chrétien, lequel ne peut être que 
celui du mystère de la vraie doctrine. En outre, il convient 
de noter que le Paul qui parle ici se montre tout à fait 
modéré à l'égard de ses adversaires. Ce Paul n'est pas le 
même qui a rédigé la gnose de Romains, ni celui qui racon- 
tait à sa façon dans Galates la carrière de Paul, ni tel autre 
qui parle mystère dans quelque autre Epître ; du reste, il 
paraît bien avoir son propre style, qui est fort beau. 

La leçon finit par un portrait dithyrambique du véri- 
table apostolat et une apostrophe bien sentie de l'Apôtre à 
ses convertis (iv, 9-16) : 

Quand vous auriez dix mille maîtres en Christ, 

vous n'avez pas plusieurs pères : 
En Christ Jésus, par l'Evangile, 

C'est moi qui vous ai engendrés. 
Donc, je vous en prie, 

soyez de moi imitateurs. 

D'autres morceaux importants de I Corinthiens seront 
discutés ultérieurement. 

III 

Il nous faut rechercher d'abord les traces du Paul mys- 
tique dans II Corinthiens. Le début de cette Epître (i-ii, 13) 
semblerait appartenir à une lettre de réconciliation ou de 
consolation que Paul, le Paul de l'histoire, aurait écrite 
après une grande affliction qu'il avait éprouvée étant en 
Asie, et dont l'avait tiré la rencontre, qu'il fit en Macédoine, 

cion dans cette a,ffaire n'aboutit qu'à une fantasmagorie invraisem- 
blable. Il semble que le discours mystique s'arrête à iv, 14-16, ce 
qui est dit ensuite touchant la mission de Timothée ne semblant pas 
en contradiction réelle avec ce qu'on lit dans xvi, 10-11, et fournis- 
sant plutôt une introduction naturelle à l'affaire de l'incestueux 
(v, 1-7), laquelle appartient à l'histoire de Paul. 



50 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

de Tite lui apportant les meilleures nouvelles de la commu- 
nauté corinthienne. L'affliction dont il s'agit est moins pro- 
bablement une persécution subie à Ephèse, que l'angoisse 
où est tombé Paul après une visite à Corinthe qui avait 
plutôt aggravé la situation où il se trouvait à l'égard de la 
communauté, difficultés qu'avait aplanies l'intervention de 
Tite. Dans cette partie même, certaines considérations 
teintées de gnose mystique ^ pourraient avoir été sura- 
joutées à la lettre originale. 

Celle-ci se trouve subitement coupée par un éloge dithy- 
rambique du véritable apostolat qui appartient à Paul 
seul, un Paul mystique évidemment, héraut de la nouvelle 
alliance selon l'Esprit, triomphant dans la faiblesse et la 
souffrance en attendant la gloire éternelle, ne connaissant 
plus personne selon la chair, pas même le Christ, et annon- 
çant inlassablement la réconciliation du monde à Dieu par 
la foi au Christ ressuscité ; maintenant il adjure les Corin- 
thiens d'être fidèles à la grâce de Dieu et d'élargir pour lui- 
même leur cœur, qui s'est rétréci à son endroit (ii, 14-vi, 
13) 2. Voici le début de cette fanfare : 

A Dieu grâces 

qui partout nous mène 

dans le Christ 
Et lodeur de sa connaissance 

manifeste par nous 
en tout lieu 

Nonobstant la particule de liaison intercalée dans les 
premiers mots : « Mais à Dieu », ce cri d'allégresse n'a 
aucun rapport avec ce qui précède, et il fait simplement 
brèche dans la lettre de réconciliation, dont on retrouvera 
plus loin la suite (vu, 5-16). 

C'est que du Christ parfum nous sommes à Dieu, 
chez les sauvés 
et chez les perdus ^ : 

1. Ainsi, I, 3-7, 12-14, 21-22, 24. 

2. Abstraction faite de vi, 14-vii, 1, enclave sans rapport avec le 
contexte et qui doit être une pièce rapportée. 

3. Noter la correspondance avec I Corinthiens, i, 18, supr. cit., p. 46. 



LES DEUX PERSONNAGES DK PAUL 51 

A ceux-ci odeur de mort 

pour mort, 
Mais à ceux-là odeur de vie 

pour vie. 
Et à cela qui est apte ? 

Car nous ne sommes pas, comme la plupart, 

trafiquants de la parole de Dieu, 
Mais, comme de (sa) source pure, 

comme (elle est venue) de Dieu, 
Devant Dieu, 

en Christ nous la disons. 

Ceci est le point de départ. On nous dira bientôt qui sont 
les « trafiquants de la parole de Dieu ». Mais aurait-on pu, 
à l'âge apostolique, lancer pareille injure contre les pauvres 
Galiléens qui attendaient à Jérusalem l'avènement de leur 
Christ, ou contre ceux qui s'en allaient par les synagogues 
dire que le Messie allait venir et que ce Messie était Jésus ? 
Galates nous avait appris que Pierre, Barnabe et les autres 
ont prévariqué à l'égard du véritable Evangile ; I Corin- 
thiens les traiterait plutôt d'étrangers ; maintenant ce sont 
de faux apôtres. 

Cependant l'auteur pense mieux de la Loi que celui qui 
a conçu la gnose de Romains. La Loi ne laisse pas d'être une 
alliance, « l'alliance de la lettre », qui a été instituée par 
le même Dieu que ralliance de l'Esprit, dont Paul est le 
héraut. Après avoir protesté que son apostolat n'a pas 
besoin d'être autorisé par des lettres de recommandation, 
les Corinthiens étant comme la lettre spirituelle que lui- 
même a écrite et qui lui rend témoignage, l'auteur s'en- 
gage dans une dissertation quelque peu confuse sur les deux 
alliances, celle de la Loi, alliance de la lettre et de la mort, 
et la nouvelle alliance qui est celle de l'Esprit, incompara- 
blement supérieure à l'autre ; le voile que Moïse se mettait 
sur la tête en sortant de ses entrevues avec Dieu figurait 
celui qui est posé sur le cœur d'Israël, ou sur la lecture de 
l'ancienne Alliance, ce voile n'étant aboli que dans le Christ. 
La correspondance des deux Alliances, bien qu'elle soit tout 
à l'avantage de l'Alliance spirituelle, ne laisse pas d'être 



52 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

significative. Quant à l'Alliance spirituelle : « Le Seigneur 
c'est l'Esprit... Et nous tous, à visage découvert » — à la 
différence de Moïse et d'Israël avec leur voile, — « reflétant 
la gloire du Seigneur, en même image » — l'image même du 
Christ — « nous sommes transformés » — Et donc le véri- 
table Evangile est un Evangile de lumière. — « Si pour- 
tant notre Evangile est voilé, c'est chez les perdus qu'il est 
voilé », — et les perdus, ici, ce ne sont pas les enfants 
d'Israël, ce sont les faux apôtres et leur clientèle, censés 
d'ailleurs judaïsants, — « chez ceux dont le dieu de cet âge 
a aveuglé les intelligences de non croyants pour qu'ils ne 
voient pas la lumière de la gloire du Christ, lequel est image 
de Dieu. » 

« Le dieu de cet âge » est une formule insolite dans le 
Nouveau Testament ; mais le morceau que nous analysons 
contient une doctrine qui a bien d'autres particularités. » 
« Le dieu de cet âge » est apparenté aux « princes de cet 
âge » que nous avons rencontrés dans I Corinthiens » \ 
au « prince de ce monde », que l'on trouve dans le quatrième 
Evangile ^ ; « le dieu de cet âge » n'est pas pour autant, le 
créateur du monde visible et le démiurge de Marcion, il 
n'est que l'archonte supérieur qui préside, plutôt mal que 
bien, à « l'âge présent et mauvais » ^. 

Et notre Paul mystique décrit le renouvellement de 
« l'homme intérieur » en attendant que « la tente qu'est 
notre habitacle terrestre », — c'est-à-dire notre corps, — 
« ce qui est mortel, soit absorbé par la vie » *. Puis reprenant 

1. Cf. supr., p. 47, n. 1. 

2. Même référence. 

3. Cf. Galates, i, 4, supr., p. 35, n. 2. Dans II Corinthiens, ir, 6, la 
citation de Genèse, i, 3, fait surcharge, la suite du v. : « qui a brillé 
dans nos cœurs », etc., se rattachant naturellement à la fin du v. 5, 
Autre surcharge dans iv, 13-14, citation du Psaume cxvi, 10, et com- 
mentaire. 

4. La rédaction est surchargée de gloses mal venues qui tendent 
(comme l'a très bien vu Turmel, III, 24-25) à introduire une façon quel- 
conque de résurrection corporelle dans un texte qui connaissait seule- 
ment l'immortalité bienheureuse des âmes : v, 2-3 a, puis, dans le 
corps du V., ce qui sépare : « nous gémissons accablés », de « pour que 
ce qui est mortel, etc. » ; enfin Je v. 5 (qui a son parallèle dans i, 23). 
Mais cette doctrine, dans l'antiquité chrétienne, a été professée par 
bien d'autres que Marcion. Du reste, Marcion paraît avoir connu le 
texte glosé de v, 1-5 (Hamack, Marcion, 97-98*). 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 53 

la doctrine de Romains sur la mort et la résurrection du 
croyant dans le Christ, il proclame que le Christ est mort 
« afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais 
pour celui qui pour eux est mort et ressuscité, en sorte que 
nous, désormais, personne nous ne connaissons selon la 
chair ; si même nous avons connu selon la chair Christ, ainsi 
maintenant nous ne le connaissons plus (v, 14-16). — Pour 
le lecteur sans parti pris, cela ne signifie pas que le Christ 
n'avait pas de chair, cela signifierait plutôt le contraire^ 
mais que le Christ temporel, si on l'ose dire, le Christ de 
chair en sa vie humaine, compte de peu ou même de rien, en 
comparaison du Christ esprit en son immortalité. Que le 
Christ des prétendus judaïsants, c'est-à-dire, de la tradition 
commune, soit par là déprécié, on ne peut guère le contes- 
ter ; mais ce trait n'est pas non plus spécifiquement mar- 
cionite. 

« Aussi bien, si quelqu'un est dans le Christ, il est nouvelle 
créature » \ et « tout cela vient de Dieu », parce que « c'est 
Dieu qui dans le Christ s'est réconcilié le monde, ne leur 
imputant pas leurs péchés, et mettant en nous la parole de 
réconciliation. Donc pour Christ nous traitons. Dieu, pour 
ainsi dire, exhortant par nous » (v, 17-21). Et l'auteur se 
laisse aller à raconter avec quel dévouement, à travers 
quelles épreuves, il s'est acquitté d'un si haut ministère 
(vi, 1-10) 2. Puis se rappelant qu'il parle, ou qu'il est censé 
parler aux Corinthiens, il leur demande d'élargir leurs 
cœurs à la mesure du sien pour lui faire une place et il se 
déclare uni à eux « pour la mort et pour la vie » (vi, 11-13 ; 
VII, 2-4) 3. Peut-être cette vibrante instruction n'allait-elle 
pas plus loin ; car l'apologie que nous allons trouver dans 

1. Cf. supr., p. 28, la citation de Galates, vi, 15. 

2. Dans vi, 2-3, la citation d'Isaïe, xlix, 8, fait corps avec son 
contexte ; mais l'auteur qui utilise ainsi l'Ancien Testament n'était pas 
marcionite. 

3. La lettre de consolation a été coupée violemment sur la mention 
de Tite, après ii, 13 ; sa suite naturelle ne saurait être dans vi, 11, elle 
est dans vu, 5-16 (5 ayant été ajouté ou retouché pour ménager la tran- 
sition). Lr surcharge, vi, 14-vii, 1, est homogène, et il est arbitraire 
d'en retirer les citations bibliques de vi, 16 6-17 ; car vu, 1 s'y réfère et 
ces citations sont le commentaire naturel de vi, 16 a. L'ensemble est 
un bloc erratique sans rapport avec les éléments principaux de l'Epître. 



54 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

la dernière partie de l'Epître est plutôt un doublet qu'une 
suite de celle-ci, avec plus de précision dans le panégyrique 
personnel et plus de violence dans la dénonciation des ad- 
yersaires. 

I-e second panigyrique commence après les deux instruc- 
tions sur la collecte (viii-ix) \ entremêlé à des fragments 
d'une lettre sévère, antérieure à la lettre de consolation que 
nous avons mentionnée plus haut. Chargé de « détruire les 
sophismes et toute hauteur qui s'élève contre la science de 
Dieu », de captiver toute « pensée dans l'obéissance au 
Christ » et de « châtier toute désobéissance », défiant tels 
a qui se persuadent d'être au Christ », Paul, le Paul mys- 
tique se flatte aussi de lui appartenir, et il ne craint pas 
d'entreprendre son propre éloge, ou, si l'on veut, son apo- 
logie (xii, 8) 2. Cela commence sur le ton de l'ironie : 

Car nous n'osons nous égaler 

ou nous comparer nous-mêmes à certains 

qui eux-mêmes se recommandent, 
Mais qui, eux-mêmes en eux-mêmes se mesurant 

et se comparant à eux-mêmes, 

(en) sont inconscients. 
Quant à nous, outre mesure nous ne nous vanterons pas, 

mais dans la mesure du mètre 
Avec lequel Dieu nous a donné mesure : 

d'être arrivés jusqu'à vous. 

L'auteur s'exprime comme si d'autres voulaient lui ravir 

1. Ces deux instructions ne semblent pas avoir été retouchées ; cepen- 
dant viii, 9, est une addition empruntée à la gnose mystique. Noter 
que les noms des deux frères envoyés avec Tite ont été supprimés 
dans VIII, 16, 22. De plus, les deux billets ne sont pas disposés dans 
l'ordre chronologique de leur rédaction. La seule présence de ces deux 
billets, qui sont des messages indépendants, au beau milieu de l'Epître, 
suffit à montrer que cette Epître est, pour le moins, une compilation 
assez mai venue. 

2. Il semble que dans x, 1, 2, l'on doive considérer comme apparte- 
nant à la lettre sévère (authentique) : « Moi Paul, qui, en face, suis 
huinble parmi vous — je vous demande de n'avoir pas, présent, à être 
hardi », rejoignant 9-11 ; l'introduction à l'apologie du Paul mystique 
se fait par les mots : « Je vous prie par la douceur et la bonté du 
Christ », rejoignant (2 b-8) : '< avec l'assurance dont je pense user envers 
certains qui estiment que nous marchons selon la chair », etc. (Turmel, 
111,31-33,174). 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 55 

ceux qu'il a gagnés au Christ et les avaient séduits en leur 
proposant un autre Jésus, un autre esprit, un autre Evan- 
gile que ceux qu'ils ont reçus. Or Paul ne se croit en rien 
inférieur à ces « superapôtres » (x, 12-xi, 6 a) ^. — Rappe- 
lons-nous les « notables » et les « colonnes » de Galates 
(il, 2, 6, 9) ; les superapôtres leur sont de près apparentés, à 
moins qu'ils ne leur soient identiques. Mais on nous en 
donne le signalement (xi, 13-15) : 

Ces gens-là sont de faux apôtres, 

des ouvriers imposteurs, 

déguisés en apôtres du Christ. 
Et ce n'est pas merveille ; 

car Satan lui-même 

se déguise en ange de lumière ; 
II n'est donc pas étonnant que ses ministres aussi 

se déguisent en ministres de justice. 

Leur fin sera selon leurs œuvres. 

Cependant les Corinthiens supportent ces « insensés » ; 
Paul va montrer qu'il vaut bien ces faux apôtres, même sur 
les points oii ils se vantent. Et le voilà qui récapitule sa 
carrière avec un luxe de précisions qui sont ignorées du 
livre des Actes, ou qui même y contredisent, comme il 
arrive pour le rôle de l'ethnarque d'Arétas dans l'incident 
de Damas 2. — Même en faisant la part de la rhétorique, on 

1. Notons encore x, 17, une citation de Jérémie, ix, 22-23, que ne 
ferait pas un auteur marcionite. Quant aux superapôtres, si l'appella- 
tion est ironique, on voit bien que celui qui parle ne l'a pas inventée et 
qu'elle vient de ceux qui faisaient de Paul un apôtre de seconde ligne, 
parce qu'ils avaient encore souvenance d'une large acception du mot. 
Mais quels apôtres de première ligne pouvait-on opposer à Paul, 
sinon ceux que la tradition avait déjà faits tels, bien qu'ils ne l'eussent 
pas été ? La polémique attestée par notre texte nous transporte en 
un temps où la fonction des apôtres itinérants n'existait plus que dans 
un souvenir qui n'était pas récent. 

2. La notice (xi, 32-33) est en contradiction avec celle d'Actes, ix, 
23-25 ; mais il n'est pas indiqué de préférer celle-ci, surtout lorsqu'on 
n'admet pas l'historicité du voyage de Paul à Jérusalem, qui y est 
connexe (Galates, i, 18-19 ; Actes, ix, 26-30). Il n'est pas vrai que 
Paul soit venu à Jérusalem en ce temps-là ; mais il est faux également 
qu'il ait prêché l'Evangile à Damas après sa conversion, provoquant 
un complot des Juifs qui aurait déterminé sa fuite. Imagine-t-on qu'un 
porte-parole de Paul, un siècle après l'événement, ait été en mesure 
d'évoquer le nom d'Arétas, pour donner couleur à une fiction ? Le 



56 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

doit reconnaître que l'auteur paraît bien savoir ce qu'il 
dit : s'il n'est pas Paul lui-même, il était bien informé. — II 
en vient même à célébrer la grande révélation qui lui a été 
faite, sans doute la vision qui l'a converti, et dont il ne 
lui est pas permis de dire tout ce qu'il y a appris i. Du reste, 
« une épine dans la chair » l'empêche de s'enorgueillir ; 
aussi bien se glorifie-t-il « en faiblesses, outrages, afflictions, 
persécutions, détresses pour le Christ ». Son ministère à 
Corinthe a été illustré par les signes caractéristiques du 
véritable apôtre : « toute patience, signes, prodiges, mi- 
racles ». — Peut-être en voilà-t-il trop pour l'histoire, aussi 
pour la vraisemblance du discours. — De même que « le 
Christ a été crucifié en raison de faiblesse mais vit par la 
puissance de Dieu », Paul est « faible » en Christ mais vit 
avec lui par la puissance de Dieu, à l'égard des Corinthiens ; 
à ceux-ci de le comprendre (xi, 6-xii, 12 ; xiii, 3-9). 

Au lecteur aussi de comprendre que le Paul de l'histoire 
ne s'est jamais trouvé en compétition violente avec les 
judaïsants de son temps. L'on ne saurait reprendre ici 
dans le détail toutes les allégations du Paul mystique contre 
ses adversaires pour montrer que, les adversaires étant tou- 
jours les prétendus apôtres toujours prétendument judaï- 
sants, les situations respectives du Paul mystique et de 
ses adversaires ne sont pas ce qu'ont pu être, ce qu'ont été 
réellement les relations du missionnaire Paul et des pre- 
miers croyants de Jésus qui étaient restés à Jérusalem. On 
sait ce qui s'est passé à Corinthe ; on sait, par les parties 
authentiques de l'Epître aux Galates, comment Paul a 

texte ne dit pas que l'ethnarque d'Arétas ait été gouverneur de Damas, 
il laisse même entendre le contraire : qu'un groupe nabatéen ait existé 
auprès de la cité damascène, avec son représentant officiel devant 
l'autorité romaine, cela n'a rien de si extraordinaire en ce temps-là. 
Voir, par exemple, le statut des Juifs en maint endroit, notamment à 
Alexandrie. 

1. Cette notice (xii, 2-4) fait difficulté ; car on ne peut pas songer à 
une autre révélation que celle de la conversion, en logeant n'importe où 
cette vision extraordinaire, ni admettre pour la conversion la date 
impliquée dans le texte : quatorze ans avant le temps où Paul est censé 
écrire. Il y aurait environ dix ans de plus. Les quatorze ans indiqués 
par Galates, ii, 1, pour marquer la date du voyage de Jérusalem, auront 
fait mirage dans la mémoire du porte-parole ; mais Paul lui-même 
n'aurait pu commettre cette méprise. 



LES DEUX PERSONNAGES DE PAUL 57 

réagi contre l'offensive judaïsante qui s'était produite en 
Galatie, et dont il n'est pas établi qu'elle ait été encouragée 
par Jérusalem ; on sait dans quelles conditions Paul a réa- 
lisé son dernier voyage à Jérusalem ; et ce n'est pas au 
moment où Paul organisait ses collectes pour les saints de 
Jérusalem qu'il aurait pu lancer des oracles fulminants 
contre des superapôtres qui d'ailleurs étaient alors inexis- 
tants. Il y a toujours la même équivoque résultant de ce 
qu'un Paul de convention parle au nom du Paul historique 
contre des adversaires qui, en réalité, ne sont pas de l'âge 
apostolique, mais qui allèguent contre la tradition mys- 
tique du paulinisme, le prestige grandissant du prétendu 
collège apostolique qui aurait existé dès l'origine à Jérusa- 
lem. Ainsi donc nous entendons dans les parties mystiques 
de la Seconde aux Corinthiens, comme dans les parties 
mystiques de la Première et de l'Epître aux Galates, un 
porte-parole de Paul qui s'essaie à combattre les porte- 
parole des superapôtres, de ceux que l'on commençait à se 
représenter comme les seuls apôtres du Christ, les seuls 
apôtres du monde et les seuls maîtres de la vérité. La 
mémoire de Paul n'a, certes, rien à perdre à ce qu'on le 
décharge du rôle violent que lui ont prêté ses apologistes. 



CHAPITRE III 
Morceaux détachés de I Corinthiens. 



Cet examen des Epîtres aux Corinthiens serait trop in- 
complet si nous n'essayions d'analyser la composition de 
certains morceaux particulièrement importants dans la 
première Epitre ^ : la leçon sur le mariage et la virginité, la 
leçon sur la cène mystique, la leçon sur les dons spirituels 
avec le cantique de l'amour, la leçon sur la résurrection. La 
seule énumérationde ces thèmes montrerait déjà qu'il s'agit 
d'un recueil d'enseignements ; ce n'est pas précisément 
matière de correspondance ; et l'on pourrait presque dire 
que chacun de ces enseignements a sa physionomie propre. 



La leçon sur le mariage et la virginité (vu) n'a pas lieu de 

nous retenir longtemps. Il suffira d'en noter l'incohérence, 

/' 
1. Comme nous n'écrivons pas utf commentaire complet des Epîtres, 
nous ne discuterons pas à fond la composition de I Corinthiens, v. 
Disons seulement (conformément à l'analyse de Turmel II, 142-146) 
qu'appartiennent à la lettre de Paul : v, 1-2, 6-7 a, réglant l'affaire de 
l'incestueux ; 3-5 fait surcharge et suggère une autre solution de 
l'affaire. Un glossateur ajuste à ce qui était dit du vieux levain {7 a) des 
considérations morales, en interprétation spirituelle de la Pâque chré- 
tienne, dont l'Agneau est le Christ ; puis il émet, en se référant gauche- 
ment à v, 1-2, une exhortation contre la fréquentation de tous les 
pécheurs scandaleux (7 6-13, vi, 9-11) et contre l'impudicité (12-20, 
abstraction faite de gloses dans 14, de la citation de 16 b, et de la 
réflexion de 19). Un interpolateur plus récent a inséré dans cette 
moralité une instruction contre les procès de chrétiens devant les 
juges païens (vi, 1-9 a). Ici l'interpolation est flagrante, du moins pour 
un esprit non prévenu. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 59 

et d'abord la singularité de sa perspective. Car Paul est 
censé répondre à des questions que lui ont posées par lettre 
les Corinthiens, comme si l'Apôtre, durant tout le temps 
qu'il a employé à fonder la communauté, avait négligé 
d'instruire ses convertis sur le sujet. Dans la réalité, les 
questions ne se sont posées que plus tard. La formule d'in- 
troduction (vu, 1) : « Quant à ce dont vous m'avez écrit », 
a toute chance d'être purement rédactionnelle, et de rédac- 
tion très secondaire. Le fond de l'instruction paraît con- 
sister dans les déclarations absolues concernant la conti- 
nence et ses avantages (vu, 1 b, 7-9, 28 6-35), tout le 
reste semblant s'y coordonner en manière d'application 
élargissante par concession à la faiblesse humaine. 

Rien de spécifiquement marcionite dans ce qui est dit en 
faveur de la continence : l'Apocalypse (vu, 14 ; xiv, 3-4) ne 
semble-t-elle pas connaître seulement comme élus des 
martyrs vierges ? Du reste, Marcion, qui ne recevait dans 
son Eglise que des continents, n'aurait pas écrit (vu, 9) : 
« Mieux vaut se marier que brûler. » Le casuiste qui (dans 
VII, 2-6) autorise et règle l'usage du mariage y va de la meil- 
leure foi du monde ; encore a-t-il soin d'observer que, si le 
mariage est parfaitement licite, tant s'en faut qu'il soit 
d'obligation pour tous. 

Un peu plus loin, le même casuiste, — car c'est probable- 
ment le même, — traite la question du divorce (vu, 10-16), 
et il commence, en alléguant le précepte du Seigneur, 
c'est-à-dire la tradition évangélique (Marc, x, 1-12 ; Mat- 
thieu, V, 31-32), par interdire le divorce aux époux chré- 
tiens ; mais il a aussi considéré la question par rapport aux 
mariages mixtes, ceux où l'un des conjoints n'est pas chré- 
tien, et là il reconnaît ouvertement que le cas n'a pas été 
prévu dans l'Evangile ; il le résoudra donc selon sa propre 
sagesse, en déclarant que, si le conjoint infidèle consent à 
vivre pacifiquement avec le conjoint chrétien, celui-ci ne 
doit pas se séparer ; il en va autrement si le conjoint infi- 
dèle prend l'initiative de la séparation. — Au fond tout 
cela se déduit sans égard à la situation particulière de la 
communauté corinthienne au temps de Paul, et à bonne 



60 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

distance de l'âge apostolique. — De même ce qu'on lit 
ensuite touchant l'opportunité pour chacun de rester dans 
la situation où il était quand il est devenu chrétien (vu, 
17-24). 

Le même casuiste touche ensuite à la question des vierges 
(vu, 25-35), parce qu'il a quelque chose à en dire qui 
n'était pas dans le document qu'il paraphrase : la conti- 
nence n'a pas été prescrite par le Seigneur, — et ceci est 
encore une référence à la tradition évangélique, — mais 
c'est chose recommandable et opportune ; toutefois ceux 
qui se marient ne pèchent pas. — Et ceci est dit pour con- 
damner les encratites qui voudraient faire de la continence 
une obligation absolue. Ces tendances divergentes peuvent 
remonter au premier âge chrétien, mais pas au temps de 
Paul. — Il en va de même pour les cas de conscience qui 
sont résolus à la fin du chapitre : le cas du frère, gardien 
d'une vierge, qui se sent incapable de résister à l'instinct 
sexuel et à qui on permet d'épouser sa compagne, bien qu'il 
fût mieux, assurément, de conserver à une telle association 
son caractère tout spirituel (vu, 36-38) ; le cas de la veuve 
qui se remarie, et dont on autorise les secondes noces 
pourvu que ce soit avec un chrétien, bien qu'il fût mieux, 
ici encore, de rester dans une chaste viduité (vu, 39-40). 
— Cet auteur combat des docteurs moins tolérants, mais 
rien n'oblige à penser qu'il s'agit de montanistes, quoique 
les cas envisagés ne soient pas non plus de l'âge aposto- 
lique. 

II 

L'instruction sur la tenue de la cène (xi, 17-34) paraît 
annoncée sous le même chef (xi, 2) que l'instruction sur le 
voile que les femmes doivent garder quand elles prient ou 
prophétisent dans les assemblées (xi, 3-16) ; mais il suffit 
de considérer le verset de suture entre les deux morceaux 
(xi, 17) pour s'apercevoir que ce verset a été surchargé d'un 
mot : « prescrivant », par manière de référence à l'instruc- 
tion sur le voile, et qu'il demande à se rattacher directe- 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 61 

ment au préambule qui lui est devenu commun avec cette 
leçon. Ce fait permet de voir comment l'on a pu grouper 
des instructions originairement différentes et, au fond, dis- 
parates, d'après un certain rapport que l'on percevait entre 
elles : ici les deux instructions concernent des abus qui se 
produisaient dans les assemblées. Laissant provisoirement 
de côté l'instruction sur le voile des femmes, voyons com- 
ment se présentait originairement l'instruction sur la tenue 
de la cène (xi, 2). 

Or je vous loue ^ 

de ce qu'en tout de moi vous vous souvenez, 
Et, comme je vous les ai transmises, 
les traditions vous conservez. 

Des « traditions » déjà, et « transmises » par Paul ! Nous 
verrons que la perspective de l'instruction est équivoque 
par nécessité, s'étendant de l'âge apostolique, où l'ensei- 
gnement est censé donné, à l'époque plus récente, où a vécu 
l'auteur. 

Mais ceci je ne loue pas, 

que ce n'est pas pour le mieux, 

mais pour le pire, que vous vous réunissez. 

Ici (xi, 18-19) une explication qui fait surcharge et qui 
double l'explication originale, donnée ensuite : 

Tout d" abord, quand vous vous réunissez en communauté, j'ap- 
prends qu'il y a chez vous des divisions — littéralement : schismes, 
— et pour une part je le crois. Il faut bien qu'il y ait même des 
partis — littéralement : hérésies — chez vous, pour que les 
(hommes) éprouvés deviennent manifestes parmi vous. 

Cette remarque n'est pas des tout premiers temps, elle 
vise des groupements plus ou moins dissidents, comme il 
y en avait au temps de la crise gnostique. La communauté 
chrétienne, au temps de Paul, assez peu nombreuse, n'en 

1. Le mot : « frères », ajouté dans certains témoins du texte, semble 
recommandé pour l'équilibre rythmique du passage. 



62 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

était pas là : on s'y querellait, tout simplement. — Le vrai 
grief (XI, 20-22) : 

Car lorsque vous vous réunissez ensemble, 

ce n'est pas manger la cène du Seigneur ; 
Car chacun prend d'avance son propre repas, quand on mange, 

et lun est affamé, tandis que l'autre est ivre. 
N'avez-vous donc pas de maisons pour manger et boire 

ou bien méprisez-vous la communauté de Dieu 

et faites-vous honte à ceux qui n'ont rien ? 
Que vous dirai-je ? vous louerai je ? 

En cela je ne vous loue pas. 

L'auteur affecte de penser que la cène ainsi pratiquée 
n'est pas « la cène du Seigneur », parce que ce n'est pas la 
cène mystique dont il va exposer l'économie. Il n'y a pas 
lieu, pour autant, de le prendre au mot et de découper 
dans ces quelques lignes des bouts de phrases qui seraient de 
Paul et qui se rapporteraient à un repas ordinaire, voire à 
une bombance à laquelle il manquerait seulement d'être 
fraternelle ^. Le baptême chrétien, aux temps apostoliques 
était donné en vue de l'admission au règne de Dieu qui 
allait venir par Jésus-Christ, et ce n'était pas unibain quel- 
conque ; la cène pareillement était comme l'anticipation du 
festin des élus, et elle se tenait en souvenir et en attente de 
Jésus. Nous Talions voir dans un instant. 

Recommandation de la cène mystique (xi, 23-26) : 

Car j'ai reçu, moi, du Seigneur, 
ce qu'aussi je vous ai transmis. 

La teneur de la cène mystique serait une des traditions 
dont il a été parlé d'abord (xi, 2), mais une tradition que les 
Corinthiens auraient mal gardée ou qu'ils auraient oubliée. 
Or on va nous raconter un fait que l'auteur aurait appris du 
Seigneur lui-même. L'équivoque de cette présentation, on 
ne saurait trop le répéter, tient à l'artifice de la perspective 
générale. Le Paul qui parle ici prétend avoir su de Jésus 

1. Voir la curieuse théorie de Turmel, II, 61-64. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 63 

lui-même, en vision, tout ce qu'il dit ; mais, en réalité, la 
cène, qu'il veut relever en mystère, est, depuis l'origine, 
une tradition, et de cette tradition il détermine le sens qu'il 
y veut donner, tout en affectant de le rappeler seulement. 
Et ce sens est le suivant : 

Que le Seigneur-Jésus, en la nuit où il fut livré, 
prit du pain et, grâces rendues, le rompit et dit : 

« Ceci est mon corps (qui est), pour vous. 
Ceci faites en souvenir de moi. » 

Evidemment l'auteur a conscience de loger dans un cadre 
traditionnel son interprétation de la cène. Ses lecteurs con- 
naissent « la nuit oii Jésus a été livré » ; ils connaissent le 
dernier repas que Jésus prit avec ses disciples. — ■■ Toutefois, 
notons-le en passant, ni eux ne le connaissent ni l'auteur 
ne le comprend comme ayant été un repas pascal. — Tou- 
jours est-il que l'auteur a dans l'esprit un cadre évangélique 
de la passion, ou plutôt, en un sens, de sa commémoration. 
Que ce cadre ait été nettement fixé dès le temps de Paul, il 
est permis d'en douter ; il l'était depuis assez longtemps au 
moment où notre auteur écrit : 

Pareillement, aussi la coupe, après le repas, disant : 

« Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang. 

Ceci faites, toutes fois que vous boirez, en souvenir de moi. » 
Car toutes fois que vous mangez ce pain, 

et cette coupe vous buvez, 
La mort du Seigneur vous proclamez, 

jusqu'à ce qu'il vienne. 

L'indication finale : « jusqu'à ce qu'il vienne », est inté- 
ressante ; elle est indispensable. On ne peut l'écarter comme 
« une addition catholique » ^ sans mutiler l'ensemble, sans 
laisser la phrase suspendue en l'air. Noter que dans le der- 
nier verset (26), l'auteur, insensiblement, prend la parole, 
bien que l'on pût croire d'abord que le Christ continuait de 
discourir. Il va de soi que l'auteur a trouvé le pain et la 

1. Turmel, II, 160, n. 1. 



64 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

coupe, avec un autre commentaire, dans le récit qu'il 
exploite, et que la mention finale du grand avènement vient 
aussi de là. Et donc il a réellement encadré son interpréta- 
tion mystique de la cène chrétienne dans le schéma pré- 
existant de la cène eschatologique ^. 

Mais on nous dit maintenant 2 que cet auteur, marcio- 
nite, ne parlait ni du corps, ni du sang du Christ ; que le 
texte de Marcion portait simplement, après la bénédiction 
sur le pain : « Ceci faites en souvenir de moi », et après la 
bénédiction sur la coupe : « Ceci faites, toutes fois que vous 
boirez, en souvenir de moi. » Marcion, le premier, aurait 
introduit la commémoration du Seigneur dans un repas 
jusque-là vulgaire ; cette réforme aurait été codifiée dans 
la rédaction marcionite de l'Epître et aussi bien, en abrégé, 
dans l'Evangile de Luc, vers 140, avant que Marcion n'eût 
été expulsé de l'Eglise ; mais après la rupture, vers 150, 
on se serait avisé, du côté catholique, d'ajouter les paroles : 
« Ceci est mon corps », etc., « Cette coupe », etc., pour signi- 
fier, contre Marcion, que le Christ avait un corps véritable et 
du sang. On nous assure même que l'apologiste Justin, à 
Rome, « a dû avoir des entretiens soit avec l'auteur du texte 
lui-même, soit avec des hommes qui connaissaient l'auteur, 
qui l'approchaient »,et Justin témoignerait que les paroles ne 
signifient pas autre chose que la réalité physique de l'incar- 
nation du Christ. Telle est la thèse, et si jusqu'à présent 
nous avons suffisamment appris à nous défier de Marcion 
et de son interprète, il est permis de trouver que, cette fois, 
ils demandent au bon sens du lecteur un peu trop de sacri- 
fices. 

D'abord, qu'y avait-il réellement dans la recension mar- 
cionite de I Corinthiens et de l'Evangile au sujet de la 
cène ? TertuUien est peu explicite sur ce sujet, mais il avait 
lu dans l'Evangile de Marcion les mots : « Ceci est mon 
corps 3 ». Il est facile de dire que les exemplaires marcio- 
nites ont été assez souvent retouchés après Marcion. Mais 

1. Voir La Naissance du Christianisme, 288-293. 

2. Turmel, II, 68-82. 

3. Voir Harnack, Marcion, 215*. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 65 

Marcion lui-même, qui gardait les sacrements de l'Eglise, 
avait sûrement un récit de la cène. On prétend que, dans ce 
récit, il n'y avait rien ; car ce qu'on nous donne comme texte 
de Marcion, dans I Corinthiens, xi, 23-25, ne contient que 
la prescription de prononcer la bénédiction sur le pain et 
sur la coupe « en souvenir » du Christ. On voudrait, il est 
vrai, nous faire accroire que le repas de communauté était, 
avant lui, une beuverie qui n'avait rien de commémoratif . 
Mais nous venons de voir que le texte même de l'Epître 
atteste le contraire : la prétendue vision de Paul présuppose 
le récit traditionnel d'une cène célébrée dans la perspec- 
tive du grand avènement, d'une cène eschatologique, si l'on 
peut dire, qui aurait été inaugurée dans le dernier repas de 
Jésus. Cette cène donc se célébrait déjà, et depuis longtemps, 
« en souvenir » du Christ. L'initiative supposée de Marcion 
aurait été sans motif. On objecte, et non sans apparence de 
raison, que l'invitation à « faire ceci » ne se rattache pas 
naturellement à : « Ceci est mon corps », « Cette coupe est 
la nouvelle alliance », mais au rite de bénédiction indiqué 
avant les paroles. L'espèce d'incohérence que l'on signale 
résulte précisément de ce que la commémoration existait 
dans la cène eschatologique avant l'intrusion des paroles où 
se définit la cène mystique, la combinaison des deux étant an- 
térieure à Marcion, comme aussi bien la gnose de salut avec la- 
quelle nous voyons que les paroles mystiques sont en rapport. 
Les conversations imaginaires, singulièrement imaginées, 
de Justin avec l'auteur des paroles où se définit la cène 
mystique, appartiennent à la catégorie des hypothèses qu'il 
est permis de laisser tomber sans discussion. Quant aux 
textes mêmes de Justin, ils n*ont pas le caractère de scolas- 
tique raffinée qu'on y a voulu trouver. Lorsque Justin 
écrit \ à propos d'/saïe, xxiii, 16 : « Le pain lui sera donné, 
et l'eau ^ lui sera constante », que cette prophétie concerne 

1. Dialogue, Lxx. 

2. Cette application du texte semblerait concerner une cène sans 
vin. Cf. La Naissance du Christianisme, 298, n. 1, et 300, n. 7. Tatien 
et les encratites, aussi Marcion, célébraient la cène sans vin. Ce qu'on 
lit dans I Corinthiens, x, 1-5, touchant les sacrements du désert, figure 
des sacrements chrétiens, pourrait aussi bien s'y accorder. 



66 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

« le pain que notre Christ nous a prescrit de consacrer en 
mémoire de son incarnation et de ses souffrances pour les 
croyants, et la coupe qu'il a prescrit de consacrer avec ac- 
tion de grâces en mémoire de son sang », il n'entend pas 
signifier par là que les chrétiens condamnent le docétisme 
de Marcion ; il exprime la foi de l'Eglise au symbolisme 
mystique moyennant lequel le chrétien communie dans la 
cène au Christ mort pour son salut. Aucun critique au 
monde n'a le droit ni le pouvoir de transformer les textes où 
s'est exprimée l'évolution de la foi et du culte dans le chris- 
tianisme des premiers temps en arguties scolastiques 
de théologiens qui n'auraient eu souci que de se contredire 
réciproquement à propos de vieux textes qu'ils s'obsti- 
naient à garder en en travestissant le sens. 

C'est un sentiment religieux qui s'exprime dans la suite 
de notre chapitre (xi, 27-34) : 

En sorte que qui mange le pain 

et boit la coupe du Seigneur indignement 

est coupable envers le corps et le sang du Seigneur. 

On ne peut pas s'arrêter sur le mot : « coupable » \ 
comme si la suite était une glose antimarcionite. C'est 
parce qu'il s'agit du corps et du sang du Seigneur que l'on 
est coupable en communiant indignement. 

Que l'homme s'éprouve lui-même, 

et ainsi du pain mange 

et à la coupe boive. 
Car qui mange et boit 

mange et boit sa condamnation, 

s'il ne fait pas discernement du corps. 

Ici encore la dernière ligne est indispensable, et il n'y a 
pas lieu d'y voir une glose antimarcionite. Les consé- 
quences du sacrilège sont décrites ensuite, et il est inutile 
de les commenter. 

Quelques autres passages de I Corinthiens peuvent être 

1. Comme fait Turmel, II, 160. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 67 

examinés en illustration de ce qui précède. D'abord un 
petit passage (v, 7-8) qu'on nous dit être « d'origine mar- 
cionite » et « rédigé vers 140 » ^. En conclusion d'une leçon 
morale, nous lisons : 

[Débarrassez-vous du vieux levain, 

pour que vous soyez nouvelle pâte,] 

vu que vous êtes azymes. 
Aussi bien notre pâque est-elle immolée, Christ, 

de façon, que nous célébrions la fête, pas avec le vieux levain 
Ni avec levain de malice et de méchanceté, 

mais avec des azymes de pureté et de vérité. 

Il s'agit de la Pâque chrétienne, mystiquement comprise, 
celle dont le Christ est l'agneau pascal. Cela ne nous con- 
duit pas à Marcion, puisque la notion du Christ-Agneau 
est déjà dans l'Apocalypse ; cela n'est pas davantage une 
critique des quartodécimans, et c'est plutôt la canonisation 
de leur observance, puisqu'ils célébraient la mort salutaire 
du Christ au jour et à l'heure où les Juifs immolaient 
l'agneau pascal 2. 

Dans une instruction sur les idolothytes (x, l-22),rauteur 
évoque les sacrements du désert en type des sacrements 
chrétiens : 

Je ne veux pas que vous ignoriez, 

frères 
Que nos pères tous sous la nuée furent 

et que tous par la mer ont passé, 
Que tous en Moïse furent baptisés 

dans la nuée et dans la mer, 
Que tous le même aliment spirituel mangèrent 

et tous burent le même breuvage spirituel, 
— Car ils buvaient à la pierre spirituelle qui les accompagnait ^, 

et cette pierre était le Christ, — 
Mais qu'en la plupart d'entre eux ne se complut pas Dieu, 

car ils furent abattus dans le désert 

1. Turmel, II, 36. 

2. Cf. supr., p, 63, ce qu'on y lit du dernier repas de Jésus. 

3. La mobilité de la pierre miraculeuse du désert est une tradition 
rabbinique. Cf. La Naissance du Christianisme, 297, n. 1. 



68 SUR LÀ LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

en raison de leurs désobéissances. 

Or, cela typiquement leur est advenu, 
et ce fut écrit en leçon pour nous, 
sur qui la fin des temps est arrivée. 

Le principal intérêt de ce curieux passage pourrait bien 
être dans le rapprochement qui s'y fait du baptême et de 
l'eucharistie comme de deux sacrements connexes,tellement 
connexes qu'on les transporte avec le même rapport dans 
l'Ancien Testament, où nous ne serions point allés les cher- 
cher. D'autre part, le caractère homilétique du morceau 
apparaît dans la leçon morale qui en est le principal objet. 
L'espèce de comparaison qui est instituée ensuite entre la 
cène chrétienne et les repas des sacrifices païens n'est pas 
moins suggestive : 

La coupe de bénédiction que nous bénissons 
n'est-elle pas communion au sang du Christ ? 

Le pain que nous rompons 

n'est-il pas communion au corps du Christ ? 

Parce qu'est un seul pain, 

un seul corps, bien que nombreux, nous sommes, 
car tous à l'unique pain nous participons... 

Comment cette communion au Christ serait-elle compa- 
tible avec la participation aux sacrifices des païens ? 

Ce qu'ils sacrifient, 

aux démons et non à Dieu ils le sacrifient : 
or je ne veux pas que vous soyez en communion de démons. 
Vous ne pouvez, pas boire la coupe du Seigneur 

et la coupe des démons ; 
Vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur 
et à la table des démons... 

Sentiment tout à fait conforme à la pensée de l'antiquité 
touchant la communion au dieu par le moyen du sacrifice, 
communion plus étroite encore, s'il est possible, dans 
certains cultes de mystère. Le chrétien communie à son 
Seigneur dans la cène, parce que la cène représente, sym- 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 69 

bolise, réalise, en quelque manière, mystiquement, la mort 
de Jésus. L'on saisit ici la hauteur où le mystère chrétien 
avait élevé son Christ, et tout aussi bien la réelle affinité 
qui existait entre la notion fondamentale du mystère 
chrétien et les mystères païens de salut éternel ^. D'autre 
part, il est évident que ces pieuses considérations sont plus 
récentes que la définition du mystère dans Romains, que 
l'instruction sur la cène mystique dans I Corinthiens. En- 
core est-il qu'il n'y a pas heu de les faire descendre jus- 
qu'aux « environs de 170 » % et d'autant moins que Marcioit 
paraît les avoir utilisées, avec retouches, dans sa recension 
des Epîtres ^. 

III 

Un cas de notable interpolation apparaît dans le mor- 
ceau le plus sublime que présentent les Epîtres et peut-être 
toute la littérature du Nouveau Testament, le cantique de 
l'amour, dans I Corinthiens, xiii. Et ce cas nous permet de 
constater deux choses : 1° comment les faits critiques les 
plus indiscutables peuvent rester obnubilés, même dans 
l'esprit des exégètes les plus indépendants et les moins 
croyants, par une habitude héréditaire de la pensée chré- 
tienne ; 2° comment des textes de tout premier ordre 
ont pu s'introduire dans les recueils ecclésiastiques assez 
longtemps après l'âge des apôtres. L'intrusion du cantique 
de l'amour a coupé en deux l'instruction sur les dons spiri- 
tuels ou charismes, qui remplit les chapitres xii et xiv de 
I Corinthiens. 

L'on nous dit * que le tout (xii-xiv) fut rédigé au temps 
de montanisme, et spécialement le cantique de l'amour un 
peu avant l'époque d'Irénée. Cependant si nous en croyons 
TertuUien ^, Marcion utilisait instruction et cantique dans 

1. Cf. I Corinthiens, viii, 4-6. 

2. Avec Turmel, II, 56. 

3. Cf. Harnack, Marcion, 85*. 

4. Turmel II, 91 (instruction sur les charismes vers 170), 101 (can- 
tique de l'amour aux environs de 180). 

5. Cf. Harnack, Marcion, 87*. 



70 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Sa recension des Epîtres ; et comme les dons spirituels ont 
été connus dans l'Eglise avant Marcion, il n'est pas indiqué 
de tout renvoyer après lui. 

Des pièces de suture indéniables dénoncent l'interpola- 
tion, aussi bien avant qu'après le morceau interpolé. L'au- 
teur de l'instruction sur les charismes, après avoir com- 
plaisamment énuméré ces dons divers, concluait (xii, 31) : 
« Mais aspirez aux dons les plus importants. » Subitement 
îa parole lui est coupée par cette indication : « Et une voie 
bien supérieure encore j'ai à vous montrer »; c'est-à-dire 
que l'on va parler d'autre chose, on va montrer que ces 
« dons importants » ne le sont que fort peu, ou pas du tout. 
Après le cantique de l'amour, par une transition des plus 
artificielles (xiv, 1), on retrouve la phrase qui a été coupée 
pour introduire le cantique : « Recherchez l'amour, mais 
aspirez aux dons spirituels^ surtout à prophétiser. » Or le 
cantique ne tend qu'à nous dispenser de cette aspiration et 
à minimiser l'excellence des charismes décrits. Jamais inter- 
polation ne fut mieux caractérisée. Il faut toutefois la con- 
sidérer de plus près ; car on l'a altérée quelque peu à la fin, 
en la complétant, pour l'adapter autant que possible, à son 
contexte. La question de savoir si Paul n'aurait pu s'inter- 
poler de la sorte n'est pas à discuter : l'hypothèse d'une 
simple reprise n'est admissible que si on ne la discute pas. 
Du reste, il ne s'agit pas de Paul. L'auteur de l'instruc- 
tion sur les charismes, quel qu'il soit, et l'auteur du can- 
tique sont des hommes de mentalité toute différente. Pour 
s'en apercevoir, il suffit de les entendre. Voici le cantique 
(xiii, 1-12). 

Si je parle les langues des hommes et (celles) des anges, 

que l'amour je n'aie pas, 

je suis airain sonnant ou cymbale bruyante. 
Et si j'ai la prophétie 

et connais tous les mystères 

et toute la science, 
Et si j'ai toute la foi 

à montagnes transporter, 

que l'amour je n'aie pas, rien je ne suis. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 71 

Et si je distribue tout ce qui m'appartient, 
si je livre mon corps afin d'être brûlé, 
que l'amour je n'aie pas, rien je n'y gagne. 

Les dons spirituels, si complaisamment célébrés dans 
l'instruction, compteraient de peu avec l'amour ; et, sans 
l'amour, de rien. Mais quelles sont les qualités de l'amour ? 

L'amour est patient, il est bon ; 

l'amour n'est pas jaloux, 

il n'est pas léger, ni vantard, ni grossier ; 
Il n'est point égoïste, point irascible, 

il ne pense point à mal. 
Il ne se réjouit pas de l'injustice, 

il se conjouit à la vérité. 
Il supporte tout, il a foi en tout ; 

il espère tout, il endure tout. 

Autant dire que l'amour est le principe ou la condition de 
toute vertu véritable. Mais les dons spirituels ne sont pas 
oubliés, et ils vont recevoir le coup de grâce. 

L'amour jamais ne tombe, 

mais les prophéties, elles finiront ; 
Les langues, elles cesseront, 

la science, elle finira. 
Car partiellement nous savons, 

et partiellement nous prophétisons ; 
Mais, quand sera venu le parfait, 

le partiel sera aboli. 

Et la fin ? La fin, ce sera l'union mystique, la vision de 
Dieu. 

Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, 

je pensais en enfant, je raisonnais en enfant. 
Quand je devins homme, 

je mis fin à ce qui était de l'enfant. 
Car nous voyons à présent par miroir, en énigme, 

mais alors ce sera face à face. 
A présent, je connais partiellement, 

alors je comprendrai comme je suis compris. 



72 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

C'est tout, et il ne reste rien à dire. Ou plutôt nous osons 
dire que ceci n'est ni de l'eschatologie ni de la gnose, mais 
le premier manifeste du plus haut et du plus pur mysti- 
cisme chrétien. Mais nous venons d'entendre que l'amour 
seul demeure éternellement, et voici que nous est adressée 
cette restriction prosaïque (xiii, 13) : 

Or, maintenant demeurent foi, espérance, amour, 

ces trois-là, mais le plus grand de ces (trois), c'est l'amour. 

On a voulu battre le rappel des trois grandes vertus chré- 
tiennes ; mais ce rappel est en dehors du sujet, et il prépare 
la fausse transition par laquelle sera rejointe l'instruction 
concernant la discipline des dons spirituels. 

A qui voudrait regretter et s'étonner que le chantre de 
l'amour divin soit un anonyme, un inconnu, il est aisé de 
répondre que l'auteur principal du quatrième Evangile, 
autre génie mystique, est exactement dans les mêmes con- 
ditions, anonyme et inconnu. L'auteur du cantique avait 
déposé son petit chef-d'œuvre dans le dossier plus ou 
moins traditionnel de I Corinthiens. On l'y a cousu comme 
nous voyons, et il n'y a pas lieu de s'étonner que Marcion 
ait pu l'y trouver, puisque Clément de Rome (I Clément, 
XLix) paraît l'avoir lu où nous le lisons. 

Reste à situer l'instruction sur les dons spirituels et leur 
réglementation. La glossolalie a existé dans le christianisme 
ancien longtemps avant l'éclat du montanisme, et tout le 
monde sait que le livre des Actes en fait comme un apanage 
du baptême chrétien. Admettons que les données des Actes 
soient légendaires dans leur spécification ; ces données ne 
sont pas issues du montanisme et elles correspondent à un 
fait primordial dans le christianisme. Il en va de même pour 
la prophétie. — Se rappeler les prophètes-docteurs qui 
étaient dans la primitive communauté d'Antioche (Actes, 
XIII, 1) ^. — Par conséquent, il n'est pas surprenant que 
d'assez bonne heure on ait songé à régler plus ou moins 
l'exercice de la glossolalie et de la prophétie dans les assem- 
blées chrétiennes. La rédaction d'une sorte de décrétale sur 

1. Cf. supr., p. 36. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I COIUNTHIEKS 73 

le sujet, écrite au nom de Paul, n'a rien qui doive surpren- 
dre. Celle que nous lisons ne remonte certainement pas à 
Paul, car elle n'est pas en rapport avec la situation particu- 
lière d'une communauté donnée, ni surtout avec celle des 
petits groupes chrétiens de l'âge apostolique ; mais un peu 
plus tard, par exemple, au temps de l'Apocalypse et de la 
Didaché, l'on pouvait édicter des règlements sommaires sur 
le personnel varié qui tenait un rôle dans les assemblées 
chrétiennes. Notre décrétale, passablement diffuse, affecte 
d'y connaître encore : apôtres (prédicateurs itinérants), 
prophètes, docteurs, thaumaturges, administrateurs, glos- 
solales ; mais finalement ce sont les glossolales et les pro- 
phètes qui tiennent, si on l'ose dire, la vedette. Et donc 
ceci doit remonter assez haut, d'autant que la réglemen- 
tation est peu sévère. — Les prescriptions de la Didaché 
sont plus précises, bien qu'assez larges encore. — Nous 
ne risquons donc rien à nous en tenir à la date assez flot- 
tante qui vient d'être indiquée. 

Un point spécial mérite de retenir notre attention, la sur- 
charge (xiv, 33 b-34) qui coupe le règlement assigné aux 
prophètes : 

Comme dans toutes les communautés des saints, que les femmes 
dans les reunions se taisent, car il ne leur est pas permis de parler; 
mais qu'elles soient soumises, comme aussi bien la Loi le dit. Si 
sur quelque point elles veulent s'instruire, qu'à la maison elles 
interrogent leurs maris ; car il est inconvenant pour une femme de 
parler dans la réunion. 

Il est difîicile d'assigner une date, même approximative, 
à une semblable interpolation. Notons toutefois que, si l'on 
en croit TertuUien \ Marcion l'utilisait. D'autre part, 
l'instruction sur le voile des femmes (xi, 3-16), qu'on a 
introduite artificiellement auprès de la leçon sur la tenue de 
la cène % et que Marcion semblerait aussi avoir connue ^, 

1. Cf. Harnack, Marcion, 88*. 

2. Cf. supr., p. 60. Les vv. 11-12 peuvent y être une surcharge, 
mais il ne paraît pas autrement nécessaire d'y voir « la riposte d'un 
montaniste exalté à la critique d'un montaniste modéré » (Turmel,II, 
84). Ce pourrait bien n'être qu'une réflexion théologique. 

3. Cf. Harnack, Marcion, 86*. 



74 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

défend seulement aux femmes d'enlever leur voile dans la 
réunion pour émettre une prière ou pour prophétiser. Il y 
avait donc alors des femmes prophétesses et qui parlaient 
dans l'assemblée, comme les prophètes i. L'auteur de l'in- 
terpolation qui vient d'être signalée aura remarqué que la 
dissertation sur les dons spirituels pourrait autoriser la pro- 
phétie des femmes, et il a jugé bon de l'interdire absolu- 
ment. L'instruction sur le voile des femmes pourrait être du 
même temps que la dissertation sur les dons spirituels. 



IV 

Une longue instruction se présente isolée, à la fin de 
I Corinthiens (xv),sur la résurrection des morts. Elle serait, 
nous dit-on, pour le principal, dirigée contre les marcio- 
nites, et aurait été composée vers 165, en englobant une 
leçon marcionite sur le même sujet, qui aurait été versée, 
au dossier de Paul vers 140 2, Cette fois encore, TertuUien 
atteste que Marcion avait, dans son Apostolicon, tout le 
chapitre, sauf de menues retouches ^. Mais il est vrai que la 
dissertation paraît n'être pas d'une seule venue, et le Paul 
qu'on y entend d'abord n'est ni le Paul de l'histoire ni le 
Paul gnostique, grand pourfendeur des judaïsants, que 
nous ont fait connaître certaines parties des grandes Epî- 
tres, mais un Paul de convention, assez semblable à celui que 
présentent les Actes, pieusement subordonné aux apôtres 
de Jérusalem. 

Il s'en prend à des gens qui auraient nié la résurrection 
des morts. Comme ce sont des chrétiens, et qui admettent 
la résurrection du Christ, on peut croire qu'ils niaient seule- 
ment la résurrection des corps, et que l'auteur, incapable de 
comprendre l'immortalité autrement que par la résurrec- 



1. La première antiquité chrétienne a connu des femmes prophé- 
tesses, et Apocalypse, u, 20, de quelque façon qu'on l'interprète, 
montre que le cas n'avait rien d'extraordinaire. 

2. Turmel, II, 123. 

3. Par exemple, l'omission des mots : « selon les Ecritures », dans xv, 
3-4. Cf. Harnack, Marcion, 89*. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 75 

tion corporelle, les aura faits plus incrédules qu'ils n'étaient 
en réalité. Qu'ils fussent marcionites, rien ne le prouve ; 
car bien d'autres avant Marcion s'étaient fait de la survie 
une conception toute spirituelle. 

Préambule de l'instruction (xv, 1-11) : 

Je vous notifie, frères, 

l'Evangile que je vous ai annoncé, 
Qu'aussi vous avez reçu, 

auquel aussi vous vous êtes tenus, etc. 

Singulière introduction. L'auteur notifie à ses lecteurs un 
enseignement qu'ils sont censés connaître depuis longtemps; 
sans doute craint-il qu'ils ne s'en soient écartés, non pas en 
renonçant à la foi chrétienne, mais en adhérant à quelque 
doctrine spécieuse qui, en réalité, ruinerait cette foi. De 
telles appréhensions et défaillances se comprennent mieux 
au temps de la crise gnostique qu'au tout premier âge 
apostolique. Or cet Evangile, par lequel on est sauvé, à con- 
dition de le retenir intégralement, se trouve être le thème de 
la résurrection, résurrection du Christ et résurrection des 
chrétiens, comme si là était l'objet essentiel de la croyance, 
laquelle serait eschatologique. 

Car je vous ai transmis premièrement 
ce qu'aussi j'avais reçu : 

Voilà qui ressemble aux traditions dont nous parlait na- 
guère le Paul qui raconte l'institution de la cène (xi, 2) ; 
mais ce n'est pas le même que nous entendons ici ; car ce 
dernier cultive un traditionnisme beaucoup plus effectif, 
un traditionnisme quasi catholique, et il va démontrer la 
résurrection du Christ par une série de témoignages. 

Que Christ est mort pour nos péchés, 
selon les Ecritures ; 

Le mystère de la rédemption par la mort du Christ est 
ramené à sa plus simple expression, et aussi à sa prétendue 
base scripturaire (sans doute Isàie, lui, 4, 5 ; cf. Romains, 



76 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

IV, 25 ; Actes, viii, 32-33). Ceci ne nous conduit pas précisé- 
ment à l'âge apostolique, mais au temps où s'élaborait sur 
les textes de l'Ancien Testament ce que l'on a maintenant 
coutume d'appeler la tradition évangélique, c'est-à-dire 
plutôt au commencement du second siècle qu'à la fin du 
premier. 

Qu'il a été enseveli, 

et qu'il est ressuscité le troisième jour, 
selon les Ecritures ; 

Pas de référence à la découverte du tombeau vide, mais 
aux Ecritures qui étaient censées annoncer la sépulture du 
Christ et sa résurrection le troisième jour après sa mort. 
Par conséquent, le cadre traditionnel de la mort un ven- 
dredi soir, du séjour au tombeau pendant toute la durée du 
sabbat, de la résurrection à l'aube du dimanche, est fixé 
(les trois jours et les trois nuits de Jonas, allégués dans 
Matthieu, xii, 40, n'entrent pas en considération). Et donc 
c'est le cadre adopté,au cours du second siècle,pour l'obser- 
vance de la Pâque dominicale. Ainsi ce trait ne nous ramène 
pas non plus au premier âge chrétien. 

Et qu'il est apparu à Céphas, 
puis aux Douze ; 

Il n'est toujours pas question des femmes au tombeau. Si 
l'auteur suit réellement une tradition, ce n'est pas celle de 
nos Evangiles canoniques ; s'il connaît des Evangiles, et 
sans doute il en connaît, il ignore le canon évangélique. 
Pierre est favorisé de la première apparition : il y a sur ce 
point une tradition ancienne, que notre auteur s'est bien 
gardé de laisser tomber. Les « Douze » font quelque em- 
barras pour les exégètes méticuleux, à cause de Judas ; 
certains manuscrits mettent ici : « onze ». C'est sûrement 
une correction ; mais l'on n'est pas obligé pour autant de 
placer l'événement après l'élection de Matthias (Actes, i, 
15-26). Les Douze sont les Douze, et toutes les chances sont 
pour que notre auteur les considère comme le collège apos- 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 77 

tolique de la première heure, les superapôires que prend à 
partie II Corinthiens \ Au temps de Paul, les « Douze » 
n'étaient pas apôtres ; ils le sont devenus plus tard, contre 
lui 2. 

Ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères, en une fois, 
dont la plupart subsistent encore maintenant, 
mais quelques-uns sont morts. 

Evidemment l'auteur se pose en homme de la génération 
apostolique ; et ce n'est pas étonnant, puisqu'il parle au 
nom de Paul. Encore est-il que le prophète et apologiste 
Quadratus, au temps d'Hadrien, se flatte de connaître des 
gens qui ont été ressuscites par Jésus ^. Les « cinq cents 
frères » de notre texte pourraient être apparentés aux res- 
suscites que mentionnait Quadratus. Le fait n'est signalé, 
à notre connaissance, dans aucun Evangile ; il l'était peut- 
être dans quelque Evangile qui ne s'est pas conservé. On a 
pensé à un doublet de la Pentecôte, quelque peu majoré : 
c'est possible, mais notre auteur ne semble pas l'avoir 
conçu d'après les Actes. 

Ensuite il est apparu à Jacques, 
puis à tous les apôtres. 

L'Evangile des Nazaréens racontait cette apparition du 
Christ à son frère, mais cet évangile judaïsant la présentait 
comme la première de toutes. Ce n'est sûrement pas la pre- 
mière qui ait été racontée d'abord. Disons que notre auteur 
l'aura connue de manière ou d'autre par la tradition évan- 
gélique des judaïsants. « Tous les apôtres » est une désigna- 
tion qui vise un autre groupe que les Douze, et un groupe 
plus considérable par le nombre, bien que déterminé dans 
la pensée de l'auteur : missionnaires de second ordre, com- 
plémentaires des Douze. On a pensé aux soixante-dix ou 
soixante-douze disciples de Lud x. C'est, si l'on veut, l'équi- 

1. Gt.supr.,p. 55. 

2. Cf. supr., p. 38. 

3. Cf. La Naissance du Christianisme, 255. 



78 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

valent, mais l'identification est gratuite, puisque le chiffre 
manque. Et c'est encore une donnée légendaire. L'auteur 
n'aurait-il pas recueilli ces indications plus ou moins consis- 
tantes en un temps où l'Eglise n'avait pas encore fixé le 
choix de ses Evangiles ? D'ailleurs, ces Evangiles, — si hardie 
que l'assertion puisse paraître à certains esprits, — n'at- 
testent-ils pas de la façon la plus péremptoire que la ma- 
tière ne comportait pas d'information précise ? 

En dernier dé tous, 
comme à l'avorton, 
il est apparu aussi à moi. 

C'est bien là qu'il fallait en venir, que le morceau soit 
authentique ou non. Suit un petit couplet où notre Paul se 
fait plus modeste qu'il n'a coutume de le paraître quand il 
ferraille contre les « notables » ou les « superapôtres »> 
mais où il a pourtant l'air de se souvenir des propos hardis 
qu'il tient ailleurs. 

Car je suis, moi, le moindre des apôtres, 

qui ne suis pas digne d'être appelé apôtre, 
parce que j'ai persécuté la communauté de Dieu. 

Mais par la grâce de Dieu je suis ce que je suis, 
et sa grâce envers moi n'a pas été inutile, 

Mais plus qu'eux tous j'ai travaillé, 

non pas moi pourtant, mais la grâce de Dieu avec moi. 

Donc, soit moi, soit eux, 

ainsi prêchons-nous et ainsi avez-vous cru. 

Donc notre Paul n'est qu'un apôtre comme les autres,, 
avec les autres, et même quelque peu après les autres, un 
apôtre de la seconde zone, qui vient en dehors de cette der- 
nière catégorie, parce qu'il est arrivé plus tard, après avoir 
persécuté l'Eglise déjà fondée. Mais ce n'est pas tout,ce Paul 
n'a pas d'Evangile à lui, il n'entend prêcher que la doctrine 
commune de la tradition apostolique et chrétienne sur 
la résurrection. Il est du temps où la grande Eglise s'appli- 
quait à concilier Paul, — la tradition dite de Paul, — avec 
Pierre et les Douze, — la tradition qui se réclamait d'eux. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 79 

— en le subordonnant à eux; notre Paul se place au temps 
de Clément et de la rédaction des Actes. 

Il aborde le thème de la résurrection dans le sens que 
nous avons indiqué plus haut. Son raisonnement se fonde 
sur la solidarité qui existe selon lui entre la résurrection des 
croyants et celle du Christ : il faut nier celle-ci, dès que l'on 
conteste celle-là ; et donc il n'y aurait plus rien, ni foi, ni 
espérance (xv, 12-19). Notre Paul, par conséquent, n'envi- 
sage pas l'hypothèse d'une résurrection spirituelle, tant 
pour le Christ que pour les chrétiens, conception qui, pour- 
tant, fut celle de l'Epître aux Hébreux, de l'auteur princi- 
pal du quatrième Evangile, et d'autres témoins du christia- 
nisme ancien. Cela étant, l'on n'est pas obligé de penser que 
les marcionites soient visés. Mais l'intérêt de notre docu- 
ment consiste dans la concession qui s'y fait à la thèse que 
l'auteur n'a pas comprise et qu'il combat comme une néga- 
tion absolue de l'immortalité bienheureuse. 

Ecoutons-le dire d'abord comment il comprend l'écono- 
mie de la résurrection et du salut (xv, 20-28) : 

Mais Christ est ressuscité des morts, 

prémices de ceux qui sont morts. 
Car, puisque par un homme est la mort 

aussi par un homme est la résurection des morts : 
De même qu'en Adam tous meurent 

ainsi dans le Christ tous seront faits vivants. 

Ici nous reconnaissons le principe fondamental de la 
théorie mystique du salut dans Romains, v-viii ^. Mais si le 
dernier énoncé se trouve comme glosé par anticipation dans 
les lignes précédentes, il paraît complètement oublié dans 
les déclarations eschatologiques qui suivent, et il ne sera 
repris que plus loin pour être commenté (xv, 45-58), en 
sorte que l'utilisation, par notre auteur, d'un document de 
gnose mystique antérieurement rédigé, paraît vraisem- 
blable 2. Selon notre auteur, la résurrection des morts se 
ferait par des échelons successifs. 

1. Cf. supr., pp. 19-21. 

2. En ce sens, l'hypothèse de Turmel, supr. cit.,jt. 74, n. 2, paraît 
fondée. 



80 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Mais chacun en son rang : 

prémices Christ ; 
Ensuite ceux du Christ, 

en son avènement ; 
Puis la fin, 

Quand il remettra le royaume à Dieu le Père, 
Quand il aura détruit toute domination, 

tout pouvoir et puissance ; 
Car il faut qu'il règne 

jusqu'à ce qu'il ait mis tous les ennemis sous se.spiecU. 
Le dernier ennemi détruit sera la mort ; 

car (Dieu) a tout mis sous ses pieds. 

La mort aussi, par conséquent ; mais ce qu'on nous dit 
ici de la mort ressemble beaucoup à une anticipation de ce 
que nous lirons à la fin du morceau (cf. ApocalypsCy xx, 
14). Libres adaptations du Psaume ex, 1 (cf. Marc, xii, 36) 
et du Psaume viii (cf. Hébreux, ii, 8). 

Mais quand on dit que tout (lui) a été soumis, 

c'est évidemment à l'exception de Celui qui lui a soumis tout, 
Mais lorsque lui aura été soumis tout, 

alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis tout. 

afin que Dieu soit tout en tout. 

N'insistons pas. Nous avons quatre étapes marquées dans 
l'évolution du drame salutaire : 1° la résurrection du 
Christ, comme point de départ ; 2° la parousie du Seigneur 
et la résurrection des fidèles défunts ; 3° le règne du Christ, 
avant la fin, durant lequel seront exterminées les puissances 
adverses, mort comprise, ce qui implique la résurrection de 
tous les morts ; 4° la fin, sans doute la résurrection géné- 
rale et le grand jugement, après lesquels tous les êtres, le 
Christ compris, seront soumis à Dieu. Cette eschatologie 
ressemble fort à celle de l'Apocalypse : celle-ci fixe à mille 
ans la durée du règne intermédiaire {Apocalypse xx, 1-3). 
L'abdication finale du Christ-roi appartient en propre à 
notre auteur. Par ailleurs, en ce qui regarde le millénarisme, 
il se trouve exactement au niveau de l'Apocalypse et du 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 81 

bon Papias. La première génération chrétienne n'en savait 
pas tant. 

Suivent des arguments, censés péremptoires, contre les 
négateurs de la résurrection, et d'abord la coutume du 
baptême pour les morts (xv, 29). L'auteur ne dit pas que ce 
soit une coutume générale ; il insinue plutôt que c'est la pra- 
tique de quelques-uns, peut-être la pratique même de ceux 
qu'il combat; autrement, l'argument n'aurait aucune force, 
car c'est ce qu'on appelle en scolastique un argument 
ad hominem. Chrysostome ^ atteste que cette coutume était 
encore en vigueur de son temps chez les marcionites : 
on ne doit pas en être surpris, puisque, selon TertuUien, 
notre passage se lisait dans VApostolicon de Marcion ". 
Il est donc vraisemblable que la pratique, dont on imagi- 
nera difficilement qu'elle puisse remonter à l'âge aposto- 
lique 3, aura pris naissance dans certains cercles chrétiens 
avant Marcion et ne se sera pas maintenue dans la grande 
Eglise. 

Autre argument (xv, 34) : que signifierait la carrière 
même de Paul, s'il n'y avait pas de résurrection ? On 
avouera que cet argument n'est pas très décisif ; mais l'au- 
teur paraît à court de preuves, et il va aussitôt examiner les 
possibilités ou vraisemblances de la chose. L'allusion aux 
dangers courus par l'Apôtre est très sommaire, sauf en ce 
qui concerne un incident qui se serait passé à Ephèse, un 
combat contre les bêtes, sur lequel les commentateurs dis- 
cuteront jusqu'à la fin des jours, à moins qu'ils ne renon- 
cent à le trouver historique en y voyant une métaphore % 
ou une trouvaille de l'auteur. 

Après tout, la résurrection des morts n'est pas une chose 
tellement difficile à comprendre (xv, 35-44). Il n'y a qu'à 
regarder ce qui arrive pour le grain, qu'on enterre et qui 
vit ensuite ; il en est de même pour l'homme. — L'auteur 
ne voit pas combien son argument est caduc : le grain mis 

1. In I Cor. hom., 41, 1 (Turmel, II, 120). 

2. Cf. Harnack, Marcion, 90*. 

3. Voir l'argumentation décisive de Turmel, II, 121. 

4. Ainsi H. Lietzmann, An die Korinther, I-IP, 84. 



82 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

en terre contient le germe vivant de la plante dont il est; 
issu, mais le cadavre enfoui ne contient aucun germe vivant 
d'humanité. — L'intérêt de cette comparaison boiteuse 
consiste en ce que l'auteur, la développant avec complai- 
sance, anticipe à sa façon et adopte, sans s'apercevoir de 
la métamorphose qu'il fait subir à sa propre doctrine, — 
entendons à la doctrine qu'il prétend défendre, — la des- 
cription de la résurrection spirituelle (xv, 45-58), descrip- 
tion qu'il a trouvée toute faite. C'est ainsi que, professant 
la résurrection des corps, il s'engage dans une dissertation 
sur les diverses sortes de corps, les terrestres et les célestes, 
et en vient à dire que le corps humain, semé corruptible, 
ignominieux, faible, animal, ressuscite incorruptible, glo- 
rieux, fort et spirituel. 

Tout cela était mieux dit dans le document fondamental, 
et logiquement rattaché au principe des deux Adam, qui 
a été logé plus haut (xv, 22) par le rédacteur. Ge qu'on va 
lire est à considérer, car il s'agit de savoir si le document 
fondamental est marcionite ou non, ou plutôt il s'agit de le 
vérifier, étant acquis déjà que la théorie des deux Adam, 
dans Romains, v-viii, n'est pas marcionite. 

Ainsi est-il écrit : 
Le premier homme, Adam, fui fait âme vivante, 
le dernier Adam, esprit vivifiant. 

Marcion lisait ainsi le dernier membre de phrase : « Le 
dernier, le Seigneur, esprit vivifiant » i. Noter que ceci est 
pris de Genèse, ii, 7 (Septante), l'auteur découvrant dans la 
première et la dernière partie du verset l'homme terrestre 
et animal, et prenant au milieu du verset « l'esprit de 
vie », transformé en « esprit vivifiant ». Marcion a pu inter- 
préter à sa façon cette utilisation de la Genèse ; mais 
jamais il ne serait allé de lui-même chercher dans la Genèse 
ce parallèle d'Adam et du Christ. Et donc notre docu- 
ment n'a pas été conçu par Marcion ou quelqu'un de son 
école 2. 

1. Harnack, Marcion, 92* ; Turmel, II, 173, n. 1.. 

2. Cf. supr.^ p. 20. 



MORCEAUX DÉTACHÉS DE I CORINTHIENS 83 

Mais le premier n'est pas le spirituel, 

c'est l'animé ; 

ensuite le spirituel. 
Le premier homme, (issu) de la terre, 

est terrestre, 

le second homme est du ciel. 

Leçon marcionite : « Le second, le Seigneur, est du ciel ^ ». 
Visiblement, Marcion ne voulait pas que le Christ fût dit 
« homme » ; mais c'est cette leçon qui est primitive, récla- 
mée pour l'équilibre de la comparaison. Et donc notre do- 
cument existait avant Marcion. 

L'on nous explique ensuite comment, les hommes ter- 
restres ayant été faits à l'image d'Adam, les croyants « por- 
teront l'image de l'homme céleste ». Mais « chair et sang ne 
peuvent pas hériter le royaume de Dieu, ni la corruption 
hériter l'incorruptibilité ». C'est là qu'est le « mystère ». 
a Nous ne mourrons pas tous » pour entrer dans l'immor- 
talité, « mais tous nous serons transformés », notre « corrup- 
tibilité revêtant l'incorruptibilité », et « notre mortalité 
l'immortalité » 2. Marcion lisait : « Nous ne ressusciterons 
pas tous, mais nous serons tous changés ^ ». Dans la pensée 
de Marcion, et probablement aussi dans la pensée de notre 
auteur, ce n'est pas le corps, mais l'individu, qui revêt 
l'incorruptibilité et l'immortalité ; et s'ils ont eu l'idée d'un 
vêtement de gloire, ils n'auraient pas accepté les formules 
du rédacteur : « corps spirituel, corps glorieux », etc. *. Mais 
il est assez curieux de voir notre auteur (et Marcion) trou- 
ver dans cette métamorphose de l'homme l'accomplisse- 



1. Harnack, loc. cit. ; Turmel, îoc. cit. 

2. Turmel, II, 123, 173, doit avoir raison de considérer comme sura- 
joutés en cet endroit (xv, 52) les mots : « à la dernière trompette, car 
il y aura son de trompette, et les morts ressusciteront incorruptibles », 
qui appartiennent à la mise en scène apocalyptique du dernier juge- 
ment. Cf. I Thessaloniciens, iv, 16 ; Matthieu, xxiv, 31. 

3. La tradition du texte, pour ce passage (xv, 51), offre de nom- 
breuses variantes dans les anciens manuscrits. Mais ce qui nous inté- 
resse est surtout la glose apocalyptique (v. 52) : « A la dernière trom- 
pette, etc. ». 

4. Il n'est pas probable que Marcion ait retenu le mot « corps » 
dans XV, 44. Cf. Harnack, Marcion, 92*. 



84 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

ment d'un texte prophétique où serait annoncé l'anéantis- 
sement de la mort : 

Alors se réalisera la parole écrite : 

« La mort a été engloutie dans la victoire. » 

Ceci est d'Isaîe, xxv, 8. 

« Où est, mort, ta victoire ? 

Où est, mort, ton aiguillon ? » 

Ceci vient d'Osée, xiii, 14. Et l'on peut juger invraisem- 
blable que Marcion ou un marcionite soit allé de lui-même 
chercher ces textes dans l'Ancien Testament pour caracté- 
riser la victoire définitive de l'immortalité bienheureuse sur 
la mort des humains. En revanche la remarque : 

L'aiguillon de la mort, c'est le péché, 
et la puissance du péché, c'est la Loi, 

est en parfaite conformité avec la théorie mystique du salut 
dans Romains, v-viii. Ainsi le document prémarcionite qui 
a été utilisé dans la présente instruction générale sur la 
résurrection se rattache à la même tradition de gnose mys- 
tique. L'action de grâces finale (xv, 57-58) appartient au 
document prémarcionite. 

L'ensemble de la composition se place entre Paul et Mar- 
cion, plus près de Marcion que de Paul. 



CHAPITRE IV 
Autres Epîtres de Paul. 



Arrêtons-nous maintenant quelque peu sur les autres 
Epîtres de Paul qui étaient dans le recueil de Marcion, et 
sur l'Epître aux Hébreux. Les deux Epîtres aux Thessalo- 
niciens semblent avoir été conservées dans la recension mar- 
cionite sans grandes différences ou retouches par rapport 
au texte traditionnel : cette circonstance fixe une limite à 
considérer pour l'évolution de leur texte, si évolution il y a. 



I 



La Première aux Thessaloniciens, dans la mesure où elle 
est authentique, aurait été écrite vers l'an 51, c'est-à-dire 
environ deux années après que Paul eût réussi, par sa pré- 
dication dans la synagogue de Thessalonique, à rassembler 
un petit groupe chrétien. De ce cadre historique on devra 
tenir compte pour l'appréciation du document. Or, dès le 
chapitre ii, se présente un assez long morceau (ii, 1-16) qui 
est loin de s'y accorder : apologie de Paul, dans une forme 
convenue (cf. AdeSy xx, 30-35, discours aux anciens 
d'Ephèse), et qui fait corps avec une violente sortie contre 
les Juifs, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle suppose 
accomplie la destruction de Jérusalem. En ce qui regarde 
l'apologie (ii, 1-12), il est parfaitement inconcevable que 
Paul, au bout de deux ans, se soit cru obligé de faire à ses 
convertis une pareille description de ses vertus apostoliques. 
L'apologie se fait plutôt contre des diffamateurs posthu- 



86 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

mes de Paul (dans les Actes, loc. cit., elle vise probablement 
des chefs de communauté répréhensibles). Mais ce qu'il y a 
là de plus significatif est dans la dénonciation des Juifs. 

Ceux qui défendent l'authenticité de cette pièce devraient 
bien nous dire s'il existait un si grand nombre de groupes 
chrétiens répartis en Judée avant l'an 51. Comme ils ne 
sont jamais à court d'arguments, ils nous répondront que 
Galates, i, 22, parle aussi des communautés de Judée, qui 
avaient entendu parler de Paul sans le connaître personnel- 
lement. Le malheur est que le Paul qui s'exprime ainsi est 
celui qui se flatte d'avoir comme lot d'apostolat le monde 
païen tout entier, celui des Juifs ayant été réservé à Pierre 
et aux anciens apôtres ; c'est donc un Paul fictif, et nous 
continuerons de poser notre indiscrète question. Nous 
demanderons encore, non seulement ce qu'on pourrait bien 
entendre par les persécutions que les chrétiens de Thessa- 
lonique auront subies depuis deux ans (ne sent-on pas que 
l'auteur sous-entend une assez longue expérience de ces 
vexations ?) de la part de leurs compatriotes, mais surtout 
en quelle occasion les prétendues communautés de Judée 
ont eu à subir de telles persécutions de la part des Juifs. Ce 
n'est pas avant 51, ce n'est même pas avant 70. Donc ce 
n'est pas Paul ni un contemporain de Paul qui parle en cet 
endroit. Ou l'auteur divague au hasard, ce qui est bien pos- 
sible, ou c'est un contemporain deBarkochba, qui, au temps 
d'Hadrien, a réellement persécuté les chrétiens de Judée. La 
persécution dont Paul se plaint pour lui-même a tout l'air 
d'être rétrospective ; en tout cas, ce n'est pas lui qui aurait 
reproché aux Juifs, pris en masse, d'être les ennemis du 
genre humain. Une telle accusation se comprend chez un 
témoin de l'exaspération extrême où tomba le monde juif 
au temps de Trajan et d'Hadrien. Le reproche fait aux Juifs 
d'empêcher Paul de prêcher aux païens pour leur salut est 
purement chimérique : d'abord, cet empêchement n'était 
pas en leur pouvoir ; de plus le reproche suppose la fiction de 
l'apostolat direct des païens comme fonction propre de Paul. 
Reste la dernière assertion : à cause de tous les crimes com- 
mis par les Juifs, « la colère » de Dieu « les a atteints pour 



AUTliÈS ÉPITRES DE PAUL 87 

toujours ». C'est escamoter cette déclaration que de l'inter- 
préter comme une menace. Quand l'auteur écrit, le peuple 
juif est à jamais frappé dans son existence : on conviendra 
que ce porte-parole de Paul ne pouvait pas dire en propres 
termes que Jérusalem avait été détruite et que même, après 
les événements de 132-135, il avait été interdit aux Juifs 
d'en approcher. 

Comme l'interpolation (m, 2 &-5 a) qui avait été signalée 
dans La Naissance du Christianisme (p. 17, n. 1) ^ se réfère 
expressément aux tribulations dont il vient d'être parlé, et 
que Paul même se flatterait d'avoir prédites à ses convertis, 
nous ne pouvons que maintenir nos conclusions sur ce 
point. L'auteur de ii, 1-16 a voulu confirmer sa première 
addition par cette référence. Le texte primitif de ce passage 
était libellé comme il suit : « m. C'est pourquoi n'y tenant 
plus, nous prîmes le parti de rester seuls à Athènes, ^ et 
nous envoyâmes Timothée, notre frère et ministre de Dieu 
en l'Evangile du Christ — ^ pour savoir où en était votre 
foi, de peur que ne vous eût tentés le tentateur, et que 
notre labeur n'eût en rien servi. » Il ne s'agissait aucune- 
ment de tribulations. On comprend que des gens subite- 
ment ralliés à l'espérance messianique eussent pu, après le 
départ de l'Apôtre, se déprendre de leur enthousiasme, et 
leur groupe, à peine fondé, se dissoudre. Des tribulations 
spéciales n'étaient pas nécessaires à cet effet ; il suffisait, 
comme le dit fort bien Paul, que le diable s'en mêlât. 

La suite de l'Epître (iv-v) n'est pas homogène ^ ; on y 
distingue une instruction morale et d'esprit mystique, 
tournée vers la sanctification intérieure, consignée dans 
IV, 1-7, 17-18, et une instruction de caractère pratique, 
tournée vers la vie extérieure, dominée en même temps par 
la considération de la parousie prochaine (iv, 9-12 ; v, 1-9, 



1. Notons que Turmel, IV, 151, ne semble pas l'avoir reconnue. On 
ne le suit pas ici dans ses conclusions sur le caractère antimontaniste 
de II, 1-16. 

2. L'on suit pour la distribution du texte l'analyse de Turmel sans 
adopter ses étiquettes, et l'on abandonne l'unité de iv, 13-v, 11, qu'on 
avait cru pouvoir maintenir encore dans LaNaissance du Christianisme, 
17, n. 2. 



S8 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

11 ; 10 étant surcharge dans le sens de la gnose mystique), 
instruction qui présente des garanties suffisantes d'authen- 
ticité et à laquelle se rattacherait assez naturellement la 
salutation finale (v, 26-28). Une autre moralité (v, 12-24) 
suppose une vie de communauté bien plus avancée que ne 
pouvait l'être celle du groupe chrétien de Thessalonique en 
la troisième année de son existence : avoir des égards pour 
les administrateurs dirigeants de la communauté ; tenir en 
considération la prophétie, tout en en contrôlant les mani- 
festations ; et ceci correspondrait à un temps où le person- 
nel dirigeant de la communauté balance déjà sérieusement 
le crédit de la prophétie, mettons vers 120-130, puisque le 
montanisme est en dehors de notre considération i. 

Arrêtons-nous un instant à l'examen du passage essentiel 
concernant la résurrection (iv, 13-14, 17-18), et de la glose 
eschatologique (iv, 15-16) par laquelle la physionomie ori- 
ginale du texte a été singulièrement altérée. Le premier 
morceau est tout à fait conforme à ce que nous avons 
trouvé dans le document fondamental de I Corinthiens, 
XV : 

Nous ne voulons pas que vous ignoriez, frères, 

ce qui regarde les morts. 
Afin que vous ne soyez pas attristés comme les autres, 

qui n'ont pas d'espérance. 
Car, si nous croyons 

que Jésus est mort et qu'il est ressuscité. 
De même Dieu, 

ceux qui sont morts en Jésus, 

les amènera-t-il avec lui. — 
Ensuite nous, les vivants, restés, 

avec eux nous serons ravis dans les nuées 

au-devant du Seigneur dans l'air ; 
Et ainsi pour toujours 

avec le Seigneur nous serons. 
Consolez-vous donc les uns les autres 

avec ces paroles. 

1. D'après Tertullien, la recension marcionite contenait le passage 
relatif à la prophétie (v, 19-20). Cf. Harnack, Marcion, 110*. 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 89' 

Nous connaissons déjà cette doctrine : « Nous ne mour- 
rons pas tous », disait le gnostique de I Corinthiens, xv, 51,. 
53, mais tous nous serons transformés », parce que « notre 
corruptibilité doit revêtir l'incorruptibilité, et notre mor- 
talité, l'immortalité ». De même ici, au dernier jour, les 
vivants entrent dans l'immortalité de l'esprit, où ils rejoi- 
gnent ceux qui, morts avant eux dans le Christ, accompa- 
gnent celui-ci dans la gloire de son avènement. 

D'une autre orientation est l'enclave apocalyptique, don- 
née d'ailleurs en commentaire de l'assertion gnostique 
touchant la manifestation des morts glorieux : 

Car ceci nous vous disons, 
en parole du Seigneur, 

— comme la suite ne laisse discerner aucune parole spéciale, 
l'auteur vise probablement certains éléments des discours- 
apocalyptiques retenus dans les Evangiles, à moins que ce 
ne soient des propos tels que Marc, ix, 1, sur ceux qui se- 
ront encore en vie lorsque viendra le règne de Dieu, — 

Que nous, les vivants, 

restés pour Tavènement du Seigneur, 
nbus ne devancerons pas les morts, 
Parce que le Seigneur lui-même, au commandement, 
à la voix de l'archange et à la trompette de Dieu, 
descendra du ciel. 

Et les morts en Christ 

ressusciteront d'abord. 

Même mise en scène que dans la rédaction de I Corin- 
thiens XV, où la résurrection se fait en deux temps, et où 
nous avons même aussi rencontré la trompette ^. Tout cela, 
évidemment, n'est pas très ancien. 

La Seconde aux Thessaloniciens n'a pas lieu de nous rete- 
nir longuement, cette Epître étant dès longtemps regardée 
comme apocryphe. Peut-être faut-il beaucoup de bonne: 

1. Cf. supr., p. 80, et p. 83, n. 3. 



"90 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

volonté pour y reconnaître ^ un élément authentique. Le 
préambule (i, 1-10), plutôt vague et 'sans signification par- 
ticulière, paraît démarqué de la première Epître dans une 
partie secondaire, la mention des tribulations qu'aurait eu 
à subir la communauté ^. Quelques parties de leçon morale 
(i, 11-12 ; II, 13 ; m, 5) pourraient être de la même main 
qui a glissé dans la première Epître les prescriptions de 
morale mystique et intérieure. 

Le centre de l'Epître, on peut dire l'objet principa:! de 
sa rédaction, est la dissertation (ii, 1-12) sur le retarde- 
ment de la parousie et la manifestation d'un personnage que 
nous pouvons appeler l'Antichrist, bien que ce nom ne soit 
pas prononcé dans notre document. L'avertissement paraît 
avoir été lancé dans un temps de crise où l'attente de la pa- 
rousie était surexcitée par certains événements, certains 
l)ruits ; même une lettre de Paul pouvait contribuer à 
l'illusion : ici l'on ne peut guère s'empêcher de penser à la 
première Epître, en raison de tels passages concernant la 
parousie prochaine. Comme une partie au moins de la des- 
cription est empruntée à la tradition apocalyptique (par 
exemple, ii, 4, qui vient de Daniel, xi, 36), on court le 
risque, en suggérant une application spéciale pour chaque 
détail, de préciser une donnée vague. Toutefois il paraît 
clair que l'auteur a mis du sien dans la détermination de la 
mise en scène et qu'il vise des faits contemporains ; cela 
étant, le soulèvement de Barkochba, avec ses préliminaires, 
mais avant sa conclusion, — puisque le Seigneur Jésus 
n'est pas venu dans sa parousie exterminer l'impie par le 
souffle de sa bouche, — fournirait pour le principal une 
explication assez satisfaisante ^. Mais il faudrait admettre 
en même temps que Marcion a recueilli la fausse Epître 
presque aussitôt qu'elle avait paru. Il peut y avoir là quel- 
que difficulté, mais pas une impossibilité. 

La petite instruction sur le travail (m, 6-12) est visible- 

1. Avec Turmel, IV, 6, qui retient pour Paul, non sans quelque 
hésitation, i, 1-10 ; m, 1-2, 17-18. Cela fait un ensemble assez insigni- 
fiant. 

2. I Thessaloniciens, ii, 14 ; m, 4-5. Cf. supr., pp. 86-87. 

3. Voir Turmel, IV, 50-60. 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 91 

ment imitée de la première Epître (ii, 9), à moins qu'elle 
ne soit du même auteur. Mais par là nous serions ramenés 
encore au temps de Barkochba et non pas au temps du 
montanisme ^. 

II 

De l'Epître aux Philippiens nous détacherons d'abord le 
petit poème théologique, de théologie mystique (ir, 6-11), 
qui fait une sorte de brèche au milieu de la leçon morale 
dans laquelle il a été inséré. Il est libellé en deux strophes 
si exactement symétriques, si soigneusement rythmées, que 
l'unité de la pièce délie les entreprises de la critique la plus 
téméraire 2. Première strophe : 

Lui qui en forme de Dieu existait, 

il n'a pas estimé de bonne prise 

d'être égal à Dieu. 
Mais il s'est lui-même dépouillé, 

prenant forme d'esclave, 

en figure d'homme devenu. 
Et par la tenue ^ trouvé homme 

il s'est abaissé lui-même, 

devenu obéissant jusqu'à la mort, 

la mort de la croix. 

La dernière ligne est en dehors de la mesure strophique. 
Glose explicative, qui est dans le sens du texte. Mais pas 
un mot dans toute la strophe ne demande à être retranché 
comme inutile ou comme compromettant l'équilibre de la 
pensée et du rythme. Et voici la seconde strophe : 



C'est pourquoi aussi Dieu Ta exalté, 
et l'a gratifié du nom 
au-dessus de tout nom. 



1. Gomme le voudrait Turmel, IV, 65-66. 

2. Voir le commentaire d'E. Lohmeyer, Der Brief an die Philipper, 
90-99, et son étude spéciale, Kyrios Jésus, Eine Untersuchung zu Phil., 
II, 5-11. 

3. Il ne s'agit pas uniquement de l'aspect extérieur, mais aussi bien 
du caractère et de la tenue morale, à quoi correspond ce qui est dit 
aussitôt de l'obéissance où se définit l'attitude de l'être qui s'est fait 
homme. 



92 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Afin qu'au nom de Jésus 

tout genou fléchisse, 

des (êtres) célestes, des terrestres et des infernaux. 
Et que toute langue confesse 

que Jésus-Christ est Seigneur 

à la gloire de Dieu, le Père. 

Il ne saurait y avoir aucun doute sur le nom qui est supé- 
rieur à tout nom. Ce n'est pas le nom de Jésus, qui, par lui- 
même, n'est au-dessus d'aucun nom juif de signification 
analogue, et qui, en fait, est le nom humain de l'être cé- 
leste qui s'est abaissé jusqu'à la mort. Jésus est le vocable 
de l'abaissement, c'est le nom du divin Crucifié ; exalté, 
l'être divin le conserve dans son triomphe, mais pour le 
compléter, le doubler par le nom suprême, le nom de culte 
du Dieu unique dans la tradition juive et chrétienne, où le 
nom de Seigneur se substitue à lahvé dans la prière pu- 
blique et privée. 

Rien donc de plus facile à comprendre que l'économie 
de notre poème en son double registre. Un être existait en 
forme divine, non pas Dieu lui-même, mais participant à 
l'éclat divin, assistant de la Divinité ; on lui fait mérite 
de n'avoir pas affecté l'égalité avec Dieu ^ ce qui suppose 
que d'autres êtres de même ordre n'ont pas eu la «même 
réserve, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas craint de se faire valoir 
comme étant des dieux et de se faire adorer en cette qua- 
lité. Celui-là s'est dépouillé de sa plendeur divine, de sa 
forme céleste, pour prendre la forme humaine : il va de soi 
que ni la forme divine n'était une simple apparence, ni la 
forme humaine. La forme humaine était celle de tous les 
êtres humains, qui ne sont pas, pour autant, que des appa- 

1. D'après Tertullien (cf. Harnack, Marcion, 123*), Marcion lisait 
II, 6, exactement comme le texte traditionnel, et l'on peut croire qu'il 
s'arrangeait ensuite pour retrouver son système dans le commentaire. 
Le traitement que Turmel, IV, 17-19, 26-30, 138, fait subir à notre docu- 
ment, échappe à toute discussion : attribution delà première strophe à 
un auteur marcionite, de la seconde à un auteur catholique. Et Turmel 
refait le commencement de la première strophe : « Lui qui, étant Dieu, 
n'a pas considéré sa divinité comme une proie dont on refuse de se 
dessaisir. » II oublie de nous dire comment Dieu aurait pu considérer 
sa propre divinité comme « une proie ». 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 93 

renées. Nulle trace de docétisme ni de marcionisme dans la 
première strophe ; pas davantage dans la deuxième. 

De toute évidence, derrière cette profession de foi au 
Dieu unique et à l'espèce de divinité partagée qui est l'apa- 
nage de Jésus, il y a une cosmologie, une économie des 
mondes, aussi une sotériologie, c'est-à-dire la réparation 
d'un-ordre cosmique et humain qui avait été troublé par la 
chute ou la prévarication de certaines puissances et la dé- 
chéance de l'homme. Mais, cet arrière-plan de notre poème, 
nous ne pouvons que le deviner, non le reconstruire. C'est 
une véritable gnose que nous entrevoyons, une gnose chré- 
tienne, mais ce n'est pas du tout le marcionisme. 

Notre poème christologique a été inséré dans l'Epître 
moyennant une transition artificielle (ii, 5). Reste à savoir 
<ians quelles conditions l'insertion a été pratiquée. Le 
poème, sans doute, a existé avant l'Epître ; mais le reste 
de l'Epître est-il homogène, et dans quel rapport le poème 
se trouve-t-il avec cet ensemble ? L'Epître contient les 
éléments de deux lettres ou billets de Paul, parfaitement 
authentiques, mais qui, dans la compilation, sont logés à 
l'inverse de leurs dates réelles. On lit, en effet (ii, 25-30), 
qu'Epaphrodite, délégué des Philippiens auprès de Paul, va 
quitter l'Apôtre après un assez long séjour auprès de lui ; 
et plus loin (iv, 18) l'on dirait que le même Epaphrodite 
vient d'arriver, apportant le secours dont Paul fait remer- 
ciement aux Philippiens. Le premier billet, accusé de 
réception, aurait été écrit au commencement de la captivité 
de Paul à Rome \ mettons, approximativement en 59 ; nous 
en avons le morceau principal (iv, 10-22). Le second billet, 
écrit un peu plus tard, mettons en 60, est plus fragmenté 
dans la compilation : après l'adresse (i, 1-2) % que nous 
pouvons supposer identique dans les deux lettres, une suite 
peut être obtenue avec des morceaux maintenant séparés 
(i, 12-18, 25-26 ; ii, 19, 22-iii, la)^ 

1. D'aucuns suggèrent Gésaree (Lohmeyer), d'autres, moins proba- 
blement, Ephèse. Cette question est pour nous accessoire. 

2. La mention spéciale des « évêques et diacres » a toute chance 
d'y être surajoutée. 

3. Reste la recommandation très personnelle contenue dans iv, 2-3, 



94 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Mais, en dehors de ces fragments qui, de toute évidence, 
appartiennent à une correspondance réelle de Paul avec la 
communauté de Philippes, nous trouvons une série d'en- 
seignements conçus dans le courant gnostique ou mysti- 
que ^ qui commence à nous être familier (i, 3-11, 19-24, 
27-11, 4, 12-18, où s'encadre par une transition' assez gauche 
et artificielle, 5, le poème mystique cité plus haut, 6-11 ; 
20-21, surcharge assez sensible dans la partie de la seconde 
lettre qui concerne Timothée, et qui sans doute est en cor- 
respondance avec la pièce capitale de cette série, m, 1 b- 
20 a, véhémente sortie contre les prétendus judaïsants, 
dénoncés maintenant comme « les ennemis de la croix du 
Christ » ; 20 6-21, glose où apparaît la préoccupation d'affir- 
mer la résurrection corporelle, en afiinité très étroite avec 
la rédaction de I Corinthiens, xv, 23-25, 43 ; iv, 1, 4-9, 
exhortation finale). 

De cette analyse trop sommaire, mais que nous ne sau- 
rions poursuivre dans le détail, il résulte que le poème 
christologique dont nous avons parlé d'abord est sans le 
moindre rapport avec les lettres authentiques de Paul aux 
Philippiens ; c'est dans le commentaire mystique de l'Epî- 
tre compilée qu'on l'a inséré, et ce n'est probablement pas 
l'auteur de ce commentaire qui a fait l'insertion ; mais le 
poème christologique est un morceau de gnose ; l'on peut 
vraisemblablement supposer qu'il aura vu le jour dans le 
même milieu que le commentaire, et qu'il avait été conçu 
dans le même esprit. Le porte-parole de Paul qui tonne ici 
furieusement contre les prédicateurs judaïsants est de très 

et qu'on ne sait à quelle lettre rattacher. La mention : « fidèle con- 
joint », ou « conjointe », est pour nous énigmatique. Clément d'Alexan- 
drie [Stromates, III, 52), suivi par Eusèbe (Histoire ecclésiastique, III. 
30), entend : « épouse », et Turmel, IV, 13-14, s'empresse d'en faire 
autant, désignant Lydie [Actes, xvi, 14-15) ; il veut bien reconnaître 
toutefois que le porte-parole de Paul dans I Corinthiens, vu, 7, n'était 
pas de son avis (cf. supr., p. 59). Il est permis d'en croire ce porte- 
parole, quand même Lydie serait visée dans le passage en question. 

1. De nombreux rapports d'expression pourraient être signalés avec 
la gnose d'autres Epîtres : i, 21, et Galates, ii, 20 (la vie en Christ); ii, 
16, et Galates, ii, 2 (pour ne pas courir en vain) ; m, 4-6, et II Corin- 
thiens, II, 18, 21-22 (pour se glorifier selon la chair) ; m, 15, et I Corin- 
thiens, II, 6 (les parfaits). 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 95 

près apparenté à celui qui, dans II Corinthiens, dénonçait 
avec autant de véhémence les superapôtres comme de& 
agents de Satan. On voudrait savoir dans quel milieu dé- 
voué à la mémoire de Paul s'est poursuivie l'élaboration 
de nos Epîtres ; mais cette question qui se pose devant 
nous avec une instance croissante, et qu'on n'a pas résolue 
en faisant intervenir Marcion, ou en dénonçant nos con- 
clusions comme des « impressions personnelles », nous ne 
pourrons la discuter utilement qu'au terme de la présente 
étude. 

Nous trouvons dans l'Epître aux Colossiens un petit 
poème christologique, analogue à celui que nous avons ren- 
contré dans l'Epître aux Philippiens, mais d'un rythme 
moins achevé, et qui coupe de même l'exhortation mysti- 
que où il a été inséré. Le lecteur est prié simplement de 
considérer que Colossiens i, 21, rejoint 14, en sorte que 
l'enclave, 15-20, y est incluse par une façon de surcharge, 
comme il est advenu dans le cas de Philippiens. Ainsi le 
poème pourrait avoir existé d'abord indépendamment du 
contexte auquel il est adventice. Par conséquent, s'il est 
consistant et équilibré en lui-même, il n'y a pas motif de 
le découper ou retoucher au bénéfice d'hypothèses, fondées 
ou non, touchant le caractère général de l'Epître qui le 
contient maintenant. Deux strophes, comme dans Philip- 
piens, l'une cosmologique, l'autres sotériologique. Pre- 
mière strophe : 

Il est l'image du Dieu invisible, 

l'aîné de toute créature, 
Parce qu'en lui ont été créées toutes les choses 

dans les cieux et sur la terre, 
Les visibles et les invisibles, 

soit Trônes, soit Dominations, 

soit Principautés, soit Puissances, 
Toutes les choses: par lui 

et pour lui ont été créées. 

Ici l'arrière-plan mythologique du poème est mieux des^ 
sine que dans Philippiens» et d'abord le caractère propre 



"96 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

de l'être divin qui est médiateur de la création et du salut, 
;à savoir l'Image de Dieu, image vivante et active, cela va 
de soi. Nous retrouverons une doctrine analogue dans 
i'Epître aux Hébreux. Le concept, évidemment, n'a rien 
de marcionite. Seconde strophe : 

Et lui-même est avant toutes choses, 

et toutes choses en lui subsistent, 
Et lui-même est la tête du corps, de TEglise, 

il est chef, aîné d'entre les morts, 

afin qu'il soit en tout, lui, premier; 
Parce qu'en lui a jugé bon tout le Plérôme d'habiter, 

et par lui de réconcilier tout à lui, 
Pacifiant [par le sang de sa croix] par lui 

soit ce qui est sur la terre, 

soit ce qui est dans les cieux. 

Les mots : « par le sang de sa croix » sont une glose expli- 
'Cative, doublant « par lui », que rien n'oblige à croire dirigée 
contre le docétisme. 

Mais il faut avouer que, dans notre poème, la sotériologie 
est moins bien dessinée que dans Philippiens. Toutefois il 
ressort du texte que « l'aîné de toute créature » n'a pu 
devenir « l'aîné des morts » qu'en se faisant homme, en 
subissant comme tel la mort, et en devenant l'aîné des res- 
suscites ; et c'est par la vertu de cette mort salutaire que 
l'ordre divin des choses, qui avait été bouleversé, — pas plus 
que dans Philippiens l'on ne nous dit ici ;comment, mais 
c'est par une perversion de toute l'économie de l'univers 
€réé, — a été rétabli. Il s'agit du « plérome », et ce mot 
^nostique est à prendre ici avec toute la signification qu'y 
attribue la gnose. Cela signifie l'ensemble des émanations ou 
créations divines. Il serait parfaitement ridicule, eu égard au 
contexte, de n'y voir que l'ensemble des fidèles, ou bien la 
totalité des perfections divines : noter que c'est l'équilibre 
de la création tout entière qui a été constitué tout d'abord 
dans le divin médiateur, et sûrement c'est le même équi- 
libre de toute la création, humanité comprise, que l'on 
nous dit avoir été rétabli en lui par la vertu de sa mort salu- 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 97 

taire. Par conséquent c'est de là qu'il faut partir pour 
expliquer les termes qui demeurent obscurs pour nous. 

Ce n'est pas le Plérome qui fait difficulté. On peut tra- 
duire : « Parce que (Dieu) a jugé bon que tout le Plérome 
habitât en lui (le Christ), et par lui (le Christ) de réconcilier 
tout avec lui (Dieu) ». On obtient exactement le même sens 
que dans notre traduction, mais en tourmentant singuliè- 
rement la phrase. Après tout, la reconstitution du Plérome 
dans le Christ et sa réconciliation au Christ impliquent 
aussi la réconciliation avec Dieu. Reste seulement à expli- 
quer la signification du « corps », qui serait « l'Eglise ». 
Dans l'économie restaurée de l'univers, le médiateur divin 
est « la tête du corps ». On pourrait entendre, et l'on entend 
volontiers, que le Christ, apparaissant ici en « aîné des 
morts », serait désigné comme chef de l'humanité croyante 
et sauvée, laquelle serait son corps, qu'est aussi bien 
l'Eglise. Ainsi l'aurait compris le plus ancien interprète 
de notre passage, l'auteur d'Ephésiens, i, 23, si toutefois 
il l'a ainsi compris, car il paraphrase l'ensemble de notre 
poème, et ce qu'il dit n'est pas plus précis. 

Il nous faut donc aussi l'interroger, et voici son exégèse. 
Il s'agit (Ephésiens, i, 19-23) de connaître : 

La suréminente grandeur de sa puissance envers nous les croyants, 
selon Tefficace de la vertu de sa force, qu'il a exercée dans le Christ 
en le ressuscitant des morts et le faisant asseoir à sa droite dans les 
cieux, au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu, Domination, 
et de toute dignité dénommée, non seulement en cet âge mais dans 
l'âge à venir. Et tout il a mis sous ses pieds, et il l'a donné comme 
chef, sur tout, à l'Eglise, qui est son corps, le Plérome de celui qui 
remplit tout en tout. 

Ecartons de ce beau texte toute interprétation fantai- 
siste. Quand il parle des Principautés qui sont soumises 
au Christ, l'auteur, qui n'est pas « marcionite », ne 
« vise » pas « les divinités du panthéon gnostique, qu'il con- 
naît et qu'il méprise », et il ne « fait » pas « dire à Paul 
qu'elles paraîtront dans l'avenir ^ ». Ce sont, à n'en pas 

1. Comme l'entend Turmel, III, 216, n. 1. 



98 SDR LA LITTÉRATURE ÈPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

douter, « les Trônes, Dominations », etc., dont parle Colos- 
siens, i, 16, qui ont été instituées dans le divin Médiateur 
et rétablies dans l'ordre du Plérome restauré par la mort 
salutaire du Christ. Ce ne sont pas des éons de la gnose hété- 
rodoxe. Ce sont des personnages ou des personnifications 
qui appartiennent à une mythologie chrétienne. Mais ce 
qui nous intéresse surtout dans ce commentaire, c'est la 
définition qui s'y fait de l'Eglise commel corps du Christ, 
et l'identification de ce corps, de cette Eglise, au Plérome 
de Celui qui, étant tout en tout, remplit tout. A ne consi- 
dérer que le texte de Colossiens, et notant que, là, « le 
corps, l'Eglise », vient entre la mention de la subsistance 
de toutes choses dans le Christ, et celle de la purification 
universelle, de la réconciliation de tout à Dieu par le 
Christ, on était fondé à penser que « le corps », c'est-à-dire 
« l'Eglise », ne pouvait être pris dans un sens étroit, qu'il 
appartenait à l'ordre transcendant, qu'il était comme un 
éon, ou si l'on veut une personnification supérieure, com- 
prenant sans doute l'humanité sauvée, l'Eglise des croyants, 
mais aussi le corps universel et l'Eglise des mondes, la plé- 
nitude des êtres. Cette conclusion, que nous aurions for- 
mulée sans crainte, et que certains auraient pu juger témé- 
raire, l'auteur d'Ephésiens la formule sans ambages. Nous 
en prenons acte. En somme, cette déclaration, si extraor- 
dinaire pour notre mentalité, ayons la loyauté d'avouer 
qu'elle est dans la logique intime de la gnose de salut qui 
s'est ébauchée dans le poème christologique de Colossiens, 
I, 15-20. 

Le principal de l'Epître est d'inspiration gnostique, nul- 
lement marcionite ^ d'ailleurs, et n'accuse pas de disso- 
nance avec la doctrine du poème. Exhortation morale, 
coordonnée à une gnose mystique : i, 1-14, 21-23 ^ ; — la 
reprise (21), après le poème, semble s'appuyer sur la conclu- 
sion de celui-ci, comme si l'auteur de l'Epître avait lui- 



1. Sur ce point la démonstration de Turmel, III, 101-117, ne paraît 
pas concluante. 

2. Les mots : « par son corps de chair », dans i, 22, sont une glose 
antidocète. 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 99 

même fait l'insertion du document ;- — 26-28, ii, 2-5, où il 
est question du « mystère caché aux âges (éons) et aux gé- 
nérations », et qui « est maintenant manifesté aux saints », 
ce qui rappelle I Corinthiens, ii, 6-8, 10 ^ ; ii, 6-15, où le 
poème christologique est assez curieusement commenté 
(on y lit que « tout le Plérome de la divinité habite corporel- 
lement » dans le Christ ; le mot « corporellement », c'est-à- 
dire en manière de corps, ne fait difficulté que si l'on mécon- 
naît la signification transcendante du mot « corps » dans 
le poème ^ ; l'ensevelissement du fidèle avec le Christ par le 
baptême rappelle Romains, vi, 4 ^ ; et ce petit supplément 
à la mythologie du poème : le Christ, « ayant effacé l'écrit * 
nous concernant, avec les clauses qui nous étaient con- 
traires, l'a éliminé en le clouant à la croix ; ayant dépouillé 
les Principautés et les Puissances, il les a mises au pilori, 
triomphant d'elles par lui-même ») ; iii-iv, 3 a, 5-6 (con- 
seils moraux) ; 12 (rappel d'Epaphras,mentionné dans i, 7) ; 
16-17 (mention d'une lettre aux Laodicéens, par quoi aura 
été suggérée la composition de l'Epître dite aux Ephésiens). 
Un long passage (ii, 16-23), de caractère très particnlier, 
dans la première partie de l'Epître, prémunit le lecteur 
contre la séduction d'un culte mystique en affinité avec le 
judaïsme et qui comportait, en conséquence d'une initia- 
tion spéciale, de nombreuses abstinences. Il s'agit d'un 
culte local, et l'on a pensé au culte de Sabazios. Complète- 
ment isolé dans l'Epître par son caractère et par son con- 
tenu, ce morceau fait d'ailleurs surcharge dans le contexte 
(m, l,se rattachant naturellement à ii, 15). Les premières 
lignes sont dans la plus étroite affinité avec l'Epître aux 
Hébreux (x, 1), et la dépendance ne saurait être du côté 
de cette Epître. Toutefois l'addition a dû être incorporée 
à l'Epître avant 140 ^. 

1. Cf. supr., p. 47. 

2. Et l'on comprend aussi pourquoi les fidèles sont dits (10) « plé- 
rômés » dans le Christ. 

3. Cf. supr., p. 22. 

4. Il s'agit de la Loi, qui est appréciée ici comme dans Romains, v, 
20. Cf. supr., p. 21. 

5. Elle figurait dans le recueil de Marcion (cf. Harnack, Marcion, 
121*). L'ensemble de la pièce exclut tout à fait l'hypothèse de Turmel, 



100 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTÔLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

L'Epître aux Colossiens a-t-elle été publiée d'abord sous 
le nom de Paul, le billet de la fin (iv, 7-11), où Paul parle 
de son messager Tychique, inviterait à le supposer. Mais on 
a fait valoir ^ très justement contre cette hypothèse, que 
l'Epître, en général, est écrite en « nous », et que tous les 
passages où Paul intervient avec son « je » sont des sur- 
charges rédactionnelles (i, 23 b-25, 26 rejoignant 23, dont 
il faut détacher seulement les mots : « dont moi, Paul, je 
suis le ministre ») ; i, 29-ii, 1 (ii, 2, exigeant impérieuse- 
ment d'être rattaché à i, 28) ; ii, 4-5 (propos superflus, par- 
dessus lesquels ii, 6, rejoint 3) ; les derniers mots de iv, 3 
(« à cause duquel je suis dans les chaînes »), et 4 (où il y a 
un « afin que je » qui double fâcheusement « afin que Dieu 
nous ouvre », etc., et se dénonce comme un intrus). Dans ces 
conditions, il n'est aucunement téméraire de penser que la 
lettre a été d'abord anonyme, c'est-à-dire écrite au nom 
d'un groupe chrétien au groupe de Colosses. Mais comme 
la lettre n'est pas marcionite, il n'y a pas motif de suppo- 
ser que le groupe chrétien de Colosses l'ait été. C'est 
dans un milieu dévoué à la mémoire de Paul que la substi- 
tution d'auteur se sera faite, à une date impossible à fixer, 
vers le commencement du second siècle. Cela n'est pas 
plus difficile à admettre que le faux intégral de l'Epître 
aux Ephésiens. 

Que le message confié à Tychique (iv, 7-11) soit un billet 
authentique de Paul, adressé originairement, non à Co- 
losses, mais à une communauté fondée par lui, pendant une 
captivité qui pourrait être celle de Césarée ou celle de 
Rome ^ on le peut supposer, charitablement. Aristarque, 
ayant d'abord accompagné Paul dans son dernier voyage 
à Jérusalem, l'avait suivi jusqu'à Rome. On conçoit 
que Paul, empêché pour un motif quelconque, par pru- 

III, 116-117, d'après lequel serait visé là un certain Blastus, qui 
vers 175, aurait voulu rétablir à Rome les rites de laPâque juive. Les 
mots de ii, 18 : « ce qu'il a vu en entrant », sont une allusion expresse 
à un rite d'initiation. 

1. Turmel, III, 117-121. 

2. Plutôt Césarée, car Tychique, qui avait suivi Paul à Jérusalem 
n'était pas auprès de lui dans le transfert à Rome (cf. Actes, xx, 4 ; 
XXVII, 2). 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 101 

dence peut-être, ait pu se contenter d'un tel message. 

Mais n'y a-t-il pas l'Epître à Philémon, qui semble liée 
à l'Epître aux Colossiens, et dont l'authenticité n'est guère 
contestable ? Il est facile de répondre que la lettre à Phi- 
lémon n'est en rapport qu'avec le billet de Paul, et que ce 
billet n'ayant pas été réellement adressé à Colosses, aucun 
lien ne subsiste entre Philémon et Colosses, ni même, à 
proprement parler, entre les deux Epîtres ^. 

Reste l'Epître aux Ephésiens, sur laquelle nous n'avons 
pas lieu de nous arrêter longuement. Démarquée de l'Epître 
aux Colossiens, qui n'est pas authentique, l'Epître aux 
Ephésiens est, si on l'ose dire, deux fois apocryphe. Et 
celle-ci n'est pas plus marcionite que celle-là. Noter que 
Marcion l'a 'connue comme Epître aux Laodicéens. Telle 
est sûrement son attribution primitive. Elle a été pré- 
sentée d'abord par son auteur comme étant la lettre aux 
Laodicéens dont parlait Colossiens, iv, 16 ; puis la tradi- 
tion n'aura pas tardé à transférer des Laodicéens aux 
Ephésiens cette lettre fictive, estimant sans doute qu'E- 
phèse méritait mieux que Laodicée l'honneur d'une lettre 
apostolique. Tout ce petit jeu n'est pas sans intérêt pour 
l'histoire de nos Epîtres, bien que ce n'en soit qu'un inter- 
mède presque amusant. 

L'auteur a paraphrasé d'un bout à l'autre l'Epître aux 
Colossiens, qu'il a connue telle à peu près que nous la 
voyons ; il en a retenu la philosophie religieuse, ainsi que 
nous l'avons pu constater 2. Certaines additions qui ont 
été faites après coup dans le texte sont pour l'adaptation 
à la doctrine commune : i, 7 (les mots : « par son sang », 
glose antidocète) ; i, 13 6-14 a (ce qui regarde l'Esprit 
saint ; mais rien n'oblige à y voir une glose antimonta- 
niste); dans 11, 11, 12, 15, 16, tout ce qui regarde les Gentils 
et leur réunion à Israël en un seul peuple ^ ; dans 11, 13 
« par le sang du Christ », et dans 14 « par sa chair », 

1. Pour les menus détails et les échanges de noms qui ont pu se pro- 
duire entre les deux Epîtres, voir Turmel, III, 145-147, en tenant 
compte des corrections suggérées par le même, IV, 128-129. 

2. Cf. supr., p. 97. 

3. Pour le détail, voir Turmel, III, 218-219. 



102 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLÂIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

(menues gloses antidocètes). Remarquons, en passant, que 
la présence de ces additions est attestée dans la recen- 
sion marcionite ^ ; Marcion savait s'en arranger. Tertullien 
atteste formellement ^ que dans ii, 20, Marcion lisait : 
a Construits sur le fondement des apôtres. Christ étant la 
pierre angulaire ^. » Il a supprimé les prophètes, dit Ter- 
tullien, pour ne paraître pas fairej des prophètes de l'An- 
cien Testament le fondement de l'édifice ; il n'a pas vu que 
c'est le Psaume (cxviii, 22 ; Marc xii, 10) qui a fourni « la 
pierre angulaire ». La mention des prophètes peut très bien 
être primitive, les prophètes étant associés aux apôtres 
comme instructeurs de l'Eglise *. Suite des surcharges : 

III, 1 (la mention de Paul), 6 (ce qui est dit des païens) ^ ; 

IV, 8-9 (citations qui coupent le développement), 30 (sur 
l'Esprit saint ; à expliquer comme ci-dessus) ^. Et tout 
naturellement le message de Tychique, emprunté à Colos- 
siens, iv, 7-8, et adapté à la circonstance, vient à la fin 
(vi, 21-22), pour authentiquer l'ensemble. Il authentique 
un faux des mieux caractérisés. 



1. Cf. Harnack, Marcion, 114*. 

2. Cf. Harnack, Marcion, 115*. 

3. La lecture suggérée par Turmel, III, 219 : « Construits sur le fon- 
dement de la pierre angulaire, le Christ Jésus », ne saurait être acceptée, 
la formule même en étant contradictoire : fondement et pierre angu- 
laire, cela fait deux. 

4. Les apôtres et les prophètes reviennent dans m, 5 ; mais ici la 
répétition peut être attribuée au glossateur qui a écrit le v. 6, la leçon 
primitive de ce passage semblant être ce que lit Turmel, III, 22 : 
« Comme il (le mystère) a été révélé maintenant à ses saints — par 
l'Evangile ». En revanche, iv, 11, est à maintenir en son intégrité, 
confirmant la mention des prophètes dans m, 5. Noter que les « apô- 
tres » sont les « Douze », devenus un groupe mystique et canonisé comme 
tel. Ceci nous éloigne sensiblement de l'âge apostolique. 

5. A la fin de m, 9, au lieu de : « dans le Dieu qui a tout créé », 
leçon conforme à la théologie de l'auteur, Marcion lisait : « au dieu qui 
a tout créé », c'est-à-dire « au démiurge ». Escamotage théologique. 

6. La citation de v, 14, que Turmel, III, 226, prend pour un oracle 
marcionite, est tout simplement un hymne baptismal dont Clément 
d'Alexandrie fait une citation plus ample. Cf. La Naissance du Chris- 
tianisme, 286. Il n'y a pas motif de rejeter v, 28-32, dont le contenu est 
conforme à la mystique de l'auteur ; et l'élimination de vi, 2-3, com- 
mentaire de VI, 1, ne s'impose pas. 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 103 



III 



C'est probablement à Alexandrie que l'Epître dite aux 
Hébreux, qui jamais ne fut adressée aux Juifs ni à des 
chrétiens judaïsants, fut attribuée à Paul. Mais cette attri- 
bution n'a rien de primitif. Tertullien ^ cite cette Epître 
comme étant de Barnabe, et un certain nombre de criti- 
ques modernes se sont montrés favorables à une telle 
imputation. Il est impossible toutefois de se dissimuler 
que l'auteur se place lui-même après l'âge apostolique. 

Pressant ses lecteurs de ne pas négliger le salut qui leur 
a été annoncé, l'auteur (ii, 3-4) rappelle que ce grand 
salut, « ayant pris commencement d'énonciation par le 
Seigneur, a été par ses auditeurs vis-à-vis de nous confirmé, 
Dieu s'associant à leur témoignage par signes et prodiges, 
miracles divers et distributions d'esprit selon sa volonté ». 
Nous sommes au niveau de la rédaction des Actes, et 
devant une conception sommaire, systématique, idéalisée, 
prise de loin, de la prédication évangélique et apostolique 
en son commencement. 

Citons cet autre passage (xiii, 7) : 

Souvenez-vous de vos conducteurs, 

qui vous ont dit la parole de Dieu ; 
Considérant l'issue de leur comportement, 

imitez leur foi. 

Les fondateurs de la communauté destinataire sont ici 
désignés, et comme ayant subi le martyre. On parle d'eux 
sur un ton de mystère, et pourtant ils doivent avoir été 
assez clairement signalés pour que les lecteurs les recon- 
naissent dans ce nuage de légende. S'il s'agit de la com- 
munauté romaine. « les conducteurs » seraient Pierre et 
Paul, associés dans le souvenir et la gloire, comme les pré- 
sente l'Epître de Clément. Et ce trait encore supposerait 
toute construite la légende de la fondation apostolique de 

1. De Pudicitia, 20. 



104 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

l'Eglise romaine. Une des meilleures raisons, peut-être la 
plus forte, qu'on ait de supposer que la communauté ro- 
maine a été destinataire de l'Epître, c'est que Rome a su 
d'original que le document n'était pas de Paul, et qu'il a 
fallu deux siècles pour lui faire oublier sa propre tradition 
sur la non-apostolicité d'un écrit qu'elle connaissait, on 
peut le dire, depuis qu'il avait vu le jour. 

Il est fait, dans un autre endroit (x, 32-35), allusion à des 
persécutions déjà anciennes et qui ont duré : ce sont pro- 
bablement les persécutions de Néron et de Domitien (allu- 
sion à des confiscations) ; on est sorti de cette crise vio- 
lente, mais l'on doit s'encourager à souffrir. Et cette 
période de rémission relative nous conduirait au temps 
des Antonins. 

Un indice peut être également tiré du rapport de notre 
Epître avec la tradition évangélique. Tel trait visant l'en- 
droit où le Christ a subi la mort (xiii, 12) se présente en 
accomplissement de prophétie, et tel autre, où l'on a pensé 
reconnaître la prière de Gethsémani (v, 7-10), semblerait 
n'y avoir aucun rapport. Lisons plutôt : 

Lui qui, en ses jours de la chair, ayant présenté, à celui qui pou- 
vait le sauver de la mort, prières et supplications, avec grands cris 
et larmes, et exaucé dans l'angoisse, a, bien que Fils, appris, par ce 
qu'il a souffert, l'obéissance, et parfait i, est devenu pour tous ceux 
qui lui obéissent, auteur de salut éternel, ayant été proclamé par 
Dieu grand-prêtre selon l'ordre de Melohisédech. 

Si l'on veut bien regarder ce texte dans sa complexe 
unité, l'on s'aperçoit aisément qu'il ne vise, en réalité, ni 
la prière de Gethsémani, ni le cri du Golgotha, mais qu'il 
envisage l'ensemble de l'action rédemptrice du Christ, de- 
puis l'humiliation jusqu'à l'exaltation finale, en tant que 
préfiguré dans le Psaume xxii, d'où proviennent aussi bien 
la scène de Gethsémani et le cri du Calvaire. L'auteur ne 
vise pas ce que nous appelons tradition évangélique, et 
il n'en dépend pas. Historiquement, il correspondrait à 

1. C'est-à-dire pleinement initié, par la mort, à son sacerdoce éter- 
nel. 



AUTRES ÉPURES DE PAUL 105 

l'âge OÙ la tradition, utilisant les textes de l'Ancien Testa- 
ment, s'élabore et se fixe. Ce rapport ne fournit qu'une 
date approximative, d'autant que, si l'auteur est alexan- 
drin, ce n'est pas dans son milieu que nos Evangiles se 
sont construits. Du moins appartient-il à l'âge précano- 
nique de la tradition commune. 

Un autre passage (v, 11-vi, 3), qui suit immédiatement 
celui que nous venons de citer, mérite de retenir notre 
attention avant que nous abordions la gnose qui est propre 
à cette Epître et qui en fait pour nous le principal intérêt. 
L'auteur, imitant I Corinthiens, m, 1-3, dit à ses lecteurs 
qu'ils auraient plutôt besoin de lait que de nourriture so- 
lide : parallélisme qui ne manque pas de signification ; tout 
comme le Paul mystique dit sa gnose aux Corinthiens en 
protestant de ne la leur avoir pas communiquée, parce qu'ils 
étaient incapables de la recevoir, notre anonyme commence 
par dire à ses lecteurs qu'ils auraient plutôt besoin qu'on 
leur répétât le catéchisme commun de l'initiation chré- 
tienne, au lieu de leur exposer une gnose qui convient aux 
parfaits, et c'est pourtant la gnose qu'il va aussitôt leur 
développer. Ainsi nos deux mystiques avaient parfaite- 
ment conscience d'enseigner une doctrine autre que le rudi- 
ment où se définissait la foi commune des chrétiens. Il n'y 
a pas à dire, c'est le principe même de la gnose, et ce que 
nos auteurs enseignent est une gnose, ce n'est pas la simple 
expression de l'Evangile. Voici donc en quels termes notre 
gnostique résume le christianisme vulgaire : 

C'est pourquoi, laissant le thème initial du Christ, élevons-nous 
à la perfection ^, sans poser de nouveau le fondement du repentir 
pour les œuvres mortes, de la foi en Dieu, de la doctrine des bap- 
têmes, de l'imposition des mains, de la résurrection des morts et 
du jugement éternel. 

Voilà qui est clair, et qui rappelle la catéchèse de la Dida- 
ché ; pas de christologie, à ce qu'il semble, en dehors de 
l'eschatologie. On voudrait une explication sur « la doc- 

1. Entendons : l'initiation gnostique. 



106 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

trine des baptêmes » : il est peu probable que l'auteur ait 
en vue plusieurs formes du rite baptismal, mais il songe 
plutôt à accentuer la signification du baptême chrétien 
par rapport à d'autres, ce que fait aussi la mention con- 
j ointe de « l'imposition des mains », ou bien encore des rites 
préliminaires sont visés en même temps que l'immersion 
baptismale. En vérité, la gnose que l'auteur va nous décrire 
est bien autre chose que ce modeste répertoire. Avant 
d'aborder son sujet, il fait remarquer que la répétition du 
catéchisme serait sans utilité ; car pour le chrétien tombé 
il n'y a plus de ressource, le baptême n'étant pas plus réité- 
rable que la rédemption opérée une fois pour toutes par le 
Fils de Dieu (vi, 4-8). Doctrine qui invite à placer chrono- 
logiquement l'Epître aux Hébreux avant le Pasteur d'Her- 
mas. 

Dès son préambule (i, 1-4), l'auteur nous transporte 
dans un monde nouveau pour nous : ce ne sont plus les 
spéculations des grandes Epîtres, ni tout à fait, et tant s'en 
faut, celles de Philippiens et de Colossiens ; cela ressemble- 
rait plutôt au quatrième Evangile, que notre gnostique pa- 
raît ignorer encore plus qu'il n'ignore les autres relations 
évangéliques. 

A plusieurs fois et de plusieurs manières, 

Dieu, ayant jadis parlé 

aux Pères par les Prophètes, 
En cette fin des jours 

nous a parlé par (son) Fils, 
Qu'il a institué héritier de tout, 

par lequel aussi il a fait les mondes. 

Littéralement, ce seraient les eons, et nous n'avons pas de 
mot pour traduire exactement ce terme de gnose : ce n'est 
précisément ni « mondes » ni « âges », mais la série des êtres 
selon l'harmonie de leur hiérarchie naturelle et de leur 
succession chronologique. Plus loin (xi, 3) on nous dira : 
« Par la foi, nous le comprenons », — nous autres ne le 
comprenons pas si facilement, — « se produisirent les éons, 
à la parole de Dieu, en sorte que ce n'est pas de phénomènes 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 107 

qu'est issu le visible . » Et donc ce serait par un acte de foi 
en la parole de Dieu que les éons, qui sans doute existaient 
comme idées dans le monde invisible, se seraient affirmés 
en forme de réalités sensibles ; auparavant, dans ce que 
nous appelons leur existence idéale, c'étaient des réalités 
invisibles, puisqu'elles étaient capables d'un acte de foi. 
Notre gnostique a de la philosophie. Nous voyons cepen- 
dant qu'il accepte la révélation de l'Ancien Testament, et 
nous constaterons qu'il la regarde comme présageant ou 
figurant la manifestation du Fils de Dieu. Reprenons la 
suite de ce prologue sublime : 

Qui, étant reflet de sa gloire 

et empreinte de sa substance, 
Portant aussi toutes choses 

par le mot de sa puissance, 
Après avoir^fait purification des péchés, 

s'est assis à la droite de la Majesté en haut, 
Devenu d'autant supérieur aux anges 

qu'il a hérité d'un nom plus excellent qu'eux. 

Le nom, la qualité, la nature du Fils de Dieu l'emportent 
sur le nom, la qualité, la nature des anges. Si l'auteur tient 
tant à le dire, c'est sans doute qu'il connaît des gens qui 
classent ou qui ont l'air de classer le Christ lui-même, en 
tant qu'ils admettent sa préexistence, dans la catégorie 
des esprits célestes dénommés anges. L'on n'a pas besoin de 
chercher bien loin : n'était-ce pas, à peu près, le cas du bon 
Hermas ? Peut-on interpréter autrement que dans ce sens 
le poème christologique de Philippiens ? Il y en eut bien 
d'autres encore, et il n'y a certes pas lieu de faire intervenir 
ici Marcion ^. On remarquera que la manifestation terrestre 

1. Gomme fait Turmel, IV, 112, au moyen d'un raisonnement diffi- 
cile à entendre. Le lecteur pourra juger du système en se reportant à 
Turmel, IV, 111-122. Signalons seulement un contresens palpable, qui 
a été commis sur ix, 24 : « Le Christ n'est pas entré dans un sanctuaire 
fait de main d'homme » — comme était le tabernacle mosaïque, — 
a en copie du véritable, mais il est entré dans le ciel même ». Turmel, 
IV, 120, estime, contre l'évidence, que le sanctuaire véritable, proto- 
type du tabernacle mosaïque, est le corps du Christ. Il n'a pas tenu 
compte de x, 19, où on lit que Jésus est entré dans le sanctuaire « à 
travers le voile, c'est-à-dire sa propre chair. » 



108 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

du Fils a eu pour objet essentiel l'expiation des péchés, — 
les péchés de l'humanité, — et c'est en récompense de cette 
expiation que le Fils a pris place à la droite de Dieu. Com- 
ment se fit la chose, on nous l'expliquera plus loin. 

Cette mission de salut accomplie par le Fils de Dieu 
fut un acte d'expiation sacerdotale par la mort et par 
l'oblation de sang. Le type de ce sacerdoce fut Melchisé- 
dech, le personnage mystérieux qui intervient dans l'his- 
toire d'Abraham {Genèse, xiv, 17-20). Et c'est ce qui fait 
la particulière originalité de notre gnose. Comment Mel- 
chisédech a été le type unique de l'unique sacerdoce qui 
appartient au Fils, l'auteur s'emploie à nous le faire com- 
prendre. Dès maintenant nous savons que l'expiation dont 
il va esquisser le tableau est conçue tout autrement que 
celle qui nous a été décrite dans Romains v-viii. Voici ce 
que signifie le personnage de Melchisédech (vu, 1-3) : 

Car ce Melchisédech, roi de Salem, 

prêtre du Dieu très-haut, 
Qui rencontra Abraham revenant de battre les rois, 

et qui le bénit, 

à qui aussi Abraham attribua la dîme de tout ; 
Qui premièrement se traduit « roi de justice », 

mais ensuite roi de Salem, c'est-à-dire « roi de paix », 
Sans père, sans mère, sans généalogie, 

n'ayant ni commencement de jours ni fin de vie. 
Mais, pareil au Fils de Dieu, 

demeure prêtre à perpétuité. 

L'exactitude historique de cette exégèse nous importe 
peu ; nous devons la prendre dans le sens que l'auteur y a 
voulu donner. Melchisédech est un vieux nom cananéen, et 
comme il a existé un dieu phénicien du nom de Sédech, il est 
très probable que Melchisédech signifie : « Sédech est mon 
roi ». Salem est un nom de ville, et les commentateurs, 
depuis l'antiquité, n'ont pas fini de se demander si le nom 
désigne Jérusalem ou une localité voisine. Dans la pensée de 
notre auteur et pour sa typologie, il s'agirait plutôt de 
Jérusalem. Mais c'est surtout « comme roi de justice » et 



AUTRES ÊPITRES DE PAUL 109 

comme « roi de paix » que Melchisédech figure le Christ. Et 
il le figure aussi bien dans tous les autres traits qui nous 
sont indiqués, lesquels même, il faut bien l'avouer, n'ont leur 
plein sens que dans le Christ. Notre auteur interprète le récit 
biblique relatif à Melchisédech, et il constate que, dans ce 
récit, pris à la lettre, Melchisédech apparaît roi de justice, 
roi de paix, sans père, sans mère, sans ancêtres, sans nais- 
sance et sans mort. C'est en tout cela qu'il ressemble au Fils 
de Dieu. Fort bien ! mais comme notre gnostique n'a pas 
voulu dire que Melchisédech ait été un homme éternel, qu'il 
n'avait pas eu de parents et qu'il n'était pas mort, il en 
résulte que tous ces traits n'ont leur application réelle et 
complète que dans le Christ. Et ceci est un point dont il ne 
semble pas que les critiques eux-mêmes se soient toujours 
aperçus. Puissions-nous n'être pas dupe d'une « impression 
personnelle » en leur exposant de quoi il s'agit réellement ! 

Il nous est déclaré ici en termes formels que le Christ, 
prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech, outre qu'il est 
le vrai « roi de justice » et le vrai « roi de paix », a été, pour 
l'accomplissement de sa fonction sacerdotale et rédemptrice, 
« sans père » en ce monde, — ce qui n'est pas pour afiirmer 
la conception virginale, puisqu'on ajoute aussitôt qu'il est 
également — « sans mère », « sans généalogie », — d'où il 
résulte que les généalogies de Matthieu et de Luc sont igno- 
rées ou négligées, — « sans commencement de jours », — 
lisons : sans naissance terrestre, — « sans fin de vie », — 
parce que sa mort n'a été que son entrée dans l'immorta- 
lité, ce qui exclut la séjour au tombeau et la résurrection 
corporelle. Voilà ce que dit notre texte, et la gnose qu'il 
exprime n'est certes pas dépourvue d'originalité ni de 
hardiesse. Le Christ a paru sur la terre sans y être né, il n'y 
est mort que pour entrer dans l'éternité. Le « voile » de 
« sa chair » ne s'est rompu que pour lui ouvrir l'accès du 
ciel. Et donc « il n'a pas eu fin de vie ». 

Dans un autre passage (vu. 14), où il semble être ques- 
tion de son origine, on lit : « Il est notoire que notre Seigneur 
s'est levé de Juda », comme un astre, et c'est une allusion à 
l'étoile dont parlait Balaam (Nombres, xxiv, 17). Cela ne 



110 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMEiVT 

signifie pas que le Christ soit né comme le reste des 
hommes : on a voulu faire entendre le contraire. Pourtant 
notre auteur n'enseigne aucunement le docétisme. Il écrit 
(il, 14) : « Puis donc que les enfants » — d'après le con- 
texte, il s'agit des hommes sauvés par le Christ, — « avaient 
part au sang et à la chair, lui aussi, en quelque sorte, y 
participa, afin que, par la mort, il anéantît celui qui avait 
le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le diable. » Pour mourir, 
le Fils de Dieu a dû prendre la chair et le sang qui l'ont 
fait frère des hommes. L'adverbe : « en quelque sorte », ne 
saurait détruire l'assertion principale ; aussi bien lisons- 
nous un peu plus loin (ii, 17) que le Christ « a dû en tout 
ressembler à ses frères ». « En quelque sorte » ne marque 
pas une différence dans la participation physique à la na- 
ture humaine, mais dans le mode, puisque l'humanité du 
Christ n'est pas issue de la génération, et avec égard à la 
réserve exprimée ailleurs (iv, 15) : « Nous n'avons pas un 
grand-prêtre incapable de compatir à nos infirmités, mais 
éprouvé en tout, semblablement à nous, sauf le péché. » 
Que l'incarnation se soit réalisée pour l'accomphssement 
du ministère, ainsi paraît l'avoir entendu notre gnostique ; 
ainsi paraît l'avoir entendu le premier auteur du qua- 
trième Evangile, comme il a compris de même le retour du 
Fils à Dieu ; il n'est pas sûr que la gnose de Colossiens 
(i, 15-20) et celle de Philippiens, ii, 6-11, aient compris 
autrement l'épiphanie et l'apothéose ; et tout cela s'est 
fait avant Marcion. 

Nous avons signalé plus haut i une simple allusion à la 
prédication de Jésus. Dans l'exposé de la gnose il n'est guère 
question que de l'acte sacerdotal par lequel le Fils de Dieu 
incarné a réalisé son œuvre rédemptrice. L'excellence uni- 
que de ce haut sacerdoce consiste précisément en ce qu'un 
seul acte a pu accomplir l'expiation nécessaire, dont les sa- 
crifices de la Loi n'étaient qu'une image vide et inefîicace. Il 
est à remarquer cependant que l'auteur, fidèle à sa méthode 
typologique, prend cette fois pour type de l'expiation véri- 
table le cérémonial de la grande Expiation d'Israël comme 

1. Supr., p. 103. 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 111 

il est décrit dans le Lévitique, admettant en même temps 
que le sanctuaire céleste où le Fils est entré pour exercer 
son sacerdoce est le modèle éternel, non fait de main 
d'homme, du tabernacle terrestre où s'accomplissaient les 
rites, figuratif s et sans vertu réelle, de l'expiation lévitique. 
L'auteur s'attache à décrire (ix) les deux compartiments de 
l'ancien tabernacle, le Saint, et surtout le Saint des saints, 
où le grand-prêtre ne pénétrait qu'une fois l'an, le jour de 
la grande Expiation. « Mais le Christ, venu en grand-prêtre 
des biens futurs, est, par le meilleur et le plus parfait 
habitacle, non fait de main, c'est-à-dire pas de cette créa- 
tion » — le Saint d'en haut, — « non plus avec le sang des 
boucs et des veaux, mais avec son propre sang, entré une 
fois pour toutes dans le lieu saint » — le Saint des saints 
céleste, — « inaugurant (ainsi) une rédemption éternelle » 
(ix, 11-12). Et plus loin (ix, 24-26) : « Car ce n'est pas dans 
un sanctuaire fait de main qu'est entré le Christ, (dans) une 
copie du véritable (sanctuaire), mais dans le ciel même \ 
afin maintenant de se présenter devant Dieu pour nous ; ce 
n'était pas non plus pour s'offrir plusieurs fois lui-même, 
comme le grand-prêtre entre dans le sanctuaire chaque 
année avec du sang étranger : autrement, il aurait dû 
maintes fois souffrir depuis la création du monde ; or, une 
fois pour toutes, à la consommation des âges, pour élimina- 
tion du péché par le sacrifice de lui-même, il est apparu. » Et 
encore (x, 11-14, 19-22) : « Tout prêtre est quotidiennement 
à faire le service, et souvent à offrir les mêmes sacrifices, qui 
jamais ne peuvent ôter les péchés ; mais Lui, ayant offert 
pour les péchés un seul sacrifice, pour toujours s'est assis à 
la droite de Dieu, désormais attendant que soient placés ses 
ennemis sous ses pieds. Car par une seule offrande il a par- 
fait pour toujours les sanctifiés... Ayant donc, frères, con- 
fiance pour l'accès au sanctuaire dans le sang de Jésus, 
(accès) qu'il a inauguré pour nous en voie nouvelle et vi- 
vante à travers le voile, c'est-à-dire sa chair, et un prêtre 

1. Le sens de ix, 24, est, comme on le peut voir, sûrement garanti par 
les passages parallèles que nous en avons rapprochés ci-dessus. Cf. supr. 
p. 107, n. 1. 



112 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

grand sur la maison de Dieu, approchons-nous avec un cœur 
sincère, dans la plénitude de la foi, purifiés, quant aux 
cœurs, de conscience mauvaise, et lavés, quant au corps, 
en eau pure », etc. 

Ici l'auteur répète qu'il ne reste aucun moyen de salut 
pour les déserteurs et les apostats. Il prononce un long 
éloge de la foi (xi), « conviction de ce qu'on espère, certitude 
de ce qu'on ne voit pas ». L'essentiel de cette foi se ramène 
d'ailleurs à un énoncé assez simple (xi, 6) : « Il faut, pour 
approcher de Dieu, croire qu'il existe, et que, pour ceux 
qui le cherchent, il est un rémunérateur. » Autre concep- 
tion de la foi que celle qui est exposée dans la gnose de 
Romains, v-viii. Il faut avoir confiance dans cette économie 
invisible du salut. En regard d'une pareille doctrine, au 
fond, toute spirituelle, on comprend la portée de l'assertion 
(xiii, 8) : « Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et 
pour l'éternité. A des doctrines variables et étrangères ne 
vous laissez pas entraîner. » — L'auteur connaît des gnoses 
qu'il juge moins sûres que la sienne. Si peu lié qu'il soit à 
une tradition évangélique, il paraît posséder un schéma de 
la passion (xiii, 12). Mais on doit avouer que, pour lui, 
le schéma de la résurrection se confond avec l'entrée du 
Christ-esprit dans le tabernacle céleste à travers le voile de 
la chair, que rien n'invite à supposer transfigurée mais plu- 
tôt disparue ^. 

On voudrait connaître l'auteur d'un si magnifique docu- 
ment, mais l'auteur est sans doute à jamais inconnu. On a 
risqué des hypothèses en supposant un rapport originel de 

1. On a dès longtemps remarqué, ou pensé voir, que notre auteur ne 
parlait pas de l'eucharistie : son silence pourrait n'être qu'apparent ou 
n'avoir pas la signification qu'on y a donné (cf. Les mystères païens et le 
mystère chrétien ^, 337, n. 1). Ce doit être très délibérément qu'il n'a 
pas mis en relief un des traits caractéristiques de Melchisédech dans le 
récit de la Genèse (xiv, 18) : « offrant le pain et le vin ». Il n'aurait 
négligé que celui-là ! Ne serait-ce pas qu'il n'a pas voulu en exprimer le 
mystère ? La cène, un rudiment d'instruction sur la cène, ne serait-il 
pas impliqué dans « la doctrine des baptêmes » (supr., p. 105)? Est-ce 
que par hasard « le voile »,qui est « la chair » du Christ, ne s'identifierait 
pas mystiquement au pain rompu dans la cène, et le sang présenté 
sur l'autel du ciel à la coupe eucharistique ? Et l'auteur aurait voulu 
réserver ce beau secret à l'initiation orale. Cette « impression person- 
nelle » est livrée à la méditation du lecteur. 



AUTRES ÉPITRES DE PAUL 113 

l'Epître avec la personne de Paul : le rapport n'ayant pas 
existé, toutes ces hypothèses deviennent caduques. Les 
lignes de la fin (xiii, 23-24, dont on doit rapprocher 19, 
qui appartient à la même fiction) ne sont plus que l'arti- 
fice rédactionnel moyennant lequel on a voulu introduire 
l'Epître dans le recueil paulinien. Qu'elles puissent consti- 
tuer un billet authentique de Paul \ c'est chose peu croya- 
ble. Selon toute vraisemblance, Alexandrie est le centre 
chrétien où notre Epître a été d'abord attribuée à Paul : 
comment veut-on que ces lignes soient venues là, puis 
aient été gardées jusqu'au moment où elles auraient servi 
à authentiquer l'attribution de l'Epître ? 

La date de celle-ci n'est pas non plus facile à déterminer. 
Divers indices que nous avons recueillis inviteraient à la 
placer entre 110 et 130. Ceux qui croient que la lettre de 
Clément de Rome aux Corinthiens a été écrite vers 96 sont 
nécessairement amenés à loger l'Epître aux Hébreux vers 
SO : c'est trop tôt. L'Epître de Clément, comme nous le ver- 
rons, ne peut guère être antérieure à 130-135. Clément, qui 
a utilisé notre document % a pu le faire aussitôt que l'ins- 
truction eût été rédigée, si cette instruction a été adressée 
d'abord, comme il y a probabilité, à la communauté ro- 
maine. 

1. Comme l'admet Turmel, IV, 127. 

2. Turmel, IV, 124-127, soutient la thèse contraire, et nous revien- 
drons sur le sujet. 



CHAPITRE V 
Epîtres pastorales et Epîtres catholiques. 



Il nous reste à examiner ou à interroger les trois Epîtres 
dites pastorales, les deux Epîtres dites de Pierre et celles de 
Jacques et de Jude. Les trois Epîtres dites de Jean ne sont 
pas de notre sujet, leur histoire étant liée à celle du qua- 
trième Evangile. 



Les trois Epîtres, dites pastorales parce qu'elles se pré- 
sentent comme des instructions adressées par Paul à ses dis- 
ciples Timothée et Tite pour la direction des communautés, 
sont fort étroitement apparentées. Si la rédaction de ces 
Epîtres était homogène, on n'éprouverait pas grande diffi- 
culté à les dater ; car nous lisons, en conclusion de la pre- 
mière (I Timothée, vi, 20-21) : 

Timothée, garde le dépôt, 

fuyant les bavardages impies 

et les antithèses de la fausse science. 
De laquelle faisant profession, 

certains se sont écartés de la foi. 

Il s'agit maintenant de garder intact le dépôt d'une foi 
censée traditionnelle, contre les entreprises de gens qui dis- 
sertent éperdument sur les matières de la religion, adeptes 
d'une gnose qui ment à son nom de science et dont un 
manifeste se définit en des oppositions, des Antithèses, dési- 
gnation qui ne convient pas aux systèmes gnostiques en 
général, mais qui est le titre même du livre que Marcion 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 115 

avait écrit en préface pour son recueil biblique et en justifi- 
cation de son dualisme par l'opposition des deux Testa- 
ments. Par conséquent, la Première à Timothée, en sa rédac- 
tion canonique, ne serait pas antérieure à l'an 150. Le fait 
n'a rien qui doive surprendre, puisque Marcion n'a connu de 
Paul que dix Epîtres ; si les Pastorales avaient figuré au 
dossier de l'Apôtre vers 140, Marcion les y aurait certaine- 
ment gardées. Mais la même présomption vaut contre 
l'hypothèse de compositions d'origine marcionite, qui au- 
raient été admises dans le recueil catholique moyennant 
correction ^. Du reste, le point de vue général de ces Epîtres 
est faux : un Paul de convention dicte, pour ses disciples 
Timothée et Tite, des instructions qu'il aurait bien eu le 
loisir et l'occasion de leur donner oralement, si elles 
avaient eu en son temps la moindre raison d'être, et qui 
sont en rapport avec de tout autres circonstances et besoins 
que ceux de l'âge apostolique. 

Notons d'abord la pompe dés adresses, assez hors de pro- 
pos en des communications qui affectent d'être privées. 
I Timothée, i, 1-2 : 

Paul, apôtre de Christ Jésus, 

selon l'ordre de Dieu notre sauveur 

et du Christ Jésus notre espérance : 
A Timothée, (mon) véritable enfant dans la foi, 

grâce, miséricorde, paix, de la part de Dieu le Père 

et de Christ Jésus notre Seigneur. 

II Timothée, i, 1-2 : 

Paul, apôtre de Christ Jésus par la volonté de Dieu, 

en vue de la promesse de la vie qui est en Christ Jésus ; 

A Timothée, (mon) cher enfant, 
grâce, miséricorde, etc. 

Tite, I, 1-3 : 

Paul, serviteur de Dieu, 

mais apôtre de Jésus-Christ 
Selon la foi qu'ont les élus de Dieu 

et la connaissance de la vérité qui est selon la piété, 

1. Thèse soutenue par Turmel, IV, 93-100. 



116 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

En espérance de la vie éternelle 

qu'a promise avant les temps éternels le Dieu qui ne ment pas, 
Mais qui a manifesté en temps voulu sa parole 

par la prédication dont j'ai été, moi, chargé 

par ordre de notre sauveur Dieu : 
A Tite, (mon) véritable enfant selon la foi (à nous) commune, 

grâce et paix de la part de Dieu le Père 

et de Christ Jésus notre sauveur. 

Le trait le plus notable de ces propos quelque peu amphi- 
gouriques, surtout dans Tite, pourrait bien être l'espèce de 
communication des idiomes qui apparaît entre Dieu et le 
Christ. Dieu est dit « notre Sauveur », tout comme le Christ. 
Ce trait n'est pas précisément marcionite mais modaliste. 
Le marcionisme consiste essentiellement dans le dualisme et 
la répudiation de l'Ancien Testament. Le modalisme pose 
un seul Dieu auteur du monde, manifesté dans le Christ 
et dans la sanctification de l'Eglise. Le modalisme pourrait 
bien être aussi ancien, sinon plus, que le marcionisme, puis- 
que, si l'on en croit la tradition, il y en avait trace dans 
l'Evangile des Egyptiens ; et cette doctrine n'était pas sans 
crédit à Rome vers la fin du second siècle. 

Dans I Timothée, i, 3-17, aussitôt après la salutation, Paul 
se met à fulminer contre certains qui « enseignent fausse- 
ment » et « s'attachent à des fables et à des généalogies 
interminables, lesquelles produisent des disputes plutôt que 
l'économie (voulue) de Dieu en la foi ». Les mêmes, à ce 
qu'il semble, se poseraient en docteurs de la Loi, « sans 
savoir ce qu'ils disent ni de quoi ils se portent garants ». 
La Loi, notre auteur sait quel est son objet : la condamna- 
tion des criminels de toute sorte. Cela ressemble assez à la 
gnose de Romains, et ce n'est pas davantage marcionite. Il 
est plus malaisé de voir à quels hérétiques notre Paul en 
veut : les fables et généalogies font songer à Valentin ; 
mais bien d'autres hérétiques, en ce temps-là, ont produit 
des systèmes qui expliqueraient les critiques de l'auteur i. 

1. D'après Turmel, IV, 165, les généalogies en question seraient les 
généalogies du Christ dans Matthieu et dans Luc. Les lecteurs pourront 
apprécier les arguments rassemblés dans Turmel, IV, 93-100. 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 117 

Comment et pourquoi la Loi intervient-elle en cette af- 
faire \ c'est ce que nous ne saurions dire, à moins, — tout 
est possible — que l'auteur ne vise ironiquement Marcion. 
Ce point nous est plus obscur que le retour de Paul sur son 
propre cas : « Christ Jésus est venu dans le monde pour 
sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier,... proto- 
type de ceux qui ultérieurement croiraient en lui pour la vie 
éternelle. » 

Vu le temps où notre Epître a été rédigée, on n'est pas 
surpris de voir l'auteur recommander (ii, 1-7) de prier 
« pour tous les hommes, pour les rois et ceux qui sont en 
autorité, afin que nous menions une vie paisible et tran- 
quille en toute piété et dignité », la volonté de Dieu étant 
« que tous les hommes soient sauvés et viennent à la con- 
naissance de la vérité ». 

Car il est un seul Die a ; 

un seul aussi est médiateur entre Dieu et les hommes, 

l'homme Christ Jésus, 
Qui s'est donné en rançon pour tous, 

témoignage pour les temps fixés, 
Pour lequel (témoignage) j'ai été, moi, institué prédicateur et apôtre, 

— vérité je dis, je ne mens pas, — 

docteur des Gentils dans la foi et la vérité. 

Ce « docteur des Gentils », qui jure de dire la vérité \ est 
un Paul de légende. Il va sans dire que la profession de foi 
est dirigée contre les hérétiques : cette profession de foi 
au Dieu unique, à l'unique médiateur, l'homme Christ 
Jésus, n'a rien d'incompatible avec l'espèce de modalisme 
professé par l'auteur ^. 

Dans les moralités qui suivent (ii, 8-15) l'on a signalé * 
une curieuse interpolation, parallèle à celle que nous avons 

1. On peut hésiter à regarder i, 8, comme une glose, bien que 9 ne s'y 
rattache pas très naturellement. 

2. Cf. le cas parallèle de Galates, i, 20, pour garantir l'interpolation 
de 18-19 ; supr., p. 38. 

3. Turmel, IV, 91, 169, ne veut retenir de ii, 5, que les mots : « Christ 
Jésus » : mais il n'est aucunement indiqué de marcioniser le passage, et 
l'enchaînement logique du texte n'est pas amélioré par cette mutilation. 

4. Turmel, IV, 71-79, 169. 



118 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

trouvée dans I Corinthiens, xiv, 33 6-35 ^ et qui coupe 
brutalement les conseils donnés aux femmes, pour interdire 
ou plutôt pour justifier l'interdiction faite à celles-ci d'en- 
seigner (ii, 11-15 a). Ces deux interpolations sont proba- 
blement du même temps, et il n'est pas nécessaire de rap- 
porter l'une plus que l'autre à l'époque du montanisme ^. 
Une interpolation plus considérable en étendue, plus im- 
portante aussi par la signification, paraît avoir été intro- 
duite dans la conclusion du règlement touchant le choix de- 
évêques,qui ne semblent pas encore se distinguer des press 
bytres, et des diacres (m, 1-13 ; la conclusion est formée par 
14-15, que rejoint iv, 6-10). L'enclave est d'un autre ton et 
d'un autre caractère que son contexte ; dans ses deux élé- 
ments, symbole de foi (m, 16), et dénonciation d'hérétiques 
(iv, 1-5), elle paraît dirigée contre Marcion. Précédé d'une 
courte formule d'introduction : « Et certes grand est le 
mystère de la religion », le symbole s'énonce en formules 
rythmées comme les poèmes christologiques de Colossiens 
et de Philippiens : 

Il s'est manifesté dans la chair, 

il a été justifié dans Fesprit ; 
II a été vu des anges, 

il a été prêché chez les Gentils ; 
II a été cru dans le monde, 

il a été ravi dans la gloire. 

La dernière ligne vient un peu tard ; car Jésus a été « ravi 
dans la gloire » avant d'être « prêché chez les Gentils ». 
La seconde ligne ne saurait se rapporter au baptême ^. 
L'antithèse : « dans la chair », « dans l'esprit », juxtapose et 
oppose la manifestation du Christ vivant à la justification 
du Christ immortel, spirituel. Il n'est pas question du saint 
Esprit ; du reste le mot : « justifié », ne convient pas au 
baptême ; ce n'est pas non plus à l'occasion du baptême. 



1. Gî.supr., p. 73. 

2. Comme le voudrait Turmel, loc. cit., en évoquant la secte des 
Quintillianistes dont parle Epiphane, Panarion, XLix, 2. 

3. Comme le voudrait Turmel, IV, 172, n. 1. 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPURES CATHOLIQUES 119 

mais dans son exaltation, que le Christ a été « vu des 
anges ». On est bien tenté de supposer un accident de trans- 
cription, et de reporter la dernière ligne avant la troisième, 
ce qui donnerait un parallélisme des plus satisfaisants : 

Il a été ravi dans la gloire, 
il a été vu des anges ; 
Il a été prêché chez les Gentils, 
il a été cru dans le monde. 

Et voici la dénonciation des hérétiques : 

Mais l'Esprit expressément dit que, dans les derniers temps, cer- 
tains s'éloigneront de la foi, s'attachant à des esprits trompeurs et 
à des doctrines de démons, par la fourberie de menteurs stigmatisés 
dans leur conscience, qui interdisent de se marier (et prescrivent) 
l'abstinence d'aliments que Dieu a créés pour être pris avec action 
de grâces par les croyants, » etc. 

On ne peut guère s'empêcher de reconnaître dans ce por- 
trait Marcion et ses adeptes. Par conséquent le premier ver- 
set du symbole de foi : « Il s'est manifesté dans la chair », 
vise aussi, dans la pensée du compilateur, leur docétisme, 
bien que l'auteur de ce petit symbole ait pu ne pas songer 
à eux. Inutile de dire que la prétendue prophétie a été con- 
çue au cours de la réaction antignostique qui suivit l'éclat 
de Marcion. Dans notre Epître, elle correspond à la dénon- 
ciation des Antithèses. 

Il semble que la recommandation originale concernant les 
veuves (v, 3, 5-7, 15) ait été surchargée pour le perfection- 
nement de la discipline (v, 4, 8-14, 16), mais on n'est pas 
obligé pour autant de rapporter les compléments au temps 
du montanisme ^. 

Même remarque pour la prescription relative aux hono- 
raires qui sont dus aux « anciens qui président bien », sur- 

1. Cette anticipation de prophétie apostolique contre les docteurs de 
la gnose se retrouve dans Actes, xx, 29-30 (et il est à noter que Paul, 
dans la suite de ce discours tout artificiel, oppose à la conduite de ces 
faux docteurs la sienne propre à l'égard de ses communautés) ; Jude, 
17-23 ; II Pierre, III, 1-4. 

2. Avec Turmel, IV, 176, n. 1. 



120 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

tout « à ceux qui peinent dans la parole et l'enseignement » 
(v, 17-19). Cette prescription est postérieure à la fixation du 
canon évangélique, puisqu'un passage de Luc (x, 17) y est 
cité comme Ecriture ; il semble, d'ailleurs, que la fonction 
de l'enseignement soit réservée aux anciens seuls. Cela peut 
nous conduire vers 160-170. 

Notons cette adjuration (v, 21), qui semble appartenir à 
l'instruction fondamentale : 

« Je t'adjure devant Dieu, 

Christ Jésus et les anges élus, 

D'observer ces (règles) sans prévention, 
ne faisant rien par faveur. 

La mention des « anges élus », à côté de Dieu et du Christ, 
paraît significative \ et sans doute n'a-t-elle rien de mar- 
cionite. 

La monition qui interdit les ordinations précipitées 
(v, 22, 24) appartient à la série des compléments discipli- 
naires. Elle est bizarrement coupée par l'invitation à Timo- 
thée de boire un peu de vin pour le bien de sa santé (v, 23). 
Comme « l'estomac » de Timothée n'est pas réellement en 
cause, la permission pourrait condamner une abstinence 
des encratites, notamment de Marcion, dont la cène même 
était sans vin. 

Les dernières recommandations à Timothée, dans l'ins- 
truction fondamentale (vi, 1-12, 17-19), se trouvent cou- 
pées par une adjuration solennelle (vi, 13-16) qui semble 
en correspondance étroite avec la recommandation finale 
où sont dénoncées les Antithèses ^ : 

je te recommande devant Dieu, 

qui donne vie à tout, 
Et Christ Jésus, qui rendit sous Ponce Pilate 

la belle confession. 
De garder le commandement immaculé, intact, 

jusqu'à l'apparition de notre Seigneur Jésus-Christ, 

1. Cf. supr., p. 107. 

2. La correspondance exige que l'on attribue au dernier rédacteur 
la recommandation finale (vi, 20-21) dans son intégrité (le v. 20 résiste 
à la mutilation que voudrait lui imposer Turmel, IV, 180). 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 121 

Qu'en son temps manifestera le' bienheureux et unique Souverain, 

le Roi des rois et le Seigneur des Seigneurs, 

le seul qui possède l'immortalité, 
Qui habite une lumière inaccessible, 

qu'aucun des hommes n'a vu ni ne peut voir. 
A lui honneur et puissance éternelle ! 
Amen. 

Le « commandement » à (i garder », c'est le « dépôt » dont 
parle la recommandation finale (vi, 20-21). La «belle con- 
fession » du Christ martyr est assurément celle dont parlent 
les Evangiles, mais ce n'est pas directement des Evangiles 
que vient la mention de Ponce-Pilate, elle vient d'une formée 
déjà officielle de la profession de foi chrétienne, dont notre 
texte n'est que la paraphrase très consciente ^. Que cette 
profession de foi ait été antimarcionite dans son intention 
principale, la façon même dont eljle est ici présentée invite à 
l'admettre. C'est contre Marcion qu'est affirmée si haute- 
ment l'identité du seul Dieu éternel, maître de tout, et du 
Dieu créateur du monde et Père de Jésus-Christ. Nous 
sommes donc ici au plus fort de la réaction antimarcionite, 
entre 150 et 170. 

L'instruction fondamentale peut être contemporaine de 
Marcion, mais elle n'est pas pour autant marcionite. Le fait 
est qu'elle prémunit Timothée (vi, 3-10) contre « celui qui 
enseigne une doctrine étrangère et n'est pas attaché aux 
saines paroles de notre Seigneur Jésus-Christ et à l'ensei- 
gnement qui est selon la piété », gens « qui s'abandonnent à 
des subtilités et logomachies », d'où naissent des alterca- 
tions sans fin ; gens détraqués d'esprit et avides de gain ». 
Ainsi le portrait n'est pas flatté, mais aucune excommunica- 
tion n'est prononcée encore contre eux, et Timothée est 
invité à leur opposer seulement l'exemple de ses vertus ; 
« combattant le bon combat de la foi, saisissant la vie éter- 
nelle à laquelle il a été appelé et dont il a fait la belle con- 
fession devant de nombreux témoins ». Le premier auteur 
a donc déjà le sentiment d'une orthodoxie et même la 

1. Cf. La Naissance du Christianisme, 427-428. 



122 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

connaissance d'une « confession » de foi qui accompagne 
l'ordination des anciens (cf. iv, 14). Ainsi l'alerte est 
donnée contre la gnose, mais il n'y a pas encore de répro- 
bation absolue et définitive. La « belle confession » de Timo- 
thée se heurte en quelque façon à celle du Christ dans l'en- 
clave qui suit (vi, 13), ce qui confirme la thèse de l'interpo- 
lation reconnue dans vi, 13-16. 

La Seconde à Timothée se présente à la critique dans les 
mêmes conditions que la Première, si ce n'est qu'on y ren- 
contre des fragments qui sembleraient véritablement per- 
sonnels et que plusieurs estiment provenir de billets adres- 
sés par Paul à son disciple. L'authenticité de ces billets 
pourrait n'être pas au-dessus de tout soupçon S et certains 
traits ou allusions, qui sont à bon droit suspects, n'encou- 
ragent pas à accepter le reste sans hésitation. Le principal 
de la lettre se ramène, avec moins de développement, et en 
omettant ce qui regarde le choix des ministres, au même 
thème que la première Epître : que Timothée se conforme à 
l'enseignement et à l'exemple de Paul, qu'il transmette à 
d'autres la bonne doctrine, qu'il morigène les disputeurs, 
qu'il repousse les discussions ridicules qui engendrent les 
querelles, qu'il s'éloigne des hommes qui « dans les derniers 
jours, seront égoïstes, orgueilleux », etc. — il s'agit des 
hérétiques, mais l'auteur se sert de termes vagues, pour ne 
pas répéter ce qui a été dit dans la première Epître ; — que 
Timothée donc tienne bon, prêchant assidûment contre les 
faux docteurs, en attendant, comme Paul, la récompense 
éternelle. Tout cela ne nous apprend rien ; c'est dans les 
surcharges que nous rencontrons d-es traits particuliers. 
Reste à voir si les renseignements personnels qui nous sont 
fournis ne sont pas des fictions. 

Voici un premier échantillon (i, 5) : Paul rappelle la foi de 
Timothée, foi sincère : « Comme elle habita d'abord en ton 

1. Nous avons pu voir que celui qui authentique Ephésiens est 
apocryphe (cf. supr., p. 102) ; mais ceux qui ont adapté le même billet, 
en sa forme originale, — si elle était vraiment originale, — à Colossiens, 
qu'ils savaient n'être pas de Paul (cf. supr., p. 100), n'auraient-ils pas 
été capables, en s'aidant des Actes ou de quelque légende, d'inventer 
le susdit billet ? 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 123 

aïeule Lois et en ta mère Eunice, j'ai confiance qu'elle est 
aussi en toi. » On nous dit ^ que ceci fut ajouté pour prou- 
ver, contre Marcion, que les chrétiens servent le même 
Dieu que les Juifs. Cela prouve surtout l'imagination du 
rédacteur, qui, connaissant par les Actes (xvi, 1) la parenté 
de Timothée, invente le nom de la mère, en ajoutant la 
grand-mère. Renseignements suspects, broderie trop facile. 
Que cette chétive invention ait une portée théologique, il est 
permis d'en douter : elle est plutôt compromettante pour 
les indications du même genre que nous allons rencon- 
trer. 

Renseignements sur « tous ceux d'Asie », qui ont aban- 
donné Paul dans sa captivité, et sur Onésiphore, qui, venu 
à Rome, a su le trouver et lui être de service (i, 15-18). Ceci 
n'est pas une glose du document fondamental, mais une 
pièce qui aura été apportée toute faite sans que l'on se 
soit beaucoup soucié de ménager les transitions ^. Là est la 
meilleure présomption en faveur de l'authenticité. De 
celle-ci l'on- serait plus sûr si l'on nous avait conservé le 
commencement de la lettre où le fragment pourrait avoir 
été pris. 

D'autre caractère sont les réflexions glissées dans ii, 6-7, 
sur le salaire de l'apôtre. Cela n'a pas grande portée, et l'on 
peut sans témérité admettre que l'interpolateur était un 
médiocre esprit. Il n'apparaît pas autrement que cette glose 
soit antimontaniste ^. 

Précisions sur certains novateurs dans ii, 16-18. Ceux-là 
niaient la résurrection corporelle, comme a fait Marcion ; 
mais bien d'autres l'ont fait avant lui et après lui. Pourtant 
il est possible que des marcionites soient ici visés. 

Ce qui regarde les engeôleurs de femmes (m, 6-9) 
se rapporte plutôt à des gnostiques immoraux ; car rien 



1. Turmel, IV, 182, n. 1, qui voudrait aussi mettre en glose : « comme 
mes ancêtres », dans i, 3. A cela nul motif, si l'auteur n'est pas marcio- 
nite, et il ne l'est pas. 

2. 2, 14, est moins une suture qu'une altération du texte pour dissi- 
muler la brèche qu'on y fait par l'intrusion de 15-18. 

3. Opinion de Turmel, IV, 184, n. 1. Dans ii, 8, les mots : « de la 
semence de David, selon mon Evangile », sont une surcharge évidente. 



124 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

dans le texte n'oriente le lecteur vers les prophétesses de 
Montan \ 

Ce qu'on lit touchant les Ecritures et l'avantage qu'on en 
peut tirer (m, 15-17) a été ajouté contre des gnostiques qui 
rejetaient l'Ancien Testament, et il va sans dire que Mar- 
cion peut y être visé. Par cette sorte d'additions, le rédac- 
teur se proposait de compléter la doctrine du document fon- 
damental, il n'avait pas conscience ni intention de le réfuter. 
Ainsi la surcharge évidente : « qui doit juger vivants et 
morts », dans iv, 2, n'a pas besoin d'être expliquée par la 
préoccupation de combattre Marcion, dont le Dieu ne 
jugeait pas les humains, et comme si le document fonda- 
mental avait favorisé cette idée ^; le glossateur a complété, 
d'après la doctrine commune de son temps sur le juge- 
ment dernier, un texte qui était muet sur cet article. 

Restent les dernières communications personnelles qui 
seraient adressées à Timothée (iv, 9-21). Les indications 
particulières y foisonnent, et les commentateurs sont 
particulièrement intéressés par la recommandation (iv, 13) : 
« Le manteau que j'ai laissé à Troas chez Carpus, apporte-le 
en venant, ainsi que les livres, surtout les parchemins. » 
Cela paraît cadrer à merveille, — peut-être trop bien, — 
avec ce qu'on lit dans les Actes (xx, 13) touchant le parti 
que prit Paul, en son dernier voyage à Jérusalem, de faire 
par terre le trajet de Troas à Assos : il aura laissé ses 
bagages à Troas. Rien de mieux ; mais qu'est-ce qui l'em- 
pêchait de les mettre dans le bateau, à la garde de ses com- 
pagnons ? Plusieurs savent que « les livres » étaient certains 
rouleaux de l'AncienjTestament. Et « les parchemins » ? Les 
parchemins, c'était la correspondance apostolique. N'en 
doutons pas. Mais le renseignement serait peut-être mieux 
garanti s'il ne nous était transmis par des gens qui em- 
ployaient leur zèle à augmenter de quelques numéros ce 
dossier épistolaire. D'ailleurs, si l'on voit bien où ce dernier 
billet commence, on voit moins nettement les limites de son 

1. Opinion de Turmel, IV, 188. Nul rapport avec la glose de I Timo- 
thée, II, 11-14 (cf. supr., p. 118, n. 2). 

2. Ainsi Turmel, IV, 180, n. 2. 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 125 

contenu (l'on doit sans doute y comprendre iv, 9-21, sans 
réserve de 17-18). On voudrait savoir qui est Alexandre le 
forgeron ; un Alexandre est mentionné dans I Timothée, 
I, 20 ; mais peut-être a-t-on voulu distinguer le nôtre par 
la mention de son métier ; les Actes (xix, 33-34) aussi, en 
racontant l'émeute d'Ephèse, parlent d'un Alexandre dont 
le rôle est assez mal défini. Celui que signale notre texte 
doit être un personnage éphésien. On ne voit pas bien non 
plus ce qu'il faut entendre par « la première défense » 
de l'Apôtre (iv, 16) : le sens le plus naturel (si l'on 
attribue au même auteur 17-18, ce à quoi il n'y a pas 
d'objection décisive, l'Epître gnostique ayant une conclu- 
sion naturelle dans iv, 4-8) sera que le procès romain de 
Paul s'est terminé par un acquittement, ensuite duquel 
l'Apôtre serait allé en Espagne ; maintenant revenu, il subi- 
rait un nouveau procès. Ainsi l'a compris Eusèbe de Césa- 
rée (Histoire ecclésiastique II, xxii). Mais, dans l'hypothèse, 
le billet de Paul serait construit sur une légende. 

L'Epître,à Tite paraît fondée sur un faux supposé : que 
Tite aurait été disciple de Paul au même titre que Timo- 
thée. Or, autant qu'on en peut juger par les textes authen- 
tiques, il n'en est rien dans la réalité ; Tite n'a été l'auxi- 
liaire de Paul dans aucune de ses missions ; on le voit inter- 
venir dans les difficultés de Paul avec les Corinthiens et 
dans l'affaire de la collecte, mais il semble avoir assumé 
dans cette circonstance un rôle de médiateur entre Paul et 
ses convertis, comme aussi bien entre Paul et les anciens de 
Jérusalem, Ces services rendus, on ne le retrouve plus dans 
le sillage de Paul. Ajoutons que nul ne saurait dire à quelle 
époque de sa vie Paul aurait accompli une mission en Crète 
et aurait chargé Tite de la poursuivre. 

Dans ces conditions, et comme l'Epître à Tite double les 
Epîtres à Timothée, on est dispensé d'attacher une impor- 
tance particulière à certains éléments de rédaction qui sem- 
bleraient originaux et qui n'ont par eux-mêmes aucune 
consistance. Ainsi l'on n'est pas obligé de croire que, dans 
le temps où fut écrite la fausse Epître, des hérétiques judaï- 
sants auraient foisonné en Crête, qui seraient tout simple- 



126 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

ment les catholiques, dénoncés par un marcionite \ Vague 
écho de Romains et de Corinthiens, qui n'est guère plus 
qu'un exercice de rhétorique. Et quand l'auteur recom- 
mande à son faux Tite (m, 9) « d'éviter les questions ineptes, 
les généalogies ^ », etc., il répète I Tîmothée, i, 4, avec moins 
de précision. Il en va de même pour les formules qui sem- 
blent accuser une théologie modaliste, par exemple (ii, 13) : 
« l'apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur le 
Christ Jésus » (m, 4) ; « la bonté de notre Sauveur Dieu ». 

Le billet personnel de la fin (m, 12-15) ne pourrait être 
authentique, si Tite n'a jamais été l'auxiliaire de Paul. La 
mention d'ApoUos n'y est pas très attendue : ApoUos 
appartenait encore moins que Tite à l'entourage de Paul. 

En somme, les Epîtres pastorales auront été éditées dans 
la période de réaction antignostique ; mais, en leur forme 
première, la réaction est assez modérée ; dans leur forme 
dernière, cette réaction est plus décidée, elle est très ferme 
dans le sens catholique et antimarcionite. 

II 

La Première de Pierre est en affinité avec les Epîtres 
de Paul, spécialement avec l'Epître aux Ephésiens et 
l'Epître aux Hébreux, ce qui n'est pas une marque de 
haute antiquité. Son paulinisme est d'ailleurs très émoussé, 
l'esprit général du document étant celui d'une instruction 
morale adressée aux chrétiens, sans aucune préoccupation 
de polémique ou de réaction contre la gnose hérétique. En 
fait, l'auteur lui-même a quelques touches de gnose, et de 
gnose assez particulière, mais qui n'a pas la consistance 
d'un grand système doctrinal bien arrêté. 

La suscription même (i, 1-2) atteste l'influence des 
Epîtres de Paul : 

Pierre, aputre de Jésus-Christ, 
aux étrangers élus de la Dispersion dePont,Galatie, Cappadoce,Asie, 
Selon la prescience de Dieu le Père, [Bithynie, 

1. Turmel, IV, 99-100. 

2. Cf. supr., p. 116, n. 1. 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 127 

en la consécration par l'Esprit, 

pour obéissance à Jésus-Ghrit et aspersion de (son) sang : 
Grâce et paix vous soient multipliées. 

Ainsi l'Epître s'adresse, pour la forme, aux judéo chré- 
tiens d'Asie Mineure. Dans la réalité, elle s'adresse à des 
hellénochrétiens. Mais il est curieux de constater que l'on a 
eu égard au prétendu partage qui, d'après Gâtâtes, ii, 9, 
se serait fait entre les anciens apôtres et Paul : les Juifs à 
Pierre, à Paul les Gentils. Cependant Pierre est à Rome 
(désignée sous le nom de Babylone dans v, 13) ; il est censé 
apôtre, et l'on pourrait presque ajouter évêque de Rome. 
Autant dire que nous entendons un Pierre de légende, et 
d'une légende relativement tardive. La tradition catholique 
a déjà réconcilié d'office Pierre et Paul, en donnant à Pierre 
le premier rang et lui subordonnant Paul, dont par ailleurs 
elle connaît et apprécie les Epîtres, tout au moins les dix 
qu'a connues Marcion. Comme il est beaucoup question du 
baptême dans le corps de l'Epître, on a conjecturé que 
celle-ci aurait été originairement une homélie baptismale, 
dont on aurait fait une épître en la mettant sous le nom de 
Pierre ; l'hypothèse ne s'impose pas. 

Il est dit aux croyants (i, 18-21) : 

Sachez que ce n'est point par choses périssables, argent ou or, 

que vous avez été rachetés de votre vaine conduite héritée des 

[ancêtres, 
Mais par le précieux sang, — pareil à celui d'un agneau sans défaut 

[et sans tache, — du Christ 
prédestiné avant la création du monde 
et manifesté en la fin des temps pour vous, 
Qui êtes par lui croyants en^ Dieu, qui l'a ressuscité des morts et lui 

[a donné gloire, 
de façon que votre foi et votre espérance soient en Dieu. 

Par ce simple échantillon l'on peut voir que la doctrine et 
le style de notre auteur sont quelque peu déliquescents. 
Voici comment il parle de la passion (ii, 21-25) : 



128 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Car à cela (souffrir) vous avez été appelés, 
puisque Christ aussi a souffert pour vous, 
vous laissant exemple pour que vous suiviez 
Isaîe, LUI, 9. Lui qui n'a pas fait de péché [ses traces, 

et dans la bouche duquel n'a pas été trouvée 

[fourberie ; 
Qui, injurié, ne renvoyait pas l'injure, 
souffrant, ne menaçait pas 
mais s'en remettait au juste Juge ; 
Isaîe, LUI, 12. Qui a lui-même porté nos péchés en son corps au 

[poteau, 
afin que, morts au péché, à la justice nous 

[vivions ; 
îsaîe, LUI, 6. par sa blessure vous avez été guéris. 

Ezécliiel, xxxiv, 5. Car vous étiez, comme des brebis, égarés, 

mais vous êtes convertis maintenant au pasteur 

[et gardien de vos âmes. 

L'on sent que l'auteur a dans l'esprit un schéma de la pas- 
sion assez nettement dessiné, mais qu'il perçoit encore ce 
schéma dans les textes qui le supportent. 

Voici maintenant un petit morceau de gnose (m, 18-22), 
qui paraît venir incidemment à propos de la souffrance 
(iv, 14) : « Si vous souffrez pour la justice, heureux êtes 
vous ! » 

Parce que le Christ aussi une fois, à cause des péchés, est mort, 

juste pour des injustes 

afin de nous conduire à Dieu : 
Mis à mort dans la chair, 

mais rendu à la vie comme esprit. 

Remarquons cette conception spirituelle de la résurrec- 
tion, qui apparente notre auteur à celui d'Hébreux, et à 
bien d'autres en ce temps. Rappelons-nous aussi le petit 
poème symbolique de I Timothée, m, 16, et celui de Phi- 
lippiens, et celui de Colossiens. 

Ainsi alla-t-il prêcher aux esprits qui étaient en prison, 

indociles jadis quand patientait la longanimité de Dieu, 
dans les jours de Noé, où se construisait l'arche, 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRF.S CATHOLIQUES 129 

Dans laquelle bien peu, c'est-à-dire huit personnes, furent sauvées 

[à travers l'eau ; 

aussi bien son antitype maintenant vous sauve-t-il, le baptême, 
Non (comme) un nettoyage de souillure corporelle, 

mais (comme) prière à Dieu pour bonne conscience, 

parla résurrection de Jésus- Christ, 
(iui est à la droite de Dieu, 

étant allé au ciel 

après s'être soumis les anges, les Pouvoirs et les Puissances. 

La phrase est un peu longue, mais on doit reconnaître que 
l'auteur y a mis beaucoup de choses. Et d'abord cette prédi- 
cation du Christ-esprit à des esprits qui étaient en prison 
depuis le temps du déluge. Ces esprits-là ne sont pas des 
morts vulgaires, — de ceux-ci on nous parlera un peu plus 
loin (iv, 6), car personne n'a été oublié dans la prédication 
du salut, — ce sont les « fils de Dieu », dont la Genèse (vi, 
1-8) mentionne brièvement l'union avec des femmes, et les 
conséquences^ naissance des géants, corruption de l'huma- 
nité, destruction de celle-ci par le déluge. Mais notre auteur 
en raconte plus long que n'en dit la Genèse ; il a lu le livre 
d'Hénoch, et il sait comment les anges tombés ont cor- 
rompu l'humanité, il sait quelle a été leur punition, et 
qu'Hénoch lui-même les a vus dans leur prison. Hénoch, il 
est vrai, leur avait annoncé, de la part de l'Eternel, que leur 
péché n'aurait pas de rémission. Le mythe chrétien redresse 
ici le mythe juif. A ces esprits le Christ-esprit annonça la 
bonne nouvelle, et les anges déchus auront été les premiers à 
se soumettre au Christ immortel, les autres puissances cé- 
lestes s'étant soumises au Christ montant au ciel. 

Quant aux morts de l'humanité, notre auteur (iv, 4-6), 
après avoir dit que les païens, obstinés à vouloir entraîner 
les chrétiens dans leur libertinage, « rendront compte à 
Celui qui est tout prêt à venir juger les vivants et les 
morts », ajoute : 

Car à cette fin l'Evangile fut aussi annoncé aux morts, 
que, jugés comme hommes dans la chair 
ils vivent par volonté de Dieu en l'esprit. 

9 



130 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLÂIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Il ne paraît pas douteux que cette prédication aux morts 
n'ait été faite par le Christ lui-même dans l'occasion où il a 
instruit les anges tombés. L'humanité ne pouvait pas être 
négligée en cette occasion ; tous ses morts, et non pas seule- 
ment ceux de l'humanité antédiluvienne, mais tous ceux 
qui avaient vécu avant la venue du Christ sur la terre, 
entendirent l'Evangile et trouvèrent leur chance de salut ; 
« jugés en hommes dans la chair », par la mort, qui est le 
châtiment du péché, ils ont pu, par la grâce de Dieu, revivre 
glorieux dans leurs esprits. Ainsi notre auteur ne connaîtrait 
que la résurrection dans l'esprit, tant pour le Christ que 
pour les croyants. 

Sa conception ne manque pas de grandeur, et elle répond 
à l'objection qui se pouvait tirer de la modernité de l'Evan- 
gile : les morts mêmes ont été évangélisés par le Christ- 
esprit, comme les Juifs l'avaient été par le Christ en la 
chair, et comme l'a été ensuite, comme l'est encore le genre 
humain, par les prédicateurs du Christ. Ce beau mythe 
s'est effacé progressivement dans la conscience de l'Eglise. 
Marcion l'a connu et utilisé, mais son Christ ressuscité des- 
cendait aux enfers pour libérer tous les damnés du dé- 
miurge », Cain et les autres, en laissant dans leurs limbes 
ceux qui avaient été fidèles à ce dieu inférieur, c'est-à-dire, 
les patriarches. Moïse et les prophètes ^. 

Le pseudo-Pierre soutient comme il peut son personnage 
apostolique (v, 1-4) : 

Vos anciens donc j'exhorte, ]ancien comme eux, 
et témoin des souffrances du Christ," 
aussi associé à la gloire qui doit se révéler. 

L'auteur ne se donne pas comme un témoin spirituel mais 
comme un témoin réel de la passion du Christ, et la façon 
dont il se dit associé à « la gloire qui doit se révéler » ne 
peut probablement pas être limitée à l'espoir de participer 
à la gloire du Christ en sa manifestation suprême ; la parti- 
cipation semble être aussi réelle, aussi historique, si Ton 

1. Cf. Harnack, Marcion, 170. 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 131 

ose dire, que l'a été la vue des douleurs ; et nous aurions 
ainsi une allusion au privilège qu'a eu l'apôtre d'assister à 
l'apothéose du Christ, comme il est dit dans la Seconde de 
Pierre (i, 16-18), conformément à l'Apocalypse (apocryphe) 
du même apôtre. D'autre part, notre Epître rejoint l'Evan- 
gile (apocryphe) de Pierre en ce qu'elle nous a raconté de la 
prédication du Christ aux morts. Tout cela peut être un 
peu inquiétant, mais c'est très instructif. 

Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, 

non par contrainte, mais de bonne volonté, 

non par cupidité, mais par dévouement. 
Non pas en tyrans des communautés, 

mais en devenant modèles du troupeau ; 

Et quand apparaîtra l'Archipasteur 
vous recevrez l'immarcessible couronne de la gloire. 

Ce discours s'adresse à des communautés depuis long- 
temps organisées, et l'auteur connaît tous les abus qui peu- 
vent se produire dans leur gouvernement : il morigène les 
presbytres, comme faisait le bon Hermas. Sans doute est-il 
à peu prés contemporain du Pasteur. 

Ce n'est pas ce qu'il voudrait nous faire croire. D'aucuns 
ont estimé que la notice (v, 12-14) : « Je vous ai écrit par 
Silvain », etc., pourrait signifier que ce disciple a été l'au- 
teur véritable de la lettre. Mais Silvain était mort depuis 
longtemps quand notre document fut mis au jour. Toutes 
les indications de la fin appartiennent à la fiction rédaction- 
nelle. Il n'est même pas sûr que la pièce ait été rédigée à 
Rome, comme elle affecte de l'avoir été. La patrie véritable 
de cette Epître serait plutôt l'Orient, où les autres apo- 
cryphes de Pierre ont vu le jour. On pourrait songer pour 
notre Epître à l'Asie Mineure, où sont supposés ses destina- 
taires. 

La seconde Epître qui se réclame de Pierre est sensible- 
ment plus récente que la première ; elle n'est sûrement pas 
du même auteur, et elle n'est pas sortie du même milieu. 
Ce doit être l'écrit le moins ancien du Nouveau Testa- 
ment, où d'ailleurs il a commencé par n'être pas universel- 



132 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

lement reçu. Il se présente comme une véritable encycli- 
que adressée par le prince des apôtres à tous les chrétiens 
(1. 1-2) : 

Syméon Pierre, serviteur et apôtre de Jésus-Christ, 

à tous ceux qui ont obtenu la même précieuse foi que nous par la 

justice de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ : 

Grâce à vous et paix soient multipliées par la connaissance de 

Dieu et de Jésus notre Seigneur. 

Affectation de la forme hébraïque Syméon, au lieu de 
Simon (même forme pour le même nom dans Actes, xv, 
14, discours de Jacques). On ne peut guère hésiter sur la 
lecture de la formule modaliste : « notre Dieu et Sauveur 
Jésus-Christ ». A la fin de la lettre on trouvera une formule 
analogue (ni, 18) : « la connaissance de notre Seigneur et 
Sauveur Jésus-Christ, à qui soit la gloire et maintenant et 
au jour de l'éternité », qui identifie aussi bien le Christ à 
Dieu. Des formules semblables se sont rencontrées dans les 
Pastorales. On ne doit pas s'étonner d'en trouver ici de 
telles, si le document est d'origine alexandrine. Rappelons 
la première ligne de l'homélie dite Seconde Epître de Clé- 
ment, dont la provenance alexandrine n'est pas douteuse : 
« Frères, nous devons avoir de Jésus-Christ la même idée 
que de Dieu. » Le faux Pierre affecte un langage de gnose, 
mais il polémise contre les gnostiques dans la partie de 
r Epître (il) qui lui est commune avec Jude, puis spéciale- 
ment, pour son propre compte, contre ceux qui ridiculisent 
l'attente de la parousie (m), élément essentiel de l'escha- 
tologie chrétienne. 

Mais l'intérêt principal du document pourrait bien être 
dans la situation particulière qui est faite à Pierre comme 
témoin du Christ. Après avoir célébré « la connaissance de 
notre Seigneur Jésus-Christ » comme condition de « l'entrée 
à son royaume éternel » (i, 3-11), l'auteur continue(i, 12-21) : 

C'est pourquoi je me propose de vous rappeler (par la présente 
lettre) toujours cela, bien que vous le sachiez... Mais, j'estime juste, 
tant que je suis en cette tente, de vous tenir en éveil par le souvenir, 
sachant que proche est la déposition de ma tente, comme notre 
Seigneur Jésus-Christ me. l'a révélé. 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 133 

Pierre a connu par révélation de Jésus-Christ les condi- 
tions de sa mort, et il prévoit, ces conditions étant réalisées, 
que cette mort est proche. Il s'agit d'une prédiction autre- 
ment nette que les allusions qu'on y trouve dans Jean, xxi, 
18-19 (et déjà xiii, 36). Inutile de dire que la « tente » est 
son corps (comme dans II Corinthiens, v, 1), et qu'il con- 
çoit la mort comme une libération ou une évasion de l'âme. 

Mais j'aurai soin que toujours après mon départ vous puissiez 
entretenir le souvenir de ces choses. Car ce n'est pas pour nous 
^tre attachés à des fables raffinées que nous vous avons fait con- 
naître la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ et sa manifesta- 
tion, mais pour avoir été témoins oculaires de sa grandeur. 

Le mot « parousie », que nous remplaçons par « manifesta- 
tion », ne saurait s'entendre ici du dernier avènement, mais 
de l'apparition du Christ dans sa gloire, comme il résulte de 
la suite du discours ; c'était aussi bien un avènement, mais 
pas le dernier. 

Car il a reçu de Dieu honneur et gloire lorsque cette parole vint 
de la suprême Gloire : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui je 
me complais. »Et cette parole, nous l'avons entendue, du ciel adres- 
sée, étant avec lui sur la montagne sainte. 

Nous dirons dans un instant ce qu'est cette montagne, 
où beaucoup pensent reconnaître celle de la transfiguration. 
Mais de ce que Pierre a vu l'auteur infère cette conclusion : 

Aussi tenons-nous pour d'autant plus certaine la parole prophé- 
tique, à laquelle vous ferez bien d'être attentifs... Car ce n'est pas 
par volonté d'homme que s'est produite jamais prophétie, mais, 
mus par l'Esprit saint, des hommes ont parlé de par Dieu. 

Lorsque l'auteur parle de « fables raffinées », il a en vue 
les systèmes gnostiques ; la foi des chrétiens n'est pas une 
de ces fables, car Pierre a vu, de ses yeux vu, la glorification 
de Jésus, et cette glorification, qui est un fait, se trouve 
confirmer les prophéties anciennes qui l'avaient annoncée. 
Ces prophéties sont à garder en considération, parce qu'elles 
viennent de Dieu et ne sont pas des fictions humaines. 



134 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

L'inférence, à n'en pas douter, est tournée contre les gnos- 
tiques qui rejettent l'Ancien Testament : au premier rang 
de ceux-là est sûrement Marcion. Reste à savoir où l'auteur 
a pris ce qu'il fait dire à Pierre touchant sa propre fin et les 
circonstances où il a vu l'exaltation du Christ. 

Tout cela forme visiblement un ensemble à l'égard duquel 
l'allusion que fait à la mort de Pierre le quatrième Evan- 
gile, et le récit de la transfiguration dans les Synoptiques 
semblent des fragments dispersés, non le tableau unique 
qui se laisse pressentir comme arrière-plan de notre Epître. 
Or ce tableau a été reconnu, il n'y a pas longtemps, dans 
l'Apocalypse de Pierre, intégralement conservée dans une 
version éthiopienne, un fragment grec s'en étant retrouvé 
aussi en Egypte, il y a '.me quarantaine d'année, avec un 
morceau d'Hénoch et une partie de l'Evangile de Pierre ^. 
L'Apocalypse représente Jésus ressuscité, sur la montagne 
des Oliviers, avec ses disciples, qui l'interrogent au sujet de 
son avènement et de la fin du monde ; Jésus leur répond 
d'abord par un discours assez bref qui correspond à l'apo- 
calypse synoptique (plus directement à Luc xvii, 20-37) 
et aux préliminaires de l'ascension dans les Actes (i, 3-4, 
6-7, 8 &) ; le discours s'achève par une déclaration allégori- 
que en rapport avec le figuier ; sur la demande de Pierre, 
Jésus explique cette déclaration par un commentaire de la 
parabole du Figuier stérile (Luc xiii, 6-9); le figuier qui doit 
être abattu est le judaïsme et un faux Messie juif, per- 
sécuteur des chrétiens, — sans doute Barkochba, — que 
démasqueront les deux envoyés de Dieu Hénoch et Elie ; 
suit description de la parousie et du jugement dernier ; 
puis le Christ fait voir à Pierre, dans le plus grand détail^ 
comment les méchants seront punis après le jugement ; de 
ce châtiment les élus seront témoins, et ils pourront obte- 
nir du Seigneur la grâce de tels damnés qu'ils auront 
connus ; Pierre ensuite est averti du sort qui l'attend dans 
la capitale de l'Occident ; cependant Jésus et ses disciples 
s' étant rendus sur « la montagne sainte » — ce ne peut être 

1. Voir La Naissance du Christianisme, 40. 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 135 

que la montagne des Oliviers, mentionnée au début du 
livre ; mais noter le rapport d'expression avec II Pierre, 
I, 18 ; — deux êtres lumineux se présentent, qui sont 
Moïse et Elie,et Pierre demandant où sont les patriarches, 
Jésus lui fait voir le séjour des bienheureux ; alors Pierre 
manifeste l'intention d'élever trois tentes, pour Jésus, Moïse 
et Elie, et le Christ le réprimande sévèrement (par la rebuf- 
fade qui se lit dans Marc, viii, 33) ; puis la voix du Père se 
fait entendre : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui je 
me complais » ; une nuée brillante enveloppe Jésus, Moïse 
et Elie, qui sont enlevés au ciel dans la nuée ; le ciel s'ou- 
vre pour les recevoir (à ce propos est cité Psaume xxiv, 6), 
puis se referme, et les disciples descendent de la montagne 
en bénissant Dieu (cf. Luc, xxiv, 52-53), « qui a inscrit les 
noms des justes au livre de la vie dans le ciel ». 

Nous n'avons pas à discuter les rapports de ce texte infi- 
niment curieux avec les écrits canoniques du Nouveau Tes- 
tament, surtout avec ce qu'on appelle la tradition évangé- 
lique ^. L'on peut dire tout au moins que l'Apocalypse de 
Pierre, composée vers 134-135, est un témoin de la liberté 
grande qui, avant la canonisation des écrits néotestamen- 
taires, régnait dans la distribution des matériaux messia- 
niques, eschatologiques, apocalyptiques, théosophiques, 
dont on disposait pour construire la légende de Jésus et son 
mystère ; et surtout il est évident que notre Epître, en ce 
qu'elle dit des révélations faites à Pierre par le Christ ne 
dépend pas des Evangiles -ni des Actes, mais uniquement 
du livre apocryphe que nous venons d'analyser. 

Une transition facile amène la seconde partie de l'Epître : 
comme il y a eu jadis de faux prophètes, il y aura p armi les 
croyants « de faux docteurs qui introduiront des opinions 
perverses » ; suit la dénonciation globale des gnostiques, 
surtout des gnostiques immoraux (ii). Ce chapitre n'est 
pas autre chose qu'une paraphrase un peu diluée de ce qui 
se lit dans l'Epître dite de Jude, abstraction faite de la 
suscription et de la doxologie finale. La dépendance est 

1. Cf. La Naissance du Christianisme, 40-43. 



136 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRK DU NOUVEAU TESTAMENT 

certainement du côté du pseudo-Pierre, bien que peut-être 
il ait exploité, non l'Epître même, mais le document qui a 
été encadré en épître sous le nom de Jude. On remarquera 
que notre auteur a omis les citations expresses d'apocryphes 
(Livre d'Hénoch et Assomption de Moïse) qui se lisaient 
dans sa source ; peut-être ces apocryphes commençaient-ils 
à n'être plus aussi recommandables dans son milieu qu'ils 
l'avaient été au cours du second siècle. 

Sa préoccupation personnelle va aux sceptiques qu'il 
réfute dans la dernière partie de son instruction (m, 1-13) : 

Voici déjà, très chers, la seconde lettre que je vous écris, dans 
les deux réveillant par le souvenir votre loyale conviction, afin que 
vous vous rappeliez les paroles prédites par les saints prophètes, et 
le commandement, transmis par vos apôtres, du Seigneur et Sau- 
veur, par quoi vous savez premièrement ceci : que viendront, dans 
les derniers jours, avec leur moquerie, des moqueurs se compor- 
tant selon leurs convoitises et disant : « Où est la promesse de son 
avènement ? » etc. 

L'équivoque de la perspective apparaît en ce que notre 
faux apôtre rappelle à ses lecteurs une prophétie aposto- 
lique déjà ancienne, en vue des derniers jours, et qui pour- 
tant a son accomplissement dans le temps même où l'auteur 
écrit. Il s-' agit encore de gnostiques, mais qui prennent à 
tâche de ridiculiser l'eschatologie commune du christia- 
nisme, l'attente de la parousie prochaine ; il y a bel âge 
qu'on attend et que rien ne vient. L'auteur s'en tire comme 
il peut : l'humanité, jadis, a péri par le déluge ; c'est par le 
feu que le monde actuel doit périr; si le jour tarde, c'est que 
Dieu veut donner à tous le temps de la repentance, mille 
ans, d'ailleurs, étant pour lui comme un jour ; mais il 
viendra inopinément, « le jour du Seigneur », où les cieux 
disparaîtront et la terre sera consumée avec tout ce qu'elle 
contient. 

Donc, que l'on se tienne sans tache et sans souillure, 
profitant du répit (m, 14-18), 

ainsi que notre cher frère Paul, selon la sagesse à lui donnée, 
vous l'a aussi écrit, comme en toutes ses lettres, où il parle de tout 



ÉPITRES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 137 

cela : certaines choses y sont difficiles à comprendrCr que les igno- 
rants et inconstants dénaturent, comme les autres Ecritures, pour 
leur propre perte, 

L'évocation du « cher frère Paul » est pour nous plus pré- 
cieuse qu'on ne peut dire. D'abord, elle nous montre que 
Pierre et Paul, en dépit même de ce qu'on peut lire dans les 
Epîtres de ce dernier, sont définitivement réconciliés dans 
le souvenir traditionnel ; de plus, que les Epîtres visées 
(est-ce le recueil des dix, ou des treize, ou des quatorze 
Epîtres, si l'auteur est alexandrin, on ne saurait le dire) 
jouissent du plus grand crédit, c'est-à-dire, en langage théo- 
logique, de la canonicité, — ce sont des^Ecritures, — bien 
que certains hérétiques, hélas ! en abusent singulièrement. 
Il est très probable que Marcion était mort quand ces 
lignes, curieuses à tant d'égards, furent écrites, mais on 
parlait encore beaucoup de lui et de sa secte. Mettons que 
leur auteur écrivait vers l'an 170, au plus tôt. L'Epître 
elle-même devint canonique, avec le temps. Le discrédit 
et l'oubli où ne tarda pas à tomber l'Apocalypse de Pierre, 
pour son incompatibilité avec la littérature canonique du 
Nouveau Testament, servit l'Epître : on ne s'aperçut pas, 
à peine commence-t-on de s'apercevoir aujourd'hui, qu'elle 
était solidaire du livre abandonné comme apocryphe. Il 
n'en est pas moins vrai que cette prétendue Epître repré- 
sente le faux le plus audacieux et le mieux caractérisé qui 
ait trouvé place dans le Nouveau Testament. 

L'Epître de Jude n'est guère moins apocryphe que celles 
de Pierre ; elle l'est plus discrètement, l'auteur affichant 
avec modestie la personnalité qu'il a voulu prendre (1-2) : 

Jude, serviteur de Jésus-Christ, 

frère de Jacques, 
Aux appelés, aimés en Dieu le Père 

et pour Jésus-Christ gardés : 
Miséricorde à vous, et paix, 

et charité soient en abondance. 

L'Epître est encyclique, bien que brève. L'auteur pré- 
tendu se dit « frère de Jacques » ; mais Jacques est qualifié 



138 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

ailleurs « frère du Seigneur » ; notre Jude est un de ceux que 
l'Evangile présente comme frères de Jésus. 

Ce frère du Seigneur dénonce les menées des gnostiques 
(3-4) : 

Très chers, mettant tout zèle à vous écrire au sujet de notre com- 
mun salut, je me suis senti obligé de vous exhorter par écrit à 
combattre pour la foi transmise une fois pour toutes aux saints. Car 
se sont introduits certains hommes qui dès longtemps étaient dési- 
gnés pour cette condamnation, impies qui transforment la grâce de 
Dieu en licence et qui renient notre unique maître et Seigneur 
Jésus Christ. 

Suit le réquisitoire, très bref, — l'Epître entière contient 
vingt-cinq versets, — empreint de rhétorique, et qu'on 
pourrait presque hésiter à croire dirigé contre les gnostiques, 
si, à la fin, l'auteur ne visait de prétendus « spirituels » qui 
veulent se distinguer des « psychiques » et qui le sont eux- 
mêmes. Le corps de l'Epître ressemble plutôt à un morceau 
de diatribe logé entre la suscription initiale et la doxologie 
de la fin (24-25). 

Il est surtout remarquable par deux citations d'apo- 
cryphes : la dispute de JiarcliangeJMichaël avec le diable 
touchant le corps de Moïse (9-10), trait emprunté à l'apo- 
cryphe dit Assomption de Moïse, et un passage du livre 
d'Hénoch formellement allégué (14-15) comme se rappor- 
tant aux hérétiques. Ces citations ont compromis pendant 
quelque temps le crédit de l'Epître, et nous avons noté que 
le pseudo-Pierre avait eu soin de les effacer presque entière- 
ment. 

Malgré tout, l'Epître dite de Jude montre la faveur dont 
jouissaient les apocryphes juifs dans les milieux chrétiens, et 
aussi la facilité avec laquelle on faisait parler, pour le bien 
de l'orthodoxie naissante, les personnages apostoliques. 
L'Epître de Jude ne saurait être datée avec précision ; elle 
est contemporaine du grand essor de la gnose, vers 140-150. 

Deux points seulement nous intéressent dans l'Epître de 
Jacques, la fiction du titre et de l'adresse, la polémique de 
l'auteur contre la doctrine des Epîtres de Paul touchant la 
justification par la foi seule. Voici l'adresse (i, 1) : 



ÉPURES PASTORALES ET ÉPITRES CATHOLIQUES 139 

Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ, 
aux douze tribus qui sont en la Dispersion ; 
salut. 

Même fiction que dans la suscription de la Première de 
Pierre. En fait, le pseudo-Jacques présente son instruction 
morale au commun des chrétiens, non à des Juifs ni à des 
chrétiens judaïsants. Du reste, on a voulu faire parler 
Jacques, « le frère du Seigneur » ; mais au temps où l'ins- 
truction fut écrite, on aurait eu scrupule de le qualifier 
ainsi, comme nous venons de voir qu'il est arrivé aussi 
pour Jude. 

La critique de la doctrine paulinienne sur la justification 
par la foi (ii, 14-26) est d'un ton presque académique, eu 
égard aux violentes sorties des porte-parole de Paul contre 
les apôtres judaïsants ; mais c'est sans doute qu'elle est 
moins ancienne. Encore est-il que cette critique serait incon- 
cevable si la collection des Epîtres avait joui déjà, au temps 
du pseudo-Jacques, du crédit qui lui appartenait dans le 
temps où fut écrite la Seconde de Pierre. L'Epître de 
Jacques appartient encore à l'âge qu'on peut dire précano- 
nique 4u Nouveau-Testament. Cette aonclusion peut aussi 
bien s'appuyer sur la façoindont l'auteur formule l'inter- 
diction du serment (v, 12), sans paraître se douter ou sans 
laisser voir qu'il allègue une parole de Jésus consignée dans 
le Discours sur la montagne (Matthieu, v, 33-37 ; cf. xxiii, 
16-22). 

Le pseudo-Jacques aura rédigé, on ne sait où, peut-être à 
Rome, vers l'an 130, son instruction morale. Car il ne s'in- 
quiète pas du mouvement gnostique ^. 

1. Sur l'Epître de Jacques, voir le savant commentaire de J. Marty, 
L'Epître de Jacques (1935). 



CHAPITRE VI 



Témoignages 
intéressant l'histoire des Epîtres. 



L'âge précanonique du Nouveau Testament, c'est bien 
la réalité que nous avons essayé de sonder en poursuivant 
notre analyse des Epîtres. Cet âge n'existe pas pour ceux 
qui croient pouvoir ou devoir admettre l'authenticité de 
tous les écrits qui sont entrés dans le canon de l'Eglise et 
qui s'imaginent que ces écrits, en tant qu'apostoliques, 
jouirent, en naissant, du privilège de la canonicité. L'his- 
toire des écrits n'est pas si simple, et un canon du Nouveau 
Testament n'apparaît guère que dans le dernier tiers du 
second siècle ; encore est-il que les limites de ce recueil n'ont 
été fixées que beaucoup plus tard. A supposer que Paul, 
vers l'an 56, ait réellement laissé chez Carpus à Troas les 
produits de son activité épistolaire, que, quelques années 
plus tard, il priait Timothée de lui apporter à Rome (II 
Timothée, iv, 13), qui nous dira la fortune de ce précieux 
dépôt, et d'abord en quoi il pouvait bien consister ? Mar- 
cion est le premier témoin daté qui atteste l'existence, 
vers 140, d'un recueil de dix Epîtres ; mais, dans ce recueil, 
plus ancien que celui des treize Epîtres, quel déchet, au 
point de vue de l'authenticité, n'avons-nous pas dû consta- 
ter ! Savons-nous seulement dans quel milieu, par quels 
soins les Epîtres qui composaient cette collection avaient 
été élaborées ? Toutes les vraisemblances sont pour l'Asie, 
et c'est, en effet, d'Asie que nous vient le premier écho 
des Epîtres. Recueillons d'abord ce témoignage, qui n'est 
pas un cri d'enthousiasme, et nous chercherons ensuite 
les moyens de le compléter. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT l'HISTOIRE DES ÉPITRES 141 

I 

Ce témoignage est celui de l'Apocalypse de Jean, dans 
les lettres qui forment la première partie de la grande révé- 
lation. La date traditionnelle du livre semble devoir être 
maintenue, c'est-à-dire que les lettres aux sept commu- 
nautés correspondent à la situation religieuse et morale 
des communautés d'Asie dans les dernières années du pre- 
mier siècle. — Un glissement de quelques années, au début 
du second siècle, n'est pas impossible ^. — Or, si nous en 
croyons le prophète, il règne, dans presque toutes ces com- 
munautés, une infection dont le centre est à Ephèse, capitale 
de la province et premier siège de l'évangélisation aux 
temps apostoliques. 

Le Christ dit à l'ange d' Ephèse (Apocalypse, ii, 2-3, 6) : 

Je sais tes œuvres... 

et que tu ne peux supporter les méchants ; 
Que tu as éprouvé ceux qui se disent « apôtres », 

et qui ne le sont pas, 

et que tu les as trouvés menteurs. 

Quelques lignes plus loin on dit leur nom, non pas cette 
fois un nom qu'ils affectent sans le mériter, mais un nom 
symbolique, obscur pour nous, que le prophète leur im- 
pose : 

Mais tu as ceci, que tu hais 
les œuvres des Nicolaïtes, 
que moi aussi je hais. 

Le portrait de ces sectaires sera ultérieurement complété. 
Mais dès maintenant nous pouvons dire qu'il s'agit de Paul 
et de ce que nous pouvons appeler son école. « Ceux qui 
se disent apôtres et qui ne le sont pas » ne doivent pas 
être pris pour de quelconques missionnaires ; d'ailleurs 

1. Le témoignage d'Irénée \V,30, 3) peut être influencé par la préoc- 
cupation de l'origine apostolique. Selon Turmel, Histoire des dogmes, 
IV, 170, l'Apocalypse serait un livre juif, « inspiré par la révolte de 
Barkochba », que les chrétiens auraient adopté aussitôt et retouché, 
si bien que, « dès les environs de 140 », ce livre était attribué à l'apô- 
tre Jean. Attendons la preuve de cette sensationnelle hypothèse. 



142 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

on ne voit pas du tout que ce soient des prédicateurs am- 
bulants, comme il y en avait encore en ce temps-là ; ces 
gens sont à demeure dans les communautés asiates, où ils 
font valoir la qualité apostolique de leur maître, qualité 
que le voyant conteste âprement. Mais remarquons qu'il 
n'est pas plus violent dans sa dénonciation que le Paul 
mystique ne l'est contre les prétendus judaïsants et leurs 
coryphées les superapôtres. 

Notons que le prophète montrera (xxi, 14) écrits sur les 
douze pierres fondamentales de la nouvelle Jérusalem « les 
noms des douze apôtres de l'Agneau ». Lui aussi connaît 
donc les Douze comme apôtres, et l'on peut dire comme 
superapôtres. La légende de ceux-ci est déjà toute formée, 
et formée contre Paul, le Paul de la légende, apôtre unique 
de la Gentilité. De tout ceci nous n'avons pas lieu de nous 
étonner ; nous assistons au drame qui s'est joué alors dans 
les communautés asiates. Nous constatons que Paul n'a pas 
été canonisé dans toute l'Eglise le lendemain de sa mort, et 
qu'il était discuté dans une région même qu'il avait évan- 
gélisée : c'est que l'on n'en était pas encore à l'âge de la 
canonisation. Reconnaissons que Paul avait alors des par- 
tisans qui l'exaltaient, et des adversaires qui le dénigraient 
violemment. Ces remarques vont être confirmées par les 
lettres suivantes. 

Dans la lettre à Smyrne (ii, 9) : 

Je connais ta tribulation et ta pauvreté,... 
Et le blasphème de ceux qui se disent être « Juifs », 
et qui ni le sont pas, 
mais synagogue de Satan. 

Allusion aux revendications du Paul mystique dans 
certaines Epîtres. Car il n'est pas douteux que les faux 
« Juifs » de Smyrne soient identiques aux faux « apôtres » 
d'Ephèse. Mais ici l'on ne dit rien de plus à leur sujet. 

Dans la lettre à Pergame ils ont tout un couplet (ii, 14) : 

J'ai contre toi ce peu, 

• que tu as là des gens retenant la doctrine de Balaam, 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT l'HISTOIRE DES ÉPURES 143 

Qui instruisit Balac à jeter scandale devant les enfants d'Israël 
pour qu'ils mangeassent idolothytes et forniquassent : 

Ainsi as-tu, toi aussi, des gens qui retiennent 
la doctrine des Nicolaïtes pareillement. 

Balaam et Nicolas apparaissent comme synonymes, et 
il est probable que l'auteur joue avec l'étymologie des 
noms. Ce qui nous intéresse est le grief soulevé contre les 
sectateurs de Balaam-Nicolas : manger des viandes immo- 
lées aux idoles et admettre ou tolérer la fornication. Quant 
au premier point, on sait la place que tient, dans I Corin- 
thiens, la casuistique des idolothytes ; peut-être les pré- 
tendus Nicolaïtes élargissaient-ils quelque peu en ce point 
les solutions suggérées par l'Epître. Pour ce qui est de la 
fornication, il ne faut pas se presser de conclure à un dé- 
sordre flagrant de leurs mœurs. A lire certains passages de 
l'Apocalypse, on dirait que le voyant ne laisse participer au 
triomphe du Christ que des martyrs, et des martyrs vierges 
(cf. VII, 14-15 ; XIV, 4-5). Il y a eu des encratites avant 
Marcion, et encore après. On peut croire que nos Nico- 
laïtes permettaient le mariage. 

Le cas le plus grave serait à Thyatires (ii, 20-25) : 

J'ai contre toi 

que ta tolères la femme Jézabel, 

qui se dit prophétesse, 
Qui instruit et induit mes serviteurs 

à forniquer et à manger idolothytes. 
Je lui ai donné temps pour qu'elle se répente, 

et elle ne veut pas se repentir de son impudicité. 
Je vais la jeter sur un lit, 

et ses amants avec elle, en grande tribulation ^, 

et ses enfants je frapperai de mort. 
Et sauront toutes les communautés 

que je suis, moi, celui qui scrute reins et cœurs 

et que je vous donnerai à chacun selon vos œuvres. 



1. Ce qu'on lit ensuite dans le texte ordinaire : « S'ils ne se repentent 
de ses œuvres », paraît être une glose. Cf. E. Lohmeyer, Die Offen- 
barung Johannis, 26. 



144 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Mais je dis à vous, les autres qui êtes à Thyatires, 

qui n'avez pas cette doctrine, 
qui ne connaissez pas les profondeurs de Satan, comme ils disent: 
Je ne jette pas sur vous d'autre fardeau ; 

mais, ce que vous avez, 
Retenez-le 

Jusqu'à ce que je vienne. 

La personne dirigeante du groupe nicolaïte à Thyatires 
serait une femme, mais une femme prophétesse. — Rappe- 
lons-nous que les passages des Epîtres où il est interdit aux 
femmes de prophétiser sont des interpolations. — Inutile 
de dire que le nom de Jézabel est symbolique. Les «profon- 
deurs de Satan » sont très probablement une plaisanterie 
à l'égard de gens qui se flattaient de « scruter les profon- 
deurs de Dieu », comme le Paul mystique de I Corinthiens 
II, 10. 

L'état misérable où est tombée la communauté de Sar- 
des, qui compte seulement un petit nombre de vrais 
fidèles (m, 1-4), pourrait bien être dû à l'influence des pré- 
tendus Nicolaïtes, l'auteur n'insistant pas davantage pour 
ne pas se répéter. Mais nous n'avons pas non plus à spécu- 
ler sur son silence. 

Il se rattrape dans la lettre à Philadelphie (m, 9) : 

J'en vais amener de la Synagogue de Satan, 

qui se disent être Juifs, 

et qui ne le sont pas, mais mentent ; 
Je vais faire qu'ils viendront 

et qu'ils se prosterneront devant tes pieds, 
Et qu'ils reconnaîtront 
que je t'ai aimé. 

Bien qu'il menace, à l'occasion, les Nicolaïtes, notre pro- 
phète ne désespère pas de leur conversion. 

Ce qu'il dit de la tiédeur de Laodicée (m, 15-19) pourrait 
s'interpréter de la même façon que la misère de Sardes. En 
tout cas, nous en avons entendu assez pour formuler main- 
tenant certaines conclusions. 

D'abord, il paraît suffisamment certain que nous sommes 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT l'hiSTOIRE DES ÉPITRES 145 

en présence d'un mouvement issu de Paul et se réclamant 
de lui, quelque quarante ou cinquante ans après sa mort ; 
que ce groupe exploite la succession littéraire de Paul et le 
fait légiférer, lui prêtant un langage qui est celui du Paul 
mystique dans les Epîtres ; que l'on discutait le groupe, et 
sa doctrine, et son héros. On peut dire que cela est tout 
naturel, et que cela devait être. Paul n'avait pas été seul à 
évangéliser l'Asie ; ApoUos n'avait-il pas prêché à Ephèse 
avant lui ? D'autres étaient venus de Palestine ou de Syrie, 
et les anciens dissentiments se perpétuaient dans l'évolu- 
tion de la foi commune. 

Néanmoins, dans le cas présent, 'cas unique, offert à notre 
expérience, il est à noter que l'avocat de la tradition qui 
se réclame des Douze apôtres et qui vocifère contre les 
Nicolaïtes, ne le cède guère, en fait de gnose, à ceux qu'il 
combat. Sans insister sur sa mythologie céleste, évoquons 
seulement le nom mystique par lequel son Christ est dési- 
gné dans le corps du livre, — pas dans les lettres, — 
l'Agneau. On peut dire que c'est là l'unique nom du Christ, 
l'Agneau immolé, et que, dans l'Apocalypse, il est cons- 
tamment question du sang de l'Agneau. Ce n'est pas pour 
rien que nous sommes au pays des quartodécimans. Sûre- 
ment l'observance pascale est née, l' Agneau-Christ substi- 
tué à la victime pascale des Juifs. Mais Paul aussi, le 
Paul mystique, connaît le Christ-Agneau : c'est dans I 
Corinthiens, v, 7, qu'on lit : « Le Christ, notre pâque, a été 
immolé » ^ ; dans I Corinthiens xi, que le pain et le vin 
de la cène représentent mystiquement le corps et le sang 
du Christ victime. Tous ces gens célébraient la même 
Pâque, ils pouvaient bien encore la célébrer ensemble. Ainsi 
le Christ-Agneau appartenait à la gnose des deux partis. 

Que le dossier épistolaire de Paul, — entendons celui des 
dix Epîtres, — fût déjà constitué en ce temps-là, il serait 
plus que téméraire de le supposer ; mais il était en voie de 
formation, et nous savons qui le garde, le fait valoir et 
travaille à l'amplifier. C'est déjà beaucoup. Qu'il ne fût pas 

1. Cf. supra, p. 67. 

lO 



146 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

accepté de tous, et qu'il fût contesté par certains, osons dire 
que c'était dans l'ordre. Si l'auteur de l'Epître de Jacques 
critique sans passion la doctrine de Paul sur la justification 
par la foi seule, de toute évidence il ne considère pas comme 
faisant autorité les documents où cette doctrine est expri- 
mée. L'auteur de l'Apocalypse, plus véhément, est encore 
moins disposé à faire un crédit quelconque aux écrits nico- 
1 ait es. Quand et comment l'accord se fit en Asie à leur 
sujet, nous ne saurions le dire, mais cet accord a dû se 
faire avant que le recueil des Epîtres se répandit dans les 
autres communautés et y reçût un accueil favorable. 

L'existence d'une collection canonique des treize Epîtres 
est certaine à partir d'Irénée, disons vers 180 ; l'existence 
de la collection des dix Epîtres est certaine à partir de 
Marcion, ou plus exactement avant Marcion, c'est-à-dire 
avant 140. Vers ce temps-là nous rencontrons Clément de 
Rome, qui cite formellement la Première aux Corinthiens. 
Sans doute connaît-il la collection des dix Epîtres et la tient- 
il pour authentique, mais ce n'est pas comme Ecriture qu'il 
allègue la Première aux Corinthiens. Ce doit être Marcion 
le premier qui, proclamant seules Ecritures divines son 
Evangelion et son Apostolicon, incita la grande Eglise 
à poser définitivement en regard de l'Ancien Testament, 
comme Ecritures de la nouvelle Alliance, tels Evangiles 
et tels documents censés apostoliques qui étaient déjà en 
crédit dans les communautés, mais sans former un corps 
apparié aux Ecritures anciennes. Et c'est aussi la canoni- 
sation qui fixa de façon à peu près définitive la rédaction 
des textes. En ce qui regarde les Epîtres attribuées à Paul, 
la collection des dix aura été portée à treize par l'adjonc- 
tion des Pastorales vers 150-160, probablement, puisque 
Polycarpe les cite. Il utilise aussi bien la Première de Pierre, 
la Première de Jean. Un peu plus tard la Seconde de 
Pierre ^ atteste l'existence d'un recueil canonique d'Epîtres 
de Paul qui renfermait au moins les dix Epîtres de l'an- 
cien recueil. Mais cet aperçu chronologique a besoin d'être 

1. Supr., p. 137. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT L'HISTOIRE DES ÉPITRES 147 

complété sur quelques points et assuré dans l'ensemble 
par l'examen de certains écrits auxquels nous ne croyons 
pas pouvoir attribuer la date qui est communément reçue, 
à savoir l'Epître aux Hébreux et la lettre de Clément de 
Rome aux Corinthiens, les lettres attribuées à Ignace 
d'Antioche et la lettre de Polycarpe aux Philippiens. 



II 



Nous avons logé hypothétiquement ^ l'Epître aux Hé- 
breux vers 110-130. Sa seule existence suffirait à prouver 
que les Epîtres de Paul, dont l'auteur a eu connaissance, 
ne jouissaient pas, à cette date, de la considération cano- 
nique ; car, dans le cas contraire, on n'imagine pas'qu'un 
auteur chrétien se fût avisé de produire une gnose entière- 
ment nouvelle par rapport à ces Epîtres et qui tendait plu- 
tôt à se substituer à leurs gnoses qu'à les compléter. 

Nous avons dit aussi quel étroit rapport existe entre 
l'Epître aux Hébreux et l'Epître de Clément, rapport qui 
oblige à dater Clément postérieurement à Hébreux. Le 
rapport inverse est tout à fait insoutenable, comme il est 
impossible de loger Clément lui-même vers 150, en faisant 
aussi bien dépendre Hébreux de Marcion et de son disciple 
Apelles. L'auteur d'Hébreux est un penseur original, qui, 
en un sens, ne dépend de personne, ayant construit lui- 
même un système doctrinal qui ne manque ni de richesse 
ni de grandeur. Clément est un prédicateur qui prend son 
bien de toutes mains et qui s'alimente de citations. Si l'on 
suivait l'hypothèse que nous venons de dire, il faudrait 
faire dépendre aussi de Clément le cantique de l'amour 
dans I Corinthiens, xiii, ce qui est une autre impossibilité, 
l'on pourrait dire une énormité. Sur aucun point de leur 
rapport la comparaison d'Hébreux à Clément ne suggère 
d'attribuer la priorité à Clément, et bien au contraire. 
Quant à la prétendue dépendance d'Hébreux à l'égard de 

1. Supr., p. 113. 



148 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Marcion et de son disciple Apelles, il n'y a pas même lieu 
de la discuter : hypothèse en l'air, à laquelle une critique 
sans parti pris serait fort empêchée de trouver le moindre 
fondement dans la réalité ^. 

Mais nous devons considérer ce qu'atteste Clément lui- 
même et en quel temps il demande à être placé. Nous 
venons de voir qu'il atteste la priorité d'Hébreux, et ce 
n'est pas rien. D'autre part, il est antérieur à Marcion, 
qu'il n'a aucun souci de réfuter, et il utilise Paul, même 
parfois en le citant. Il utilise assez peu, et sans citation 
expresse, la tradition évangélique. Du reste, il ne cite pas 
non plus l'Epître aux Hébreux, bien qu'il s'en nourrisse. 
S'il allègue expressément la Première aux Corinthiens, c'est 
parce que l'occasion même de sa propre lettre rend la cita- 
tion opportune. De même que l'auteur d'Hébreux, Clément 
connaît seulement comme Ecritures canoniques les écrits 
de l'Ancien Testament, Certaines Epîtres de Paul peuvent 
être une lecture autorisée, comme aussi bien doit l'être 
celle de tel ou tels Evangiles ; ni Evangiles ni Epîtres ne 
sont canoniques au sens propre du mot. On ne peut pas 
démontrer que Clément ait utilisé les Pastorales. Bref, 
Clément se placerait chronologiquement entre l'Epître aux 
Hébreux et Marcion. 

Toutefois nous ne devons pas oublier que l'opinion com- 
mune le place vers la fin du premier siècle, sous le règne de 
Domitien, vers 95-96. En fait, la teneur même du docu- 
ment plaide pour une date moins ancienne. On a pu lire 
dans La Naissance du Christianisme (p. 239), à propos des 
martyrs de la persécution de Néron : « L'Epître de Clément 
parle de ces victimes, mais par allusion, et en des termes, 
sinon plus généraux, du moins plus vagues, au fond, que 
ceux de Tacite (Annales, xv, 44). Elle semble déjà mettre 
en tête des martyrs de l'an 64 les deux apôtres Pierre et 
Paul, présentés dans une perspective de convention, comme 
les deux grands fondateurs de la communauté romaine » 
— que, dans la réalité, ils n'ont fondée ni l'un ni l'autre, et 

1. Cf. supra, p. 113, n. 2. Voir Turmel, IV, 114-126. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT l'hISTOIRE DES ÉPITRES 149 

Pierre encore moins que Paul, — « Pierre étant d'ailleurs 
nommé le premier, comme il a été bientôt censé l'institu- 
teur de l'épiscopat romain. Chose surprenante, si la lettre 
de Clément avait été rédigée à Rome une trentaine d'an- 
nées seulement après leur martyre, les notices relatives aux 
deux apôtres ne contiennent pas le moindre trait particu- 
lier touchant les circonstances de leur trépas. On dirait 
même que l'auteur, mis à part le fait du martyre, n'en 
savait guère plus long sur les deux apôtres qu'il ne nous 
est donné d'en lire dans les Actes et dans la seconde aux 
Corinthiens. » On objectera qu'il y eut surprise et désarroi 
de la communauté par la promptitude des arrestations et 
des exécutions de l'an 64, en sorte que les circonstances 
du supplice des deux apôtres n'ont pu être connues qu'assez 
vaguement. Mais d'abord il faut remarquer que Paul est 
mort probablement avant la persécution de Néron, et que, 
si Pierre est venu à Rome, on aurait dû savoir au moins 
comment il était là. On alléguera peut-être aussi que le 
mythe des Douze apôtres est tout formé dans l'Apoca- 
lypse de Jean ; et l'argument est dangereux, car le mythe 
des Douze apôtres a été fait de rien, sans doute contre les 
partisans de Paul. Dans le cas de Pierre et de Paul, il a dû 
y avoir pour Paul, qui a été supplicié à Rome, quelque tra- 
dition de souvenir, de même pour Pierre, si son martyre à 
Rome n'est pas une fiction intéressée. Il convient donc ici 
d'accorder un temps suffisant pour l'effacement de ces sou- 
venirs. Du reste. Clément n'est pas plus précis touchant 
les autres victimes de la persécution à Rome. La forme 
générale de la présentation est arbitraire. Les martyrs de 
64 viennent en dernier cas dans la série des méfaits de la 
discorde et de la jalousie depuis Caïn, en passant par Esaû, 
Moïse et David ; et l'on se demande quel a bien pu être le 
rôle de la jalousie dans la persécution de Néron. 

On ne voit pas non plus comment un ancien de la com- 
munauté romaine, un survivant de l'âge apostolique, 
aurait pu écrire (I ClémenU xlii) que Dieu a envoyé le 
Christ, le Christ les Apôtres, et que ceux-ci « remplis de 
certitude par la résurrection du Seigneur Jésus-Christ et 



150 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

confirmés dans la parole de Dieu, partirent en la joie du 
saint Esprit pour annoncer la bonne nouvelle du prochain 
règne de Dieu, et prêchant en villages et en'villes, instituèrent 
leurs premiers convertis en évêques et diacres de ceux qui 
croiraient ». Cette vue sommaire de l'évangélisation primi- 
tive correspond à peu près à ce qu'on lit dans la finale de 
Matthieu (xxviii, 16-20) et la finale apocryphe de Marc'Xxvi, 
15-20), qui sont du second siècle assez avancé. Clément y 
ajoute l'institution des évêques et des diacres en la con- 
firmant de plus par un texte d'Isaïe (lx, 17, Septante), où 
il se permet d'interpoler la mention des diacres. Encore 
une fois, comment un homme qu'on voudrait faire con- 
temporain de Néron et de Domitien, aurait-il pu penser ces 
choses et les écrire ? Pierre et Paul étant là réconciliés par 
la tradition, avec subordination de Paul à Pierre, nous 
sommes en pleine légende et assez loin de l'Apocalypse. 

Mettons que notre Clément a dû écrire au temps d'Ha- 
drun (117-138) ou dans les premières années du règne 
d'Antonin (138-161). Rien, par conséquent, n'empêche de 
l'identifier au Clément dont parle Hermas (Pasteur, Vision 
III), et qui devait transmettre les oracles du prophète aux 
communautés du dehors. Le Canon de Muratori dit qu'Her- 
mas prophétisa sous l'épiscopat de son frère Pins (141- 
155) ; mais la notice n'est peut-être pas à serrer de trop 
près au point de vue de la chronologie, ni même, jusqu'à 
un certain point de l'histoire ; car ni Clément ni Hermas 
ne laissent entendre que la communauté romaine soit régie 
par un seul évêque, comme elle l'était sûrement au temps 
d'Anicet (156-166). Au temps de Clément et d'Hermas, 
l'Eglise romaine connaissait un recueil de dix Epîtres attri- 
buées à Paul, le recueil dont Marcion fit une recension 
spéciale pour ses communautés ; sans doute aussi em- 
ployait-elle de préférence l'Evangile de Luc, c'est-à-dire 
l'Evangile que Marcion utilisa dans les mêmes conditions 
que lés Epîtres. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT l'hISTOIRE DES ÉPITRES 151 

III 

Il nous reste à examiner les lettres attribuées à Ignace 
d'Antioche et la lettre de Polycarpe aux Philippiens ; car 
si les sept lettres communément acceptées sous le nom 
d'Ignace sont authentiques, et si la lettre de Polycarpe est 
contemporaine du martyre de cet Ignace, que l'on place vers 
l'an 112, tout l'effort que nous venons de faire pour insti- 
tuer une histoire et une chronologie des Epîtres jusque vers 
140 sera compromis. Cependant, à première vue, l'Epître 
de Polycarpe, qui est écrite dans la dépendance de Clé- 
ment, des Pastorales, de la Première de Jean, et qui paraît 
viser Marcion, semblerait ne pouvoir être antérieure à l'an 
150 ; on pourrait même la placer vers 160, puisque Poly- 
carpe, venu à Rome au temps d'Anicet, a probablement 
subi le martyre en février 166 ^. D'autre part, si les lettres 
prétendues ignatiennes étaient authentiques, elles se trou- 
veraient, en ce qui regarde la tradition chrétienne, dans 
une situation vraiment incroyable. Irénée a connu la lettre 
de Polycarpe, mais il ne cite d'Ignace, et anonymement, 
qu'un seul passage tiré de la lettre aux Romains. Il n'est 
donc pas certain qu' Irénée ait connu les sept lettres avec 
l'attribution et dans la forme où elles nous sont parvenues. 
C'est là un fait bien singulier : des lettres d'un homme 
quasi apostolique, antérieur à Hermas, aussi à Clément 
(selon notre hypothèse), auraient été ignorées, non ave- 
nues pour la tradition chrétienne du second siècle, alors 
que l'Epître de Clément et le Pasteur d' Hermas ont, dès 
leur publication première, trouvé crédit et place auprès des 
écrits qui devaient constituer bientôt le Nouveau Testa- 
ment. Ce témoignage négatif n'est-il pas déjà, par lui- 
même écrasant pour la thèse de l'authenticité ? Et qu'on 

1. Non pas en février 155, comme plusieurs l'admettent. Cette date 
est peu conciliable avec ce qui est raconté du voyage de Polycarpe à 
Rome au temps d'Anicet. Voir sur cette question Turmel, Lettres 
d'Ignace d'Antioche, 35-36. La dissertation de Turmel (Delafosse), contre 
l'authenticité des lettres ignatiennes et la date de 112 pour la lettre de 
Polycarpe, nous paraît très solide quant au principal de ses conclusions 
(cf. supr. p. 7). 



152 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

n'objecte pas que la lettre de Polycarpe n'a pas joui non 
plus de la même faveur que Clément et Hermas ; elle l'au- 
rait eue, si elle avait paru en 112 ; si elle a été publiée vers 
160, elle ne pouvait plus l'avoir, parce que les bases du 
canon néotestamentaire étaient déjà établies. 

La première question qui se pose est de savoir si la ga- 
rantie que la lettre de Polycarpe semble donner aux lettres 
ignatiennes est réelle, ou bien si elle ne serait pas due sim- 
plement à une interpolation, à moins que ce ne soit à plu- 
sieurs. Tout à fait rassurante est la suscription de cette 
lettre : 

Polycarpe et les presbytres qui sont avec lui, 

à la communauté de Dieu qui habite Philippes : 

Miséricorde à vous et paix de la part de Dieu tout-puisspnt 
et de Jésus-Christ notre Sauveur soient multipliées. 

Cette simplicité contraste avec l'amphigourisme des 
adresses dans les lettres ignatiennes. Mais quelques lignes 
détonnent dans le préambule : 

Je me suis réjoui avec vous grandement en notre Seigneur Jésus- 
Christ, [qui avez reçu les images de la véritable charité et avez fait 
conduite, comme il convenait, à ceux qui étaient enlacés dans les. 
liens très saints, diadèmes de ceux qui ont été vraiment élus par 
Dieu et notre Seigneur, et] parce que la solide racine de votre foi, 
dès les temps anciens célébrée, jusqu'à présent demeui-e et fructifie 
pour notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour nos péchés a supporté 
d'aller jusqu'à la mort, qu'a ressuscité Dieu, rompant les tourments 
de VBadès [Actes, n, 24), en qui, sans l'avoir vu, vous croyez avec 
une joie ineffable et glorieuse (I Pierre, i, 8), en laquelle plusieurs 
désirent entrer, (vous-mêmes) sachant qtie par grâce vous avez été 
sauvés, non par les œuvres {Ephésiens, ii, 8,9), mais, selon la volonté 
de Dieu, par (l'intermédiaire de) Jésus-Christ. 

Tout le passage était à citer pour que le lecteur pût véri- 
fier, dans une traduction aussi littérale que possible, la 
manière dont Polycarpe filé ses phrases en y entrelaçant 
des citations d'écrits néotestamentaires, — des écrits dont 
certains, par exemple les Pastorales, pour ne rien dire de 
l'Epître aux Ephésiens et de la Première de Pierre, n'au- 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT L'HISTOIRE DES ÉPITRES 153 

raient pas été à sa disposition vers l'an 112, — et aussi la 
surcharge sensible, hétéroclite, que constituent les lignes 
placées entre crochets et qui concernent Ignace et ses com- 
pagnons. Il faut presque le savoir d'avance pour les com- 
prendre. Mais, à y bien regarder, l'on ne saurait écarter 
l'idée de l'interpolation ; et comme l'interpolation ne peut 
être qu'intéressée, la cause d'Ignace se trouve perdue 
avant seulement d'être plaidée. Il paraît clair que Poly- 
carpe avait écrit simplement : 

Je me suis réjoui avec vous grandement en notre Seigneur Jésus- 
Christ, parce que la solide racine de votre foi, etc. 

L'interpolation n'est pas plus conforme à la logique du 
sujet, à l'économie de la phrase, qu'au style de Polycarpe. 

Dans le corps de la lettre (ix) le nom d'Ignace est men- 
tionné en des conditions très particulières : 

Je vous exhorte donc tous à obéir à la parole de la justice et à 
exercer toute la patience qu'aussi vous avez vue de vos yeux, non 
seulement dans les bienheureux Ignace, Zosime et Rufus, mais 
encore en d'autres des vôtres, et dans Paul lui-même et les autres 
apôtres ; persuadés que tous ceux-là n'ont pas couru en vain (Phi- 
lippiens, u, 16), mais dans la foi et la justice, et qu'ils sont, au lieu 
qui leur était dû (I Clément, v, 4), près du Seigneur, avec lequel ils 
ont souffert ; car ils n'ont pas aimé le temps présent (II Timothée, 
IV, 10), mais Celui qui pour nous est mort et qui à cause de nous- 
par (ordre de) Dieu est ressuscité . 

Ici trois martyrs sont d'abord mentionnés comme ayant 
récemment souffert sous les yeux des Philippiens : Ignace, 
Zosime et Rufus. Le titre de « bienheureux », qui leur est 
donné, montre qu'ils sont actuellement « auprès du Sei- 
gneur », comme il est dit expressément un peu plus loin. 
Puisqu'ils ont souffert sous les yeux des Philippiens, ce 
seraient donc des martyrs de Philippes, et l'Ignace dont 
il est ici parlé n'aurait rien de commun que le nom avec 
l'auteur prétendu des sept lettres. Une série anonyme de 
martyrs, qui sans doute auront souffert antérieurement aux 
trois qui ont été mentionnés en premier Heu, est ensuite 



154 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

indiquée ; ce sont aussi des martyrs de Philippes ; une troi- 
sième série de bienheureux, un peu en dehors de la pers- 
pective esquissée au début de la phrase, puisqu'ils n'ont 
pas souffert à Philippes, est constituée par Paul et les 
autres apôtres. Paul est évoqué en raison de ses rapports 
personnels avec la communauté de Philippes ; les autres 
apôtres sont nommés parce que tout le monde les con- 
naît. Paul est pour Polycarpe un apôtre comme les autres, 
et tous les apôtres dont il s'agit (Paul compris) sont pré- 
sentement des personnages de légende. 

Reste à examiner un dernier paragraphe où le nom 
d'Ignace revient, mais comme auteur des lettres (xiii), et 
là nous aurons la surprise de trouver qu'Ignace vit encore, 
tout au moins que Polycarpe ne sait pas s'il est mort, et 
qu'il s'adresse aux Philippiens pour avoir de ses nou- 
velles : 

Vous m'avez écrit, vous aussi bien qu'Ignace, pour que, si quel- 
qu'un va en Syrie, il porte aussi une lettre de vous. J'y pourvoirai, 
dès que j'en aurai l'occasion, soit par moi-même soit par Je mes- 
sager que j'enverrai (et qui sera) aussi pour vous. Les lettres 
d'Ignace, celles qui nous ont été adressées par lui, et d'autres, 
autant que nous en avons par devers nous, nous vous envoyons, 
comme vous l'avez mandé. Elles sont jointes à cette lettre; vous 
pourrez en tirer grand profit; car elles traitent de la foi, de la 
patience et de toute matière d'édification concernant notre Seigneur. 
Ce que vous aurez appris de certain touchant Ignace et ses compa- 
gnons, faites-nous le savoir. 

Cette fois, il s'agit des fameuses lettres et de la recom- 
mandation des lettres par Polycarpe. Du reste, la recom- 
mandation d'Ignace lui-même, qui est mentionnée au 
commencement du passage qu'on vient de lire, se trouve, 
en effet, dans la lettre d'Ignace à Polycarpe. Les deux 
textes sont coordonnés et doivent être discutés en même 
temps. 

Mais, dans la lettre d'Ignace, la recommandation se 
trouve découpée entre deux paragraphes (vu et viii), dont 
une partie n'y a pas de rapport, les passages concernant 
Polycarpe étant comme plaqués sur une lettre originaire- 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT L'HISTOIRE DES ÉPITRES 155 

ment adressée à une communauté ^. Donc Ignace aurait 
écrit à Polycarpe : 

Puisque l'Eglise qui est à Antioche de Syrie jouit de la paix, selon 
que j'en ai été informé,... il convient, Polycarpe très heureux en 
Dieu, d'organiser une réunion très agréable à Dieu, et d'élire 
quelqu'un que vous teniez pour très cher et infatigable, qui pourra 
être dit courrier de Dieu ; de l'accréditer pour que, venu en Syrie, 
il célèbre votre infatigable charité pour la gloire de Dieu. — Puisque 
je n'ai pu écrire à toutes les communautés, parce que tout à coup je 
me suis embarqué de Troas pour Néapolis, comme l'ordre le pres- 
crit, tu écriras aux communautés d'Orient, en tant que possédant la 
pensée de Dieu, pour qu'eux fassent la même chose, ceux qui le 
pourront envoyant des messagers à pied, les autres des lettres par 
tes envoyés, afin que tu sois glorifié par une œuvre impérissable, 
comme tu en es digne. Je salue celui qui sera digne d'aller, en 
Syrie. (Ma) reconnaissance ^ avec lui sera toujours et avec Polycarpe 
qui l'enverra. 

Ce style ampoulé rappelle l'interpolation que nous avons 
signalée ^ dans le préambule de la lettre de Polycarpe. Mais 
surtout nous trouvons là tout tracé le programme que 
Polycarpe, à la fin de sa lettre, est censé vouloir réaliser 
pour ce qui regarde les lettres d'Ignace, à la prière d'Ignace 
lui-même. Ce programme, qui est interpolé dans la préten- 
due lettre d'Ignace à Polycarpe, est pareillement interpolé 
dans la lettre de Polycarpe aux Philippiens. On remar- 
quera, du reste, la singulière étrangeté du chassé-croisé de 
lettres que tout cela suppose, et la préoccupation non 
moins singulière que le prétendu Ignace aurait eue de sa 
propre littérature. 

Tout s'explique aisément s'il s'agit de lancer, dans la 
publicité des communautés chrétiennes, des lettres jus- 
qu'alors ignorées, et que l'on vient de mettre au point en vue 
de cette publicité que l'on voudrait leur procurer. Lorsque 

1. Je ne fais que suivre la discrimination des textes opérée par Tur- 
mel {op. cit.), dont la critique en cette matière est très satisfaisante 
{cf. supr., p. 151, n. 1). Il suffit que le lecteur puisse prendre ici une 
idée nette du problème. 

2. Ou a la grâce » de Dieu ? 

3. Supr., p. 152. 



156 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

Polycarpe écrivit aux Philippiens, vers l'an 160, il ne 
connaissait pas Ignace d'Antioche ni ses lettres. On a inter- 
polé la lettre de Polycarpe pour la recommandation d'un 
faux. 

En fait, la collection des sept lettres et Ignace d'Antioche 
n'ont été connus dans l'Eglise qu'au m® siècle. Ainsi le 
faux est postérieur à Irénée. Mais Irénée lui-même, comme 
nous l'avons dit, s'il ne connaît pas Ignace, connaît l'Epître 
aux Romains qui maintenant figure au dossier d'Ignace. 
La lettre qui se lit aussi en ce dossier comme lettre à 
Polycarpe existait de même avant d'être interpolée pour 
supporter les additions que l'on a pratiquées dans l'Epître 
authentique de Polycarpe aux Philippiens. Cela étant, il 
n'y a témérité aucune à supposer que les documents qui 
sont au fond de la correspondance pseudo-ignatienne ont 
été rédigés après Polycarpe et avant Irénée, et que leur 
publication sous le nom d'Ignace-Théophore est posté- 
rieure à Irénée : mettons 170-180 comme date approxima- 
tive des documents que l'on a ultérieurement transformés 
en lettres d'Ignace, et 200 comme date approximative de 
l'édition interpolée qui a été répandue sous le nom d'Ignace- 
Théophore, évêque d'Antioche. 

IV 

La question qui importait le plus au sujet de la présente 
étude était celle de savoir si les lettres attribuées à Ignace 
étaient authentiques ou non : authentiques, elles intéres- 
seraient au premier chef l'histoire du Nouveau Testament, 
et par conséquent celle des Epîtres néotestamentaires ; 
apocryphes, et relativement tardives, elles dépassent en 
grande partie le cadre assigné à nos recherches. Toutefois 
il ne saurait nous être indifférent de savoir quel était le 
véritable caractère des documents que l'on a interpolés 
pour en faire des lettres d'Ignace, et aussi le caractère 
propre de l'élaboration systématique par laquelle cette 
transformation a été réalisée. L'auteur que nous avons 
suivi pour établir l'inauthenticité des lettres ignatiennes 



TÉMOIGNAGES INTÉREFSANT L'HISTOIRE DES ÉPITRES 157 

prétend que cette correspondance, en son premier état, 
était marcionite, et que l'édition interpolée est antimar- 
cionite. Ce serait à voir, tout au moins en ce qui regarde 
le premier point ; car nous nous sommes séparé du même 
auteur, tout en adoptant souvent sa discrimination des 
textes, dans la critique des Epîtres de Paul, en ce qui 
regarde le caractère marcionite des gnoses mystiques qui 
sont entrées dans ces Epîtres. Si nous ne pouvons entre- 
prendre ici une discussion de détail, tout au moins devons- 
nous à nos lecteurs les explications nécessaires pour l'in- 
telligence du problème. 

Etant acquis le principe de la double rédaction, il n'y a 
aucune difficulté à admettre ^ que le nom assez singulier 
de l'auteur des lettres en leur rédaction dernière : « Ignace, 
qui est aussi Théophore », provient de ce que le rédacteur 
a jugé bon, pour la recommandation des lettres, en utili- 
sant l'Epître de Poly carpe, d'identifier le martyr Ignace, 
dont parlait Polycarpe % martyr de Philippes, et qui n'a 
rien écrit, avec l'évêque de Syrie Théophore, qui aurait 
été l'auteur des lettres en leur forme native ^. Le principal 
est de savoir ce qu'était la foi de Théophore. 

On a relevé des surcharges caractéristiques dans la sus- 
cription de la lettre aux Ephésiens, où l'Eglise d'Ephèse 
est dite « élue par la passion véritable, par la volonté du 
Père et de Jésus-Christ notre Dieu ». Le rappel de la passion 
ne signifie rien dans le contexte, si ce n'est la préoccupa- 
tion qu'a le rédacteur d'affirmer la réalité de la passion 
contre certains hérétiques, dont Marcion, qui contestaient 
que le Christ eût pris un corps réel. De même, la mention 
du Père est aussi mal placée que possible devant « Jésus- 
Christ notre Dieu ». Théophore pouvait écrire : « Jésus- 
Christ notre Dieu », sans être marcionite. Nous avons ren- 
contré de telles expressions dans les Pastorales *. Mais 

1. Avec Turmel, op. cit., 78, 85. 

2. Texte cité p. 153. 

3. A cette identification Ignace a gagné, sans doute par la grâce de 
Jules Africain, d'être promu second successeur de Pierre sur le siège 
d'Antioche (Turmel, op. cit., 38). 

4. Cf. supr., p. 116. 



158 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

nous ne pouvons signaler ici que les traits les plus impor- 
tants et les plus caractéristiques, soit de Théophore, soit 
du prétendu Ignace. 

On peut donc dire que Théophore est un mystique de 
répiscopat;il prêche la soumission à l'évêque et il n'hésite 
pas à dire que « l'on doit considérer l'évêque comme le Sei- 
gneur lui-même » (vi). S'il est marcionite, on devra penser 
que l'épiscopat marcionite, en son temps, était aussi forte- 
ment constitué que l'épiscopat catholique ^. Et il faut bien 
avouer que, si Théophore avait été un évêque de la grande 
Eglise, pas n'aurait été besoin de le coiffer d'un autre nom, 
d'un nom inconnu, il aurait suffi de le paraphraser en 
quelques endroits pour le mettre au point d'une orthodoxie 
plus exacte que la sienne. 

On peut hésiter à disséquer un passage comme celui-ci 
(vu), qui vient après la dénonciation d'hérétiques, flétris 
conime « des chiens enragés » dont « les morsures sont diffi- 
ciles à guérir » : 

Un seul médecin existe, charnel et spirituel, enfanté et non 
enfanté, Dieu devenu en chair, vie véritable dans la mort, issu de 
Marie et de Dieu, d'abord passible et ensuite impassible, Jésus- 
Christ notre Seigneur. 

Au premier choc, on est ébloui de ces antithèses ; puis, 
en y regardant bien, on découvre une assertion assez mal- 
sonnante en elle-même ; « issu de Marie et de Dieu », qui 
arrive trop tard, coupant deux autres assertions qui veu- 
lent être conjointes : « Vie véritable dans la mort », et : 
K D'abord passible et ensuite impassible ». Il ne serait 
donc pas aussi téméraire qu'on pourrait croire de lire ^ ; 
« Un seul médecin existe, spirituel, non enfanté, vie véri- 
table dans la mort, d'abord passible et ensuite impassible, 
Jésus-Christ notre Seigneur Dieu. » Mais il est permis d'hé- 
siter. Car la restitution manque passablement de naturel 

1. Contrairement à ce que suppose Harnack, Marcion, 184-185, 
qui croit pouvoir rapporter aux communautés marcionites un propos 
général de Tertullien, De Praescriptione, ^1. Cf. La Naissance du Chris- 
tianisme, 385. 

2. Avec Turmel, op. cit., 97. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT L'HISTÔIRE DES ÉPITRES 159 

et de couleur, la phrase originale semblant avoir été cons- 
truite en chapelet d'antithèses, à l'égard duquel détonne 
surtout l'entrefilet concernant la conception virginale. 
Au surplus, nous n'avons pas le droit de faire parler Théo- 
phore en marcionite et en docète, à moins qu'il ne soit par 
ailleurs démontré tel. Mais nous n'avons que trop d'autres 
cas à élucider. 

En voici un autre plus considérable, dans la même lettre 
(xvii-xix), où sont commentés certains traits de la vie 
terrestre du Christ. Nous lisons d'abord ceci : 

Ce pourquoi le Seigneur reçut une onction parfumée sur sa tête, 
ce fut pour insuffler à l'Eglise l'incorruptibilité. Ne vous oignez pas 
de la mauvaise odeur de la doctrine du prince de cet âge, de peur 
qu'il ne vous emmène captifs loin de la vie à vous oôerte... 

L'allusion est au récit de l'onction dans les deux pre- 
miers Evangiles {Marc, xiv, 3 ; Matthieu^ xxvi, 7 ; Jean, 
XIII, 3, parle d'onction, mais sur les pieds). Ainsi Théophore 
a emprunté à un Evangile de l'Eglise un trait qui n'était 
pas dans l'Evangile marcionite. Ceci vaut d'être noté. « Le 
prince de cet âge » n'est pas nécessairement le démiurge de 
Marcion, et nous l'avons déjà rencontré un peu partout. 
Continuons : 

Mon esprit est un immondice de la croix, laquelle est scandale aux 
incroyants, mais à nous salut et vie éternelle. Oii est un sagel Oïl 
un disputeur ? Où la gloriole des prétendus savants ? 

Exploitation libre, mais constante, de I Corinthiens, iv, 
13 (l'immondice), i, 23 (le scandale), 24 (mais à nous), 20 
(sage, disputeur), 19 (savants). 

Car notre Dieu Jésus-Christ a été conçu par Marie, selon disposi- 
tion de Dieu, de la semence de David, d'une part, mais d'autre part, 
de l'Esprit saint, il est né et il a été baptisé, afin que par sa passion 
il purifiât l'eau. 

Singulier amalgame, du baptême, de la passion et de la 
conception virginale. Sûrement, ici encore il y a surcharge, 
et de tout ce qui se rapporte à la conception virginale, ce 



130 sua LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

tout d'ailleurs s'exprimant aussi gauchement, et l'on peut 
dire brutalement, que dans l'interpolation signalée plus 
haut sur le même sujet. Le fil conducteur est ici le bap- 
tême : Jésus a été baptisé pour sanctifier l'eau où les 
croyants sont régénérés, comme on nous a dit d'abord 
qu'il avait reçu l'onction parfumée pour insuffler l'incorrup- 
tibilité à l'Eglise. La passion n'a que faire ici puisqu'elle 
€st postérieure au baptême. Mais force nous est de recon- 
naître que ce trait du baptême n'est pas d'origine marcio- 
nite. Selon l'Evangile de Marcion, Jésus n'était pas baptisé 
par Jean ; en l'an quinzième de Tibère, il descendait à 
Capharnaiim et inaugurait là son ministère. Poursuivons 
notre lecture : 

Et furent cachés au prince de ce monde la virginité de Marie et 
son enfantement, pareillement aussi la mort du Seigneur : les trois 
mystères de clameur qui dans le silence de Dieu se sont accomplis. 
Comment donc furent-ils manifestés aux mondes ? Un astre dans le 
ciel brilla par-dessus tous les astres, sa lumière était inexprimable, 
sa nouveauté provoquait Tétonnement. Tous les autres astres, avec 
le soleil et la lune, formaient chœur à Tastre, mais sa lumière dépas- 
sait la leur à tous. Et c'était trouble (chez eux, qui se demandaient) 
d'où venait cette nouveauté si différente d'eux. Par là fut dissipée 
toute magie, et disparut tout lien de méchanceté ; l'ignorance fut 
abohe, l'ancien royaume était détruit. Dieu se manifesta en homme 
pour nouveauté de vie éternelle. Ce qui s'était préparé auprès de 
Dieu prenait commencement. Dès lors tout se mettait en agitation 
parce que s'opérait la destruction de la mort. 

Comprenne qui pourra ! L'auteur promettait ensuite 
{xx) de reprendre, dans un « second livret », le thème qu'il 
venait d'aborder, à savoir « l'économie (divine) touchant le 
nouvel homme Jésus-Christ, dans sa foi et dans sa cha- 
rité ». A défaut de ce supplément, nous devons constater 
que l'astre dont on nous décrit si complaisamment la mani- 
festation n'est en aucune façon l'étoile dont parle Matthieu 
à propos des mages. L'astre était le Christ, c'est-à-dire 
« Dieu manifesté en homme », comme on nous le dit expres- 
sément. Les termes employés ne préjugent aucunement 
que la forme humaine du Christ n'ait été qu'apparente. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT L'HISTOIRE DES ÉPITRES 161 

Mais la description concerne-t-elle l'épiphanie divine en 
son commencement terrestre, ou bien en son couronne- 
ment par le triomphe du Christ sur la mort ? C'est, semble- 
t-il, la seconde hypothèse qui se recommande le mieux au 
critique, vu que c'est ce triomphe seulement qui a inauguré 
le règne de la lumière et qui a « révélé aux éons » les secrets 
de Dieu, qui leur avaient été jusque-là cachés. Rappelons- 
nous que Théophore cultive la Première aux Corinthiens 
et que, dans l'endroit même de cette Epître qu'il a para- 
phrasé pour commencer, il n'a pu manquer de lire (I Co- 
rinthiens, II, 6-9) que « les princes de cet âge » n'ont pas 
connu le secret, « caché » en Dieu, du salut qui devait 
s'opérer par le Christ, attendu que, « s'ils l'avaient connu, 
le Seigneur de la gloire ils n'auraient pas crucifié ». 

Ceci posé, nous devons rechercher quels sont les secrets 
qui « manifestés aux éons » par le triomphe du Christ, 
avaient été « cachés » d'abord au « prince de ce monde ». 
La considération de I Corinthiens nous oblige à retenir 
« la mort du Seigneur ». Le prince de ce monde et ses aco- 
lytes ont ignoré la mort du Christ, parce qu'ils ne savaient 
pas, en le crucifiant, qu'ils allaient tuer le Dieu fait 
homme. Quant à « la virginité de Marie et à son enfante- 
ment », il est de toute invraisemblance que Théophore, en 
ce contexte, les ait associés à « la mort du Seigneur », et 
qu'il les eût qualifiés « mystères de clameur ». Sans doute 
avait-il parlé d'un seul mystère, celui de la mort, dans 
lequel se résume l'économie providentielle du salut. 

Notons encore, dans le même contexte (suite de xx), une 
interpolation probable : « Rassemblez-vous dans une seule 
foi, [et en Jésus-Christ, de la race de David selon la chair, 
fils de V homme et fils de Dieu ], pour obéir à l'évêque et au 
corps presbytéral. » Il paraît évident que Théophore avait 
écrit : « Rassemblez-vous dans une seule foi, pour obéir à 
l'évêque », etc. La surcharge n'est pas là « uniquement 
pour servir de profession de foi à l'incarnation du Christ ^ ». 
Il s'agit surtout de l'origine humaine du Christ. Théo- 

1. Turmel, op. cit., 104, n. 1. 

II 



162 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

phore pouvait connaître le Dieu fait homme, et ignorer la 
conception virginale. Ainsi faisait, en son temps, l'auteur du 
quatrième Evangile, aussi l'auteur d'Hébreux, et maints 
autres. 

Voici maintenant un passage important de la lettre aux 
Magnésiens (viii) : 

Ne vous laissez pas tromper par les doctrines étrangères ni par 
les vieilles fables qui ne servent à rien. Car, si maintenant encore 
nous vivons selon le judaïsme, nous professons n'avoir pas reçu la 
grâce. [Car les trôs divins prophètes ont vécu selon Christ Jésus. 
C'est pour cela aussi qu'ils ont été persécutés, inspirés par sa grâce 
pour convaincre les incrédules qu'il existe un seul Dieu, lequel 
s'est manifesté par Jésus-Christ son fils, qui est son Verbe éternel, 
non sorti du silence, (et) qui en tout a complu à celui qui l'envoyait.] 

Les dernières lignes énoncent la doctrine du Logos d'après 
le quatrième Evangile. Cette doctrine n'est sûrement pas 
celle de Théophore, et l'auteur de ce passage s'avance beau- 
coup en l'attribuant aux prophètes de l'Ancien Testa- 
ment. Un trait curieux est l'allusion au système de Valen- 
tin, où Logos et Zoé procèdent de Bythos et de Sigé par 
l'intermédiaire de Nous et d'Aléthéia ^. Cette allusion 
suffirait à prouver que les lettres ignatiennes ne peuvent 
remonter au commencement du second siècle. Mais ce qui 
doit surtout nous intéresser est l'espèce de contradiction 
qui existe entre la partie de notre citation relative aux 
prophètes et à leur parfait christianisme, et les premières 
lignes, où le judaïsme est condamné sans restriction comme 
rentrant dans la catégorie des doctrines hérétiques et des 
fables surannées. La contradiction paraît si flagrante que 
la seconde partie du discours a bien l'air de réfuter la pre- 
mière. Or, considérée en elle-même, la seconde partie est 
dirigée contre Marcion, qui niait tout rapport des pro- 
phètes à l'Evangile et qui concevait le Christ comme la 
manifestation d'un Dieu supérieur au démiurge, dont les 
livres de l'Ancien Testament contenaient la révélation. 

1. Sur la variante : « son Verbe, sorti du silence », voir Turmel, op- 
cit., 60-65. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT L'HISTOIRE DES ÉPITRES -163 

Si obscures que soient les premières lignes de notre texte, 
elles semblent exprimer une façon marcionite de compren- 
dre le christianisme commun. Aurions-nous interprété 
trop bénignement, trop catholiquement, la façon dont 
Théophore comprenait « le prince de ce monde » ? C'est 
peut-être ce que nous fera voir la suite de cette enquête. 

Immédiatement après le texte qu'on vient de lire, nous 
trouvons (ix) : 

Si ceux qui avaient vécu dans les anciennes pratiques sont venus 
à une nouvelle espérance, n'observant plus le sabbat, mais vivant 
selon le jour du Seigneur, oîi notre vie aussi s'est levée par lui et 
par sa mort, [ce que quelques-uns nient,] par ce mystère nous 
avons reçu la foi, et pour cela nous patientons, afin d'être trouvés 
disciples de Jésus-Christ, notre unique maître. Comment, nous, 
pourrions-nous vivre sans lui ? [Lui que les prophètes aussi, étant 
ses disciples par l'esprit, attendaient comme leur maître ; c'est pour- 
quoi celui qu'ils attendaient en justice est venu les ressusciter des 
morts.] 

La mention des prophètes n'est pas mieux préparée que 
dans le paragraphe précédent. C'est le même rédacteur qui 
les amène, soucieux, cette fois, de nous apprendre que le 
Christ, en récompense de leur fidélité, est allé aux enfers 
les ressusciter des morts. La chose est présentée un peu 
autrement dans la Première de Pierre ^. Mais notre rédac- 
teur se sera proposé surtout de contredire Marcion, qui 
excluait de la résurrection les justes de l'Ancien Testa- 
ment. Théophore évoquait les convertis de jadis qui 
avaient renoncé au sabbat pour prendre le dimanche, sym- 
bole de la foi véritable : d'où l'on peut inférer qu'il n'est 
point quartodéciman et qu'il observe la Pâque du diman- 
che. Sa condamnation des observances juives a la même 
portée que dans le paragraphe précédent. On ne voit pas 
bien ce que signifie la parenthèse : « ce que quelques-uns 
nient ». Comme elle vient gauchement, elle doit être du 
rédacteur, visant des mal pensants qui interprétaient de 

1. Supr., p. 129. 



164 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

travers la mort du Christ, c'est-à-dire les marcionites. 
Ecoutons encore Théophore (x) : 

Il est insensé de parler Jésus-Christ et de judaïser. Car le chris- 
tianisme n'a pas cru au judaïsme, mais le judaïsme au christianisme, 
en qui tous les langues se sont réunies croyant en Dieu. 

Ainsi le christianisme n'a rien à voir avec le judaïsme ; 
et par conséquent, ceux qui judaïsent, ce sont les chrétiens 
qui pactisent avec le judaïsme en retenant l'Ancien Tes- 
tament. Notre Théophore pouvait conclure (xi) : « Je veux 
que vous ayez la certitude absolue de notre espérance, 
dont je souhaite qu'aucun de vous ne s'écarte. » Le rédac- 
teur lui fait dire : 

Je veux que vous ayez la certitude absolue de [la naissance, de la 
passion et de la résurrection advenues au temps du gouvernement 
de Ponce Pilate, réalisées vraiment et réellement par Jésus-Christ] 
notre espérance, dont je souhaite qu'aucun de vous ne s'écarte. 

On reconnaît le rédacteur à sa gaucherie, à sa préoccupa- 
tion de « la naissance », à son acharnement contre le docé- 
tisme. Au fond, il récite le symbole de foi que l'Eglise 
catholique a précisé contre Marcion, et c'est pourquoi il 
n'oublie pas Ponce Pilate. Même cas dans la lettre aux 
Tralliens (ix) : 

Soyez donc sourds lorsque quelqu'un vous parlera en dehors de 
Jésus-Christ [qui est de la race de David, qui est de Marie, qui 
vraiment est né, a mangé et a bu, vraiment a été persécuté sous Ponce 
Pilate, vraiment a été crucifié et est mort, à la vue des (êtres) célestes, 
terrestres et infernaux ; qui vraiment aussi est ressuscité des morts, 
son Père l'ayant ressuscité; aussi à son image, nous qui croyons en 
Lui, son Père nous ressuscitera en Christ Jésus] hors de qui nous 
n'avons pas de vie véritable. 

L'inexprimable embarras qui apparaît dans la dernière 
ligne de l'enclave orthodoxe tient à ce qu'il y fallait rame- 
ner le nom de Jésus-Christ ^^ pour rejoindre la fin de la 
phrase dans Théophore, qui avait écrit : 

1. Remarque de Turmel, op. cit., 118, n. 1. La phrase est encore plus 
gauche dans le grec que ne le laisse voir la traduction. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT l'HISTOIRE DES ÉPITRES 165 

Soyez donc sourds lorsque quelqu'un vous parlera en dehors de 
Jésus-Christ, sans qui nous n'avons pas de vie véritable. 

Théophore écrit dans la lettre aux Romains (m): 

Si je suis trouvé (chrétien), je puis être dit (tel) et alors être fidèle, 
quand au monde je ne serai plus visible. Rien de ce qui est visible 
n'est bon. 

Ceci est incontestablement un principe de la doctrine 
marcionite, d'après laquelle toute la création visible, 
œuvre d'un dieu inférieur, est destinée à périr. Conformé- 
ment à ce principe, Théophore continue (iv) : 

Laissez-moi être la nourriture des bêtes par lesquelles me sera 
donné d'obtenir Dieu... Alors je serai le vrai disciple du Christ, 
quand le monde ne verra plus mon corps. 

D'après Théophore — et Marcion, — il n'y a pas de 
résurrection du corps, mais ascension de l'âme vers Dieu. 
Le corps n'a qu'à disparaître. Et ici Théophore est en 
contradiction avec la pratique des chrétiens de la grande 
Eglise, dont on sait le zèle à recueillir les restes des martyrs, 
précisément parce qu'ils croyaient à la résurrection du 
corps. 

Voici maintenant un passage de la lettre aux Philadel- 
phiens (viii) qui a longtemps mis à l'épreuve la sagacité 
des interprètes : 

Je vous exhorte à ne rien faire par esprit de dispute, mais selon l'en- 
seignement du Christ. Car j'ai entendu certains qui disaient : « Si 
je ne trouve pas (cela) dans les anciens documents, [dans l'Evan- 
gile,] je ne crois pas. » Et comme je leur disais : « C'est écrit », 
ils me répondirent : « C'est la question. » Mes documents à moi, 
c'est Jésus-Christ, (mes) documents inviolables, c'est sa croix, sa 
mort et sa résurrection, et la foi qui vient de lui ; par ceux-là je 
veux, avec vos prières, être justifié. 

Théophore ne met pas son espoir dans les textes, mais en 
Jésus-Christ et dans la rédemption opérée par sa mort. Les 
gens avec lesquels il a disputé sur le problème de la vraie 



166 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

foi se targuaient de ne rien admettre qui ne fût dans les 
anciens documents, c'est-à-dire dans les Ecritures dé 
l'Ancien Testament ; ce sont des chrétiens catholiques ; la 
glose : « dans l'Evangile )),est du rédacteur, pour affirmer la 
correspondance des deux Testaments et embrouiller la 
déclaration de Théophore. En leur répliquant : « C'est 
écrit », Théophore ne visait probablement pas le quatrième 
Evangile \ mais plutôt l'Evangile de Marcion et les Epîtres 
de Paul, écrits autorisés dans l'Eglise marcionite, et qui, en 
somme, étaient admis aussi par les catholiques. Ceux-ci 
repartaient : « C'est à voir », contestant l'interprétation 
donnée par les marcionites aux écrits dont il s'agit. A quoi 
Théophore finalement répond qu'il ne s'agit pas de textes 
mais de l'économie réelle du salut. Et voici la rectification 
générale du rédacteur (ix) : 

Bons étaient les prêtres, mais meilleur est le grand prêtre à qui a 
été confié le Saint des Saints, à qui seul ont été confiés les secrets de 
Dieu ; il est, lui, la porte du Père, par laquelle entrent Abraham, 
Isaac, Jacob, et les Prophètes, et les Apôtres, et l'Eglise ; tout cela 
dans l'unité de Dieu. Mais l'Evangile a quelque chose de supérieur : 
Tavènement du Sauveur, notre Seigneur Jésus-Christ, sa passion et 
sa résurrection. Car les bien-aimés Prophètes ont prédit de lui ; 
mais l'Evangile est l'accomplissement de l'immortalité. Le tout 
ensemble est bon, si en charité vous croyez. 

Donc il faut conserver dans leur unité les deux Testa- 
ments. Les « prêtres » sont les héros de l'Ancien Testament ; 
on les dit prêtres pour coordonner leur ministère à celui 
du « grand-prêtre » ou du pontife, qui sans doute est em- 
prunté à l'Epître aux Hébreux, comme « le Saint des 
Saints » ; la « porte » vient du quatrième Evangile (Jean, 
x, 9). L'avènement (parousié) du Sauveur s'entend ici de 
sa manifestation terrestre 2. 

On peut voir dans la lettre aux Smyrniotes (i-iii) que le 

1. Comme le dit Turmel, op. cit., 134, n. 1. 

2. Le lecteur trouvera une glose analogue dans la même lettre, 
(v ; voir Turmel, op. cit., 131). On a dû se borner ici à signaler des cas 
typiques par lesquels se peuvent éclairer suffisamment la position du 
premier autem" et celle du rédacteur catholique. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT L'HISTOIRE DES ÉPITRES 167 

rédacteur connaît les Evangiles de Matthieu et de Luc et 
qu'il les utilise contre les docètes. Il déclare que notre 
Seigneur, « qui est de la race de David selon la chair )),a 
été « vraiment enfanté par une vierge, baptisé par Jean 
pour que fut accomplie toute justice par lui (Matthieu, m, 
15) ; vraiment, sous Ponce Pilate et Hérode le tétrarque 
(Luc, XXIII, 1-25), cloué pour nous dans la chair » ; qu'il a 
« vraiment souffert, comme aussi il s'est véritablement 
ressuscité ». Ci, une pointe contre « certains incrédules » 
qui « disent qu'il a souffert en apparence, étant eux-mêmes 
chrétiens en apparence ». Et d'insister sur les preuves 
matérielles de la résurrection comme elles sont énoncées 
dans Luc : 

Car je sais qu'il fut en chair après sa résurrection, et je le crois. 
Et lorsqu'il vint vers ceux qui étaient avec Pierre, il leur dit : 
« Prenez, touchez-moi et voyez que je ne suis pas un fantôme sans 
corps. » Et aussitôt ils le touchèrent et ils crurent, ayant été unis 
à sa chair et à son esprit... Or, après sa résurrection, il mangea et 
but avec eux [Actes, x, 41) en charnel, quoique spirituellement uni 
au Père. 

Sur la foi de saint Jérôme, on croit volontiers que la 
parole attribuée ici au Christ se lisait dans l'Evangile des 
Nazaréens. Le rédacteur aurait-il été incapable de la cons- 
truire lui-même d'après Luc, xxiv, 37-39 ? 

Notons que, dans la lettre à Polycarpe (v), Théophore 
semblerait parler du mariage comme pourrait le faire un 
docteur catholique : 

Dis à mes sœurs d'aimer le Seigneur et de se contenter de leurs 
conjoints en chair et en esprit. Pareillement prescris à mes frères 
au nom de Jésus-Christ à.'aimer leurs conjointes comme le S eigneur 
VEglise {Ephësiens, v, 25, 29). Si quelqu'un peut demeurer dans la 
chasteté, ... qu'il y demeure sans vanterie. S'il s'enorgueillit, il est 
perdu... Il convient que les époux et les épouses contractent leur 
union avec l'assentiment de l'évêque, afin que le mariage soit selon 
le Seigneur et non selon la concupiscence. 

Fort bien ! Mais notre auteur paraîtrait considérer comme 
exceptionnelle la profession de continence. Or il est avéré 



168 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

que Marcion ne conférait le baptême qu'aux continents. 
On peut admettre que, pour ne pas trop réduire sa clientèle, 
il ait retenu les gens mariés dans le catéchuménat ou 
comme une catégorie inférieure de fidèles. Mais ce n'est pas 
cela que signifie notre texte. Encore est-il que Théophore 
ne parle pas notre langage, et qu'il pourrait user de ce qui 
serait pour nous une réticence. Marcion avait dans sa 
recension le texte d'Ephésiens que cite notre Théophore, 
et il l'entendait ainsi : que les maris aiment leurs femmes 
chastement, comme le Christ aime l'Eglise ^. Ainsi les ma- 
riages « selon le Seigneur » seraient des mariages de con- 
tinents 2. 

Sur ce bouquet marcionite nous pouvons clore notre en- 
quête. Ce qui importe à nos recherches sur les Epîtres du 
Nouveau Testament est de savoir que les lettres dites igna- 
tiennes leur étant, autant que nous en pouvons juger, pos- 
térieures, ne sont pas elles-mêmes antérieures à la fin du 
second siècle, parce que le secret de leur origine se ramène à 
la distinction d'une correspondance fondamentale, de carac- 
tère marcionite, qui n'a pas dû être écrite avant l'an 170, 
et d'une élaboration cathohque qui se place approximative- 
ment vers l'an 200. Peu nous importe le détail des procédés 
par lesquels le document fondamental a été adapté aux 
fins édifiantes que se proposait le dernier rédacteur. Le fait 
essentiel est celui de la double rédaction, le trait caracté- 
ristique de la première, œuvre d'un martyr marcionite, 
étant moins son hétérodoxie que sa hauteur morale, et le 
trait caractéristique de la seconde étant beaucoup moins 
son orthodoxie massive que son inexprimable gaucherie. 
Ajoutons que certains traits de Théophore nous autorisent 
à voir en lui un marcionite assez mitigé sur certains points, 
comme il y en eut d'assez bonne heure, tel Apelles. Mais 
enfin c'était un marcionite, et un marcionite que l'Eglise 
ancienne n'a pas reconnu sous le badigeon catholique dont 
ses lettres avaient été revêtues : il n'a même été reconnu 



1. Cf. Harnack, Marcion, 117*-118*. 

2. Comparer le cas visé dans I Corinthiens, vu, 36-38, supr., p. 60. 



TÉMOIGNAGES INTÉRESSANT l'HISTOIRE DES ÉPITRES 169 

définitivement en nos jours que par le savant d'origine 
catholique dont nous utilisons le travail. A ce savant 
modeste la science libre devrait avoir quelque gré. 

Pas n'est besoin de dire quei le rédacteur catholique des 
lettres pseudo-ignatiennes n'était ni un génie littéraire ni 
un profond théologien. Traditionniste vulgaire, comme il y 
en a eu beaucoup depuis ce temps-là. De ce maladroit inter- 
polateur on pourrait presque se demander jusqu'à quel 
point il a connu l'origine et compris le sens du document 
qu'il voulait, par ses gloses, mettre au niveau de la com- 
mune orthodoxie. Il entendait sûrement compléter cette 
source : avait-il conscience dei la réfuter ? On l'imaginerait 
sans trop de peine découvrant par hasard la correspon- 
dance de Théophore et transformant cet inconnu en martyr 
de l'Eglise pour l'édification des bons chrétiens. Mais aurait- 
il eu l'audace de vouloir changer en parangon d'orthodoxie 
un hérétique avéré ? C'est bien le plus probable, mais le 
certain est que ce faussaire voyait ses opérations avec un 
autre œil que le nôtre. Ce que nous constatons sans amer- 
tume est que l'œuvre d'Ignace-Théophore ne saurait faire 
obstacle aux conclusions suggérées par notre examen des 
Epîtres qui sont entrées dans le Nouveau Testament. Nous 
allons donc maintenant résumer et classer les résultats de 
nos recherches. 



CHAPITRE VII 
Conclusions. 



La meilleure façon de résumer ces conclusions est, en 
effet, de les intégrer dans l'histoire du mouvement chrétien, 
comme nous avions d'abord essayé de le faire dans La Nais- 
sance du Christianisme. La personnalité de Paul ne se com- 
prend pas sans Jésus et les premiers succès de la propa- 
gande chrétienne. La fortune de ses lettres ne se comprend 
pas sans égard à la formation de ce qu'on est accoutumé 
d'appeler la tradition évangélique ; le caractère mixte des 
écrits dits pauliniens et leur acceptation définitive par 
l'Eglise ne s'expliquent pas autrement que par l'effort 
gnostique de la pensée chrétienne en ses premiers temps et 
parla réaction de la grande Eglise contre les débordements 
de la gnose hérétique, spécialement contre la tentative de 
Marcion ; de cette réaction la canonisation des quatre 
Evangiles et des Actes, celle des Epîtres attribuées à Paul 
et de plusieurs des Epîtres dites canoniques fut un des 
principaux résultats. Toutefois il ne peut être ici question 
que d'un bref aperçu historique pour éclairer certains 
points particuliers qui n'avaient pu être qu'indiqués, ou que 
certains lecteurs n'ont pas suffisamment compris, dans 
La Naissance du Christianisme ^. 



1. Cet aperçu aurait tenu en quelques pages, si, dans le temps même 
où nous commencions à le rédiger, une critique, d'ailleurs très bien- 
veillante d'intention, de La Naissance du Christianisme, n'avait paru 
dans la Revue de Vhistoire des Religions (mai-juin 1935), sous la plume 
autorisée de notre collègue et ami M. C." Guignebert, où sont méconnus 
gravement, autant que nous en pouvons juger, le caractère même et la 
réelle signification de notre critique des Epîtres. Nous nous trouvons 



CONCLUSIONS 171 



Jésus n'a pas paru en homme d'école ; c^était un prédica- 
teur populaire, ambulant, comme l'avait été avant lui 
Jean le Baptiseur. Tous deux étaient les prophètes d'un seul 
oracle : « Repentez-vous, parce que le règne de Dieu est 
proche. » Jésus doit probablement son surnom de Nazoréen 
à ce qu'il avait appartenu à ce qu'on appelle, d'ailleurs assez 
improprement, la secte ou l'école de Jean. Nazoréen signi- 
fie, à ce qu'il semble, observant. L'observance la plus carac- 
téristique du groupe était le baptême, c'est-à-dire l'immer- 
sion que Jean pratiquait sur ses adeptes dans le Jourdain. 
Comme l'avènement de Dieu en son règne impliquait la 
disparition des pouvoirs humains qui actuellement gouver- 
naient le peuple de Dieu, Antipas, tétrarque de Galilée, 
s'inquiéta d'un mouvement qui, tout moral qu'il fût en son 
intention initiale, n'en était pas moins d'esprit révolution- 
naire. Jean fut donc emprisonné comme un novateur dan- 
gereux, et bientôt après, peut-être parce qu'une certaine 
agitation se continuait parmi ses disciples, il fut exécuté 
dans sa prison. Cela se passait vers l'an 25 ou 26 de notre 
ère. 

Cet exemple ne découragea pas l'initiative que prit bien- 
tôt Jésus, en des conditions fort analogues, sinon tout à fait 
identiques. A lire les Evangiles, on prendrait Jésus pour un 
prédicateur thaumaturge qui aurait été surtout prédicateur, 
et avec un enseignement assez varié. C'est que les Evan- 
giles représentent d'anciens livrets de l'initiation chré- 
tienne, et que l'on a dû y amplifier l'enseignement de Jésus 
pour les besoins de l'instruction catéchétique. On peut dire 
sans la moindre hésitation que la physionomie réelle, histo- 

ainsi tenu à des explications, qui, sans cette circonstance, ne nous 
auraient pas semblé nécessaires vis-à-vis des personnes doctes, et à des 
reparties directes qui, autrement, nous auraient paru déplacées dans 
un travail de ce genre. Mais le temps nous presse, et nous ne pouvons 
laisser la prescription s'établir sur un jugement que nous croyons avoir 
le droit, aussi le devoir, de discuter dans son ensemble, dans ses 
parties et dans ses preuves. 



172 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

rique,du ministère de Jésus n'y a été que très imparfaite- 
ment conservée. Jésus aura été, avant tout, l'annoncia- 
teur du prochain règne de Dieu, de la restauration d'Is- 
raël dans la justice et la gloire, et il s'est comporté de 
telle sorte que ses fidèles ont pu croire qu'il était ou 
qu'il serait la Messie, le Libérateur attendu ^. Ses disciples, 
après lui, ont pensé que le baptême était le rite néces- 
saire d'introduction au royaume espéré. 

On n'est donc pas fondé à s'autoriser des Evangiles 
pour affirmer que le baptême chrétien ne procède pas 
immédiatement du baptême de Jean, et surtout on n'est 
pas en droit de soutenir que la tradition évangélique 
attribue l'institution du baptême chrétien à Jésus ressus- 
cité, c'est-à-dire que l'institution baptismale n'aurait 
aucune racine dans la carrière de Jésus 2. L'assertion est 
purement gratuite et en contradiction avec les données 
les plus claires de l'histoire évangéhque et apostolique. Un 
seul passage, qui a toute chance de n'être pas authen- 
tique, favorise cette opinion ; c'est Matthieu, xxviii, 19, 
où on lit : 

1. Partant du texte d'Irénée II, 22, 5, où il est dit que tous les 
Anciens qui ont connu Jean professaient que Jean lui-même et d'autres 
apôtres (!) attribuaient à Jésus cinquante ans d'existence terrestre 
(comme il est insinué, d'ailleurs, dans le quatrième Evangile, 11, 20-21, 
et VIII, 57), Turmel, Histoire des dogmes, I, 306, 319r321, affirme hardi- 
ment que le témoignage des Anciens ne saurait être écarté, mais qu'il 
s'applique à Judas de Gamala, dont parle Josèphe, Antiquités, XVIII, 
1, 6, lequel Judas eut la plus grande part au soulèvement occasionné 
par le recensement de Quirinius (an 6 de notre ère), et aurait été, vers 
l'an 30, crucifié par Pilate, après avoir « pendant près de vingt-cinq ans 
prêché dans la Palestine la révolte contre Rome ». Ses disciples, après 
sa mort, l'auraient proclamé Libérateur-Roi = Jésus-Christ. — Tur- 
mel oublie que ce Judas était, de son métier, chef de brigands, non 
prédicateur, et qu'il lui aurait fallu un brevet de la police romaine pour 
prêcher pendant vingt-cinq ans la révolte contre Rome. De plus, il 
néglige de voir que le témoignage d'Irénée est aussi tendancieux que 
possible. Les Anciens sont visiblement ceux qui ont construit de toutes 
pièces la légende de Jean, et, dans la citation d'Irénée, nous les voyons à 
l'œuvre. Tout en ayant l'air de réfuter les gnostiques, ils réfutent, au 
fond, la tradition synoptique touchant la durée du ministère de Jésus, 
et ils étayent la fiction colossale sur laquelle repose l'autorité apos- 
tolique du quatrième Evangile. Cette considération, si elle détruit l'au- 
thenticité johannique de cet Evangile, suffit aussi, semble-t-il, pour que 
s'écroulent d'abord et le témoignage desdits Anciens et la thèse de 
Turmel. Quant à l'identification proposée, elle tombe d'elle-même. 
2. C. Guignebert, art. cit., p. 299. 



CONCLUSIONS 173 

Allez, enseignez toutes les nations, 

[les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit] , 

les instruisant à observer tout ce que je vous ai prescrit. 

Il suffit d'y regarder pour s'apercevoir que la ligne concer- 
nant le baptême fait surcharge à l'égard de la ligne sui- 
vante, qui se rattache à l'ordre d'enseigner toutes les 
nations. De plus, on a depuis longtemps signalé des citations 
d'Eusèbe de Césarée où on lit simplement: « Allez, enseignez 
toutes les nations en mon nom, les instruisant à observer 
tout ce que je vous ai prescrit. » La ligne du baptême est 
vraisemblablement surajoutée dans Matthieu. — La ren- 
contre de la même formule dans la Didaché, vu, ne prouve 
rien, vu que le texte de la Didaché a dû être conformé à 
l'usage devenu traditionnel, tout comme le texte de Mat- 
thieu. — A supposer que celui-ci fût authentique, il prouve- 
rait contre l'antiquité de l'Evangile, vu que la formule trini- 
taire,avec la triple immersion, n'est pas plus ancienne que le 
symbole tripartite qui y correspond. Rien de cela n'est anté- 
rieur au milieu du second siècle. Aussi bien l'idée de faire 
évangéliser l'univers par les disciples galiléens n'est pas 
du tout primitive, les Douze n'étant devenus « apôtres » 
qu'assez tard, dans la légende chrétienne. Traditionnelle- 
ment et historiquement, cela ne compte pas. C'est donc en 
vertu d'une « impression personnelle », dépourvue de tout 
fondement dans la réalité, que l'on voudrait voir dans le 
baptême une institution prescrite seulement par le Christ 
ressuscité, c'est-à-dire, en fait, une institution de l'Eglise. 

Restent tous les témoignages directs, tant des Evan- 
giles que des Actes, qui prouvent contre la thèse que nous 
venons d'écarter. Dans Marc, xi, 27-33, Jésus demande 
aux autorités du temple : « Le baptême de Jean était-il 
du ciel ou des hommes ? » Récit ancien, où il est sous- 
entendu que le baptême de Jean était de Dieu. Dans la 
catéchèse de Marc, premier témoin et base de la tradition 
synoptique, le baptême du Christ par Jean (Marc, i, 9-1 1) 
inaugure l'Evangile. Pris tel quel, et bien que Jésus ait été, 
en fait, baptisé par Jean, le récit n'est pas historique, — 
c'est par divination pure que plusieurs essaient d'en dé- 



174 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

duire les sentiments qu'aurait alors éprouvés Jésus ; mais il 
signifie l'institution du baptême chrétien, il en manifeste le 
caractère, il en donne le mot et l'origine ; quand cela fut 
écrit, cela était clair pour l'évangéliste et pour ses lecteurs» 
Cela est clair encore pour qui veut comprendre, et cela veut 
dire : le baptême chrétien, c'est le baptême de Jean, auquel 
s'est ajouté le don de l'Esprit. Pour l'historien : initialement 
le baptême chrétien est identique au baptême de Jean ; la 
différenciation par le don de l'Esprit est venue après coup^ 
en partie par et pour la différenciation des sectes. Le récit 
évangélique n'est pas sans signification au point de vue de 
la christologie ; mais ce qui, pour l'instant, nous intéresse 
est sa signification par rapport au baptême chrétien. 

Cette signification est gardée dans le quatrième Evangile 
{Jean, i, 26, 33 ; m, 25-27 ; iv, 2 ; vu, 37-39)). Peu importe 
que, dans Jean, iv, 2, l'évangéliste semble redresser m, 
25-27, où il est dit que Jésus baptisait non loin de Jean, — 
en notant que Jésus ne baptisait pas, mais ses disciples; — et 
que, dans vu, 37-39, on observe que l'Esprit ne pouvait être 
donné avant la glorification de Jésus : tout cela n'empêche 
pas que le baptême chrétien ne soit conçu comme étant ori- 
ginairement identique au baptême de Jean. Comme la tra- 
dition chrétienne a voulu trouver, après coup, un principe de 
différenciation dans le don de l'Esprit, et que le don de l'Es- 
prit, on le savait, n'était apparu que dans les groupes chré- 
tiens déjà formés, les recoupements de l'évangéliste, après 
l'aveu de l'identité originelle, sont très faciles à expliquer. 

Et les Actes des Apôtres confirment ce qui vient d'être 
dit. Peut-être n'a-t-on pas assez remarqué que la scène de la 
Pentecôte {Actes, ii, 1-4), à certains égards, fait pendant 
au baptême du Christ : il nous est dit positivement {Actes, 
I, 5) que les disciples ont reçu alors le baptême d'esprit. 
Certains exégètes, un peu trop subtils, en ont conclu qu'un 
baptême d'esprit, sans eau, avait existé en ce temps-là, 
comme si une immersion dans l'esprit eût été un rite prati- 
cable. Ils n'avaient pas suffisamment observé la façon dont 
le rédacteur des Actes comprend le sacrement. Dans la 
scène de la Pentecôte, il est impliqué que les disciples ont 



CONCLUSIONS 175 

reçu un baptême d'eau, celui de Jean, que couronne le don 
de l'Esprit. Ailleurs, il est supposé que Philippe a donné à 
ses convertis de Samarie un baptême d'eau, — chrétien 
pourtant, — et que Pierre et Jean sont venus ensuite don- 
ner l'Esprit {Actes, VIII, 12, 14-16). Il y a le cas de Cornélius, 
sur qui tombe l'Esprit, et à qui Pierre s'empresse d'admi- 
nistrer le baptême d'eau. Il y a aussi le cas d'ApoUos, venu 
à Ephèse, et qui prêchait Jésus, sans connaître d'autre 
baptême que celui de Jean {Actes, xviii, 24-25) ; et le cas 
des douze disciples, à Ephèse encore, qui, baptisés du bap- 
tême de Jean, n'avaient pas ouï parler de l'Esprit saint 
{Actes, XIX, 1-3). Les critiques sont campés devant ces deux 
derniers cas surtout, comme devant d'indéchiffrables 
énigmes. Le fond de tout cela n'est pourtant point obscur. 

Il y a que les croyants de Jésus ont d'abord et pendant 
quelque temps, plus ou moins longtemps, selon les régions, 
pratiqué l'immersion baptismale dans le sens et à la ma- 
nière où Jean l'avait pratiquée, où Jésus lui-même l'avait 
reçue, si toutefois il ne l'avait pratiquée lui-même, et que 
c'est seulement dans les milieux où les manifestations de 
l'Esprit se produisirent, les groupes chrétiens se discrimi- 
nant de plus en plus des Juifs et des sectateurs de Jean, que 
s'affirma l'idée d'un baptême spécifiquement chrétien, 
lequel devait s'administrer au nom de Jésus. Ainsi le chris- 
tianisme ancien ne considérait pas le baptême comme une 
«institution de l'Eglise». C'était un baptême hérité de 
Jean et qu'avait consacré l'Esprit i. 

Jésus n'a pas dû prêcher longtemps en Galilée. Il ne 
l'aurait pas pu, le précédent de Jean nous le montre. Il se 

1. Nous n'avons pas à raconter ni même à ébaucher ici l'histoire 
du baptême chrétien. Il semble résulter de I Corinthiens, i, 12-15, que 
déjà Paul et ses auxiliaires baptisaient au nom de Jésus-Messie ; 
ainsi faisaient sans doute les fondateurs de la communauté d'Antio- 
che, auxquels Paul avait été d'abord associé. Le rapport du don de 
l'Esprit avec le baptême ne sera venu que plus tard, et surtout la colla- 
tion de l'Esprit par la cérémonie spéciale de l'imposition des mains, 
comme la figurent Actes, viii,17, et xix, 6. T^urmel, Histoire des dogmes, 
II, 139-174, attribue à une influence ou plutôt à un travail littéraire 
du montanisme, travail qui se serait imposé à l'Eglise (!), presque tout 
ce qu'on lit dans les Evaftgiles, les Actes et les Epîtres touchant le 
don de l'Esprit ; du montanisme viendraient Matthieu, xxviii, 19, 



176 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

rendit à Jérusalem, parce que son message s'adressait au 
peuple juif et que le règne de Dieu, quand il arriverait, 
devait avoir là le centre de sa manifestation. Venait-il avec 
la certitude d'une mort qui aurait son utilité providentielle 
pour la rédemption de l'humanité ? Plusieurs le croient ; 
nul ne le sait vraiment, et ce n'est pas probable. Il n'y a pas 
lieu d'alléguer la désillusion qui se serait emparée de ses 
disciples s'ils n'eussent été avertis. Ils semblent s'être com- 
portés plutôt comme si l'avertissement n'avait pas été 
donné. Du reste, la mort violente de Jean-Baptiste n'a pas 
empêché ses disciples de garder leur foi à sa mission et de 
former une secte qui a eu quelque durée. Ajoutons que 
la mort ne comptait pas beaucoup pour des gens qui 
croyaient à la résurrection des défunts, et que les disciples 
de Jésus, n'ayant pas contemplé l'horreur de son supplice 
n'en furent pas autant impressionnés qu'ils auraient pu 
l'être s'ils y avaient assisté. Le fait est qu'ils se retrouvèrent 
bientôt eux-mêmes dans leur foi première, en s' affermissant 
dans l'idée que Jésus était pour toujours vivant auprès de 
Dieu et prêt à se manifester en Messie sur la terre dans le 
règne de Dieu. Sans doute avait-il laissé entrevoir lui-même 
quelque pressentiment d'un rôle qui lui appartiendrait dans 
l'instauration de cette divine économie. Il considérait ce 
grand événement comme catastrophique, et ceux qui font 
de lui le prédicateur d'une religion tout intérieure, la foi 
au Dieu Père qui pardonne le péché, se construisent un 
Christ à leur image, sans s'apercevoir qu'un tel Christ 
n'aurait pu exister en ce temps-là, et que s'il avait pu 
exister, on ne voit pas comment il aurait pu, soit trouver 
audience, soit être jugé digne de mort. 

La foi des disciples, orientée vers le règne de Dieu et la 
mission divine de Jésus, ne se départit pas de sa ligne, em- 

l'idée du baptême d'esprit, etc. Exagérations systématiques. Le fait 
est pourtant que le baptême au nom des trois personnes divines ne 
doit pas être antérieur à 150-1 60, ni la collation de l'Esprit par l'impo- 
sition des mains. Mais c'est contre les « spirituels » du gnosticisme que 
l'Eglise s'est affirmée dépositaire unique et dispensatrice de l'Esprit. 
Méditer, à ce sujet, l'échange de propos qu'une fiction d'Actes, viii, 
18-24, suppose entre Simon le Magicien, censé ancêtre de la gnose 
hérétique, et Pierre, censé chef de l'apostolat chrétien. 



CONCLUSIONS 177 

portés qu'ils étaient dans une vision d'en haut. Après quel- 
que oscillation de tous, le plus fervent d'entre eux, Pierre, 
se ranima dans la pensée que Jésus était vivant à Dieu, et 
dans sa foi le vit. Ses compagnons se raffermirent dans 
l'espérance, ils virent aussi, et ainsi se décidèrent-ils à 
retourner à Jérusalem, parce que c'était là qu'il convenait 
d'aller attendre le règne de Dieu et le Christ Jésus. Ils ne 
revenaient pas dans une intention d'apostolat, et ils 
n'étaient d'ailleurs pas préparés ni probablement doués 
pour un tel ministère. Ils attendaient ; mais ils communi- 
quèrent peu à peu leur attente à quelques-uns de ceux 
qu'ils rencontraient dans le temple, Juifs du pays et Juifs 
de la Dispersion. Propagande privée, qui s'encourageait 
elle-même par le succès. Car beaucoup de gens étaient 
sensibles à la grande espérance. C'est un fait, et le succès 
s'explique par le fait. L'enthousiasme de ces pauvres Gali- 
léens fut contagieux, et les résultats furent assez rapides ; 
s'ils avaient été très lents, le feu se serait éteint. 

Donc il y eut bientôt à Jérusalem des croyants hébreux 
et des croyants hellénistes qui ne tardèrent pas à former 
deux groupes distincts dans leur organisation, pour autant 
qu'organisation il y avait, le groupe hébreu demeurant plus 
ou moins figé dans son attente, et le groupe helléniste 
commençant de s'exercer au prosélytisme, cette tendance 
de ses membres étant aussi bien assez commune chez les 
Juifs de la Dispersion. Alors l'un de ces hellénistes, 
Stephanos (Etienne), s'enhardit jusqu'à porter le cas de 
Jésus-Messie devant les synagogues qui étaient ouvertes 
aux hellénistes de divers pays dans Jérusalem. On raconte, 
et il est probable, que cet Etienne, instruit par ses expé- 
riences dans le monde païen, avait osé dire que les pratiques 
spécifiquement juives n'obligeraient plus dans le règne de 
Dieu. Tumulte, procès devant le sanhédrin, condamnation 
d'Etienne ; iljmeurt lapidé. Ses compagnons sont contraints 
à fuir, et c'est le commencement de la propagande en dehors 
de la Judée, plus exactement du territoire judéen qui était 
sous la surveillance immédiate des autorités juives de Jéru- 
salem ; cette propagande ne pouvait manquer d'atteindre 

la 



178 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

non seulement les Juifs de la Dispersion mais aussi la clien- 
tèle païenne de leurs synagogues. 

On a insinué récemment ^ que les compagnons d'Etienne 
pourraient bien n'avoir songé qu'à retourner dans leur 
pays, et que la propagation de la foi au Christ Jésus aura 
été moins rapide que ne l'a dit La Naissance du Christia- 
nisme. Un préjugé tenace, dont nous connaissons l'origine, 
et qui s'impose encore, dans une certaine mesure, à ceux qui 
ne le partagent pas, veut que Paul ait eu l'initiative de la 
prédication chez les Gentils et qu'il ait été, en son vivant, 
presque le seul à convertir des non- Juifs. La Naissance du 
christianisme a voulu ruiner ce préjugé : comme elle n'y a 
pas réussi complètement, nous le combattons encore. Les 
compagnons d'Etienne étaient animés de son esprit ; 
obligés de quitter Jérusalem, ils avaient un autre souci que 
de se mettre en sûreté en rentrant chez eux. Un seul fait 
suffirait à le prouver : ceux qui fondèrent la communauté 
d'Antioche étaient de Chypre et de Cyrène (voir la notice 
générale d'Actes, xi, 19-21, qui les fait prêcher, aussitôt 
que partis, en Phénicie, Chypre et Antioche, et la liste spé- 
ciale des chefs de la communauté antiochienne. Actes, 
XIII, 1). Le même témoignage, qui est puisé à bonne source, 
dit que le succès fut prompt, grâce à l'activité des mission- 
naires. Il est certain, par ailleurs, qu'un groupe chrétien 
existait à Damas lorsque Paul se convertit. Tacite (Annales, 
XV, 44) atteste à sa façon que Rome fut touchée de très 
bonne heure, et il se fit comme chacun sait, un tel tapage 
dans les synagogues de Rome à propos du Christ, que 
l'empereur Claude lança un arrêté d'expulsion contre les 
perturbateurs. Comme il était inévitable, Alexandrie 
aussi fut bientôt atteinte : de là sortit ApoUos, qui porta le 
nom de Jésus à Ephèse avant Paul. 

Ajoutons que l'auteur de La Naissance du Christianisme 
n'est pas le seul ^ à avoir reçu « quelque impression » de la 
Lettre de Claude aux Alexandrins, qui est de l'an 41. La 
raison de cette « impression », c'est que l'an 41, cela fait une 

1. G. Guignebert, art. cit., p. 297. 

2. Il y a aussi Franz Cumont. 



CONCLUSIONS 179 

dizaine d'années après le supplice d'Etienne, un peu plus de 
temps qu'il n'en faut pour aller de Jérusalem à Alexandrie ; 
c'est aussi que la propagande chrétienne, que nous voyons 
avoir été prompte et agissante, n'était pas aussi paisible et 
inofîensive que beaucoup se plaisent encore à l'imaginer. On 
se représente volontiers les missionnaires de Jésus comme 
de bons petits saints pacifiques allant par les synagogues 
ouvrir leur mystique trésor : le Dieu bon offre à tous par 
Jésus-Messie le pardon et le salut. Douce iinage, qui répond 
à celle que nous avons signalée plus haut à propos de Jésus. 
Or il s'agissait de bien autre chose. Le cri qui provoquait 
tant de « tumulte » à Rome et ailleurs, — à travers les récits 
édulcorés des Actes, on peut voir encore que partout où 
Paul portait ses pas, les synagogues ne tardaient pas à entrer 
en ébuUition, — ce n'était pas : « Repentez-vous, pour que 
Dieu vous pardonne », c'était : « Le Messie est venu ; il a été 
crucifié, mais il est ressuscité, et il va venir bientôt en 
gloire et en puissance, il va venir, il va venir ! » Maranatha 
n'est pas un mot de passe, c'est le cri de guerre du christia- ^ 
nisme naissant. Etant données les dispositions de l'âme 
juive en ce temps-là, un tel cri suffisait pour provoquer une 
agitation extrême. A Rome, il fallut sévir. A Alexandrie, où 
la population juive était considérable, la répression d'une 
agitation populaire exigeait d'autres moyens qu'un arrêté 
d'expulsion. Il n'est donc pas du tout impossible, il est 
même assez probable, si ce n'est même vraisemblable, que 
l'effervescence que Claude a voulu réprimer à Alexandrie ait 
eu quelque couleur messianique, occasionnée par la pro- 
pagande chrétienne. 

Paul entre en scène lorsque cette agitation est déjà com- 
mencée en divers lieux et que même les missionnaires d'An- 
tioche ont recruté des prosétytes dans la clientèle païenne 
des synagogues, sans imposer à leurs recrues la circoncision. 
Son premier sentiment envers la nouvelle foi avait été celui 
d'une vive répulsion, qui se traduisit par une violente 
hostilité. Cependant il était de Tarse ; c'était, par consé- 
quent, plus ou moins, un juif helléniste d'éducation, et cette 
circonstance a pu contribuer à sa conversion, sur les condi- 



180 SUR LÀ LITTÉRATURE ÉPlSTOjLAIftE DU NOUVEAU TESTAMENT 

tions psychologiques de laquelle il est oiseux de spéculer, 
n'y ayant là-dessus aucune documentation certaine. ni dans 
les Epîtres ni dans les Actes. Que l'adhésion de Paul à la foi 
de Jésus ait été .finalement déterminée par une vision, le 
fait paraît certain, bien que notre documentation ne per- 
mette pas de préciser les circonstances de cette vision, si ce 
n'est qu'elle se produisit à Damas. L'atmosphère d'enthou- 
siasme mystique qui fut celle du christianisme naissant 
explique la multiplication de ces phénomènes. Une vision 
détermine la foi de Pierre à la résurrection de Jésus. Une 
vision détermine l'accession de Paul à la foi de Jésus ressus- 
cité. Les préliminaires physiologiques et psychologiques de 
ces visions nous échappent nécessairement. Le résultat seul 
nous est acquis. 

D'autre part, notre critique des Actes et des Epîtres nous 
laisse de quoi reconstituer la figure et l'action de Paul pro- 
pagandiste de la foi qu'il avait d'abord combattue. Notons 
d'abord que Paul s'est rallié à la foi et associé à la propa- 
gande des croyants hellénistes qui ont inauguré la prédica- 
tion chrétienne en dehors de la Judée, dispensé des obser- 
vances proprement juives, principalement de la circoncision, 
les païens convertis. Le principe d'un tel recrutement n'a 
pas été posé par lui ; il s'y est rallié avec la fougue qui 
paraît lui avoir été naturelle, soit à Damas, dès sa conver- 
sion, soit à Antioche, quand il eut rejoint dans cette ville 
ceux qui, avant lui, professaient l'admissibilité des Gentils 
au salut, c'est-à-dire au règne de Dieu et d'abord à la com- 
munauté des croyants. Ainsi Paul fut-il associé à Barnabe 
dans la mission de Syrie-Cilicie, que l'Epître aux Galates 
réserve à Paul seul. C'est en conséquence de cette mission 
vraiment apostolique, et soutenue par la communauté an- 
tiochienne, que la question des observances légales se posa, 
des judaïsants venus de Jérusalem ayant inquiété à cet 
égard la communauté d'Antioche. La communauté délégua 
Barnabe, Paul, Tite, pour examiner l'affaire avec les anciens 
de Jérusalem, et la thèse des antiochiens reçut, après déli- 
bération, l'agrément des chefs de la communauté-mère. 
Une lettre conciliante fut écrite en leur nom, que portèrent 



CONCLUSIONS 181 

deux messagers désignés pour accompagùei' lès délégués 
d'Antioche en leur retour au pays de Syrie^. 

Jusque-là Paul n'avait pas exercé de ministère indépen- 
dant. Un incident survenu peu après l'accord de Jérusalem 
l'induisit à entreprendre seul des missions nouvelles. Le 
caractère de l'incident est dissimulé dans les Actes. La 
perspective en est faussée dans l'Epître aux Galates. Il 
peut être vrai en substance que la brouille entre Paul, d'une 
part, et, d'autre part, Pierre, avec Barnabe et les autres 
missionnaires d'Antioche, fut occasionnée par quelque con- 
cession faite aux scrupules des judaïsants, sans que fût 
abandonné pour autant le principe de l'accession des Gentils 
au salut sans la circoncision. On peut suivre dans La Nais- 
sance du Christianisme la carrière de Paul missionnaire 
indépendant, jusqu'au dénouement de son procès à Rome. 
Mais il y a opportunité de s'arrêter ici quelque peu sur la 
conclusion du procès, et d'abord sur le rôle historique de 
Pierre. 

La rédaction des Actes, qui disposait des mémoires de 
Luc, s'est trouvée renseignée sur les missions de Paul, 
par lesquelles est maintenant remplie la dernière partie du 
livre. Ce n'est pas à dire que Barnabe et quantité d'autres 
n'aient, en ce temps-là, continué avec plus ou moins de 
succès l'œuvre de propagande. — Ainsi nous voyons, au 
commencement du second siècle, des groupes chrétiens en 
Bithynie, de formation déjà ancienne, qui ne doivent rien à 
Paul. — Mais Barnabe et ces anonymes n'ont pas eu d'his- 
torien. 

Pierre n'est pas à compter parmi les propagandistes de 
la nouvelle foi en dehors de la Judée. Même l'activité mis- 
sionnaire que la première partie des Actes lui attribue en 
dehors de Jérusalem est purement légendaire. D'après un 
récit (Actes, xii) dont il convient de ne retenir que les don- 
nées générales, il a été emprisonné, au printemps de 44, après 
la mise à mort de Jacques, probablement aussi de Jean, 
par ordre d'Hérode Agrippa* — Les poursuites intentées 
par ce rôi aux chefs du groupe chrétien dé Jérusalem étaient 

1. Cf. La Naissance' du Christianisme, 184, n. 2. 



182 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

sans doute coordonnées à la politique de Claude contre les 
agitateurs juifs. — Pierre échappa « par miracle )> — comme 
disait Mgr Duchesne \ — au supplice qui l'attendait. 
Le récit des Actes (xii, 17) conclut par cette formule réti- 
cente : « Il s'en alla dans un autre lieu. » De Galates, n, 11, 
on peut inférer qu'il s'est rendu alors à Antioche, où il 
s'est trouvé en conflit avec Paul. Le rédacteur des Actes, 
qui ne voulait pas raconter le conflit d'Antioche, se sera 
interdit de conduire Pierre dans cette ville. 

Il paraît certain que Pierre ne fut jamais un grand 
missionnaire, il ne l'est devenu que dans la légende. Et dans 
ce fait, il y a tout le contraire d'un argument en faveur de 
sa venue à Rome. Y est-il jamais venu ? En critiquant les 
lettres de Clément et d'Ignace, nous avons enlevé toute va- 
leur de tradition historique à leur témoignage touchant le 
martyre de Pierre à Rome ^. Ce témoignage est fondé uni- 
quement sur la légende. Mais quelle légende ? Nous venons 
de dire que le rédacteur des Actes s'est tu délibérément sur 
la venue de Pierre à Antioche. Ne serait-ce pas qu'il sous- 
entend un autre « lieu », un « lieu » que connaissaient mieux 
que nous ses lecteurs, familiarisés avec la légende de 
Pierre, et une fiction du même rédacteur ne nous aide- 
rait-elle pas à le deviner ? 

La rencontre de Pierre à Samarie avec Simon le Magi- 
cien (Actes, VIII, 9-24) est pleine de sens, plus que la plupart 
des exégètes récents ne sont disposés seulement à le soup- 
çonner. Certes, il ne s'agit pas maintenant de reconnaître 
Paul derrière Simon le Magicien, comme faisait l'ancienne 
école de Tubingue. Mais on ne devrait pas se dissimuler que 
le rédacteur des Actes entre dans le sillage que suivront ulté- 



1. Histoire ancienne de VEglise, I, 19. Turmel, Histoire des dogmes, 
III, 105, simplifie la question et supprime la venue de Pierre à 
Rome, en supposant que Pierre a été mis à mort, après Jacques et 
Jean, par ordre d'Hérode Agrippa. L'idée n'est pas déjà si mauvaise; 
mais Turmel n'a pas pensé à nous dire comment s'est produit le 
conflit d'Antioche entre Pierre et Paul, 

2. En ce qui regarde Ignace-Théophore, il est douteux, pour le 
moins, que Théophore ait mentionné Pierre dans sa lettre aux Ro- 
mains (iv) ; mais, en toute hypothèse, le témoignage, tardif, dépend 
de la légende et n'a pas la moindre valeur historique. 



CONCLUSIONS 183 

rieurement les apocryphes clémentins. Il connaît l'esquisse 
du roman qui met aux prises le chef des apôtres, — voire le 
chef de l'Eglise, et le premier qui ait ouvert aux païens la 
porte du salut, — avec le père de toutes les hérésies, et de 
ce roman il a conscience de nous dire le premier chapitre. 
On hésite à penser qu'il en ait connu le dernier, c'est-à-dire 
une ébauche du combat final à Rome. On hésite ; mais ne 
fallait-il pas que Pierre vînt à Rome pour primer Paul dans 
le souvenir chrétien, et Simon, dans le roman-légende, 
n'aurait-il pas remplacé Paul, qui d'abord y fut visé ? Dans 
l'hypothèse, ceux qui nient la venue de Pierre à Rome 
auraient cause gagnée. La meilleure raison d'affirmer cette 
venue est l'absence de toute tradition sur la mort de Pierre 
en quelque autre endroit, aussi le manque d'une hypothèse 
plausible pour expliquer la tradition romaine. L'existence, 
vers l'an 125, d'un écrit fondamental de la légende, rédigé 
dans le sens qui vient d'être dit, fournirait l'hypothèse et 
annulerait l'argument tiré du silence de la tradition tou- 
chant le lieu réel de la mort de Pierre. A y bien regarder, ce 
n'est pas pour avoir mal compris une inscription à Semo 
SancuSy que l'apologiste Justin (I Apologie, xxvi) affirme la 
venue et les prestiges de Simon à Rome; c'est pour avoir 
connu une légende conçue en ce sens, qu'il a lu de travers 
l'inscription, mettant Simoni deo sando, à la place de 
Semoni Sanco Deo Fidio. Et tout cela soit dit pour l'orien- 
tation de recherches sur le sujet, non pas en manière de con- 
clusion définitive i. Gardons-nous des « impressions person- 
nelles » qui ne seraient pas solidement documentées ? 

Un mot maintenant sur la condamnation de Paul. On a 
pu lire dans La Naissance du Christianisme (p. 239), en 
manière d'hypothèse : « Ce serait le procès de la propagande 
chrétienne... qui aurait été institué pour la première fois 
dans le cas de ÏPaul, et ce serait cette propagande qui aurait 
été condamnée par un juge romain dans la personne de 
l'Apôtre. » On en a conclu que, selon l'auteur, « ceux qui 

1. On peut voir dans L'Eglise chrétienne, 322-328, comment Renan, 
qui pourtant admettait la venue de Pierre à Rome, comprenait la for- 
mation de la légende. 



184 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

croient à la réalité d'une législation antichrétienne de Néron 
sont dans le vrai ». Or l'auteur dit, il avait pensé dire exac- 
tement le contraire. Il écrit, à propos des victimes de l'an 64 
{La Naissance du Christianisme, 238) : « Tant lès premiers 
accusés que les derniers ont été condamnés comme des cri- 
minels de droit commun, sans qu'il fût besoin de créer une 
loi spéciale contre la nouvelle religion. TertuUien lui-même 
(Ad nationesy i, 7) constate que le précédent de Néron fit 
jurisprudence après lui sans plus de difficulté. La correspon- 
dance de Pline et de Trajan, en 111, ne suppose pas de 
législation particulière contre les chrétiens ; elle implique 
seulement le point de vue établi, on pourrait dire naturelle- 
ment et spontanément, par la force des institutions et des 
mœurs, que la profession de christianisme est, par elle- 
même, punissable de la peine capitale... Le principe : 
Non licet christianos esse, était dans l'air et réglait, un cas 
particulier se posant, la pratique judiciaire, bien qu'il ne 
fût pas écrit formellement dans la législation. » Y a-t-il 
moyen de définir autrement la position juridique du chris- 
tianisme devant l'autorité romaine ? Pas de législation 
spéciale, mais une pratique judiciaire, une jurisprudence 
constante, qui s'était établie, en quelque sorte, d'elle- 
même. 

Mais on voudrait que, jusque vers le milieu du iii^ siècle, 
il n'y ait eu contre les chrétiens que des « pogroms » popu- 
laires, plus ou moins « authentiqués par les autorités 
locales » 1. Cependant, où est le pogrom, dans le procès de 
Paul à Rome, qui s'est déroulé si lentement devant le tri- 
bunal impérial ? Où est le pogrom dans l'affaire de l'an 64, 
que Tacite nous décrit ? Rafles de police, accusation, inter- 
rogatoire, condamnation, tout a l'air de se passer dans les 
formes de la justice. Pas de pogrom dans les cas individuels 
de christianisme qui ont été jugés sous Domitien. Pas de 
pogrom dans l'affaire de Bithynie au temps de Trajan, mais 
dénonciations formelles, individuellement débattues devant 
le proconsul, avec condamnations diverses suivant les cas. 

1. C. Guignebert, art. cit., p. 298. 



CONCLUSIONS 185 

Pas de pogroms dans les cas particuliers que cite la seconde 
Apologie de Justin ni dans le procès de Justin lui-même. 
L'affaire de Lyon, en 177, paraît avoir commencé par un 
pogrom, mais le procès suivit une marche régulière, inter- 
rompue par un recours à l'empereur, le sage Marc-Aurèle ; et 
l'empereur ayant répondu dans le sens où jadis Trajan 
avait répondu à Pline, le procès reprit son cours et se ter- 
mina par les condamnations et exécutions légales. Dans ces 
conditions, il paraît difficile d'affirmer que les pogroms seuls 
ont déterminé la situation juridique du christianisme 
devant les tribunaux romains jusque vers le milieu du 
III e siècle. Revenons à notre sujet. 

II 

Paul n'était pas un écrivain professionnel. S'il a écrit 
quelques lettres aux groupes chrétiens qu'il avait réussi à 
* créer, c'est quand un intérêt moral de tel groupe ou une 
circonstance particulière réclamaient son intervention. 
Comme type de lettres de circonstance, nous avons les deux 
billets concernant la collecte, qui ont été conservés au mi- 
lieu de la Seconde aux Corinthiens : ces deux billets n'ayant 
pu être expédiés en même temps, c'est donc l'analogie de 
leur contenu qui les a fait loger ensemble dans la compila- 
tion de l'Epître (et quel critique oserait ici nier la compi- 
lation ?). Aussi lettres de direction et d'amitié : ainsi 
les deux billets-lettres, rassemblés dans l'Epître aux Philip- 
piens, que le caractère de leur contenu et l'identité de leur 
destination ont fait compiler de même en une seule lecture. 
La portion authentique de la Première aux Thessaloniciens a 
été dictée par une opportunité morale, Paul s'étant proposé 
d'affermir dans la foi une communauté hâtivement rassem- 
blée, dont il avait pu craindre un défaut de persévérance. 
De même, la Première aux Corinthiens contient les éléments 
d'une lettre qui a été moralement nécessitée par les divisions 
qui s'étaient produites dans la communauté, et que Paul 
aurait voulu faire cesser. Dans la Secondé aux Corinthiens 
nous avons trouvé deux lettres que Paul avait Jugé indis- 



186 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

pensable d'écrire : l'une, engagée dans la compilation des 
derniers chapitres, avait été rédigée sur un ton assez sévère, 
après une visite à Corinthe où Paul avait éprouvé un insuc- 
cès cuisant ; il tentait de ramener vers lui la communauté, 
faisait son apologie et fixait les conditions dans lesquelles 
pourrait s'effectuer une nouvelle visite ; l'autre, presque 
noyée dans la première partie de l'Epître, était une lettre de 
réconciliation où Paul félicitait les Corinthiens pour les 
résultats obtenus par l'intervention de Tite et se réjouissait 
avec eux dans cet apaisement. Ce qu'il y a d'authentique 
dans l'Epître aux Romains constitue une véritable lettre, 
complète en elle-même et homogène, où Paul justifie son 
ministère auprès des Gentils de façon à se ménager parmi 
les chrétiens de Rome un accueil favorable quand il viendra 
chez eux après avoir porté aux saints de Jérusalem la col- 
lecte qu'ont préparée les croyants de Macédoine et d'Achaïe. 
Enfin l'on sait l'objet du billet à Philémon. Les éléments qui 
semblent primitifs dans l'Epître aux Galates forment un 
ensemble moins cohérent que ceux de l'Epître aux Romains; 
encore est-il qu'il y manque fort peu de chose, si peu que 
rien, pour constituer un plaidoyer contre la nécessité de la 
circoncision pour le salut, et que ce plaidoyer, parallèle à 
celui que l'on trouve dans l'Epître aux Romains, mais en 
rapport avec des circonstances toutes différentes, est en par- 
faite harmonie avec l'opportunité du moment. Somme toute, 
nous avons là toute une série de documents pleinement 
intelligibles en eux-mêmes et par rapport à la situation 
réciproque de Paul et de ceux à qui ces divers messages ont 
été adressés. 

Mais on nous demande pourquoi l'on a gardé dans les 
Eglises «les pauvres billets et les lettres squelettiques » aux- 
quels notre a scalpel réduit l'Apostolicon authentique ^ ». 
D'abord, il ne s'agit pas de « pauvres billets » ni de « lettres 
squelettiques », il s'agit de simples écrits, formant chacun 
un tout proportionné à sa destination. Les billets ne sont pas 
«pauvres» pour cela, ils sont naturels ; ni les lettres «sque- 
lettiques », elles disent tout ce qui convenait à la circons- 

1. G. Guignebert, art. cit., p. 301. 



CONCLUSIONS 187 

tance. Une lettre, après tout, même une lettre d'apôtre, 
n'est pas obligée, pour mériter son brevet d'authenticité, 
d'être un pot-pourri de gnoses et de moralités, comme l'est, 
sauf respect, l'Epître aux Romains, et comme le sont, sauf 
respect toujours, les deux Epîtres aux Corinthiens. 

Il ne faudrait pas non plus mettre si facilement en cause 
les Eglises. Est-ce que toutes les Eglises ont reçu tous les 
billets et toutes les lettres ? Ces écrits étaient-ils à si grand 
tirage ? On ne saurait trop rappeler ici la condition des 
écrits évangéliques. Qui dénombrera les étapes par les- 
quelles ont passé les diégèses primitives avant de se cristal- 
liser dans la rédaction canonique des trois premiers Evan- 
giles ? Et la rédaction même de l'Evangile johannique n'a- 
t-elle pas connu plus d'un remaniement ? Qui nous dira les 
aventures qu'a connues la péricope de l'Adultère (Jean, 
VII, 53-viii, 11) avant de choir dans le quatrième Evangile? 
A ce compte, le Nouveau Testament serait, il est plein de 
« squelettes » mal identifiés. Les lettres et billets de Paul 
n'étaient pas confiés à la garde de toutes les Eglises ; ils 
ont été d'abord confiés à la garde de leurs destinataires, et 
il est bien probable que tous n'ont pas été conservés. De 
ceux qui n'ont pas péri nous ne pouvons reconstituer l'his- 
toire que par conjecture. 

Ce que nous savons, c'est que le recueil traditionnel des 
Epîtres de Paul n'a gagné qu'assez tardivement considéra- 
tion dans toutes les Eglises ; que le recueil s'est formé dans 
certaines mains, qu'il s'est amplifié dans un certain milieu, 
sous l'empire de certaines circonstances et qu'il n'a pris sa 
forme définitive qu'assez tard. On n'a pas motif de faire 
intervenir les Eglises au point de départ de leur histoire. 
Le premier recueil n'a pas été d'abord, il n'est venu qu'assez 
tard aux mains de toutes les Eglises. Il s'est formé, ou s'est 
trouvé formé, dans des conditions qui nous échappent, — 
le miracle serait que nous en fussions instruits, — en un 
milieu spécial, dévoué à la mémoire de Paul et qui a ex- 
ploité ce que nous pouvons appeler sa succession littéraire. 
Le dépôt n'en a peut-être jamais été chez Carpus à Troas, 
comme l'assure la Seconde à Timothée (iv, 13), mais ce 



188 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

doit être en Asie qu'il exista, Paul ayant laissé là des dis- 
ciples, peut-être quelques compagnons de son apostolat. 

« Comment tout cela a-t-il pu jouir d'assez de considéra- 
tion pour servir de cadre à l'étonnant enrichissement doc- 
trinal que le Corpus paulinien nous a transmis ? i » — Va 
pour « l'étonnant enrichissement doctrinal », bien qu'il soit 
fort mêlé et de valeur inégale. Mais qui nous dira comment 
l'Evangile « squelettique » de Marc a pu jouir d'assez de 
considération pour servir de cadre à « l'étonnant enrichis- 
sement doctrinal » que les Evangiles dits de Matthieu et de 
Luc nous ont transmis ? Sans doute parce que c'était l'Evan- 
gile, qu'on n'avait pas grand choix de cadres, et qu'il était 
commode d'utiliser celui-là pour un élargissement de la 
catéchèse cultuelle dans les communautés. On adaptait 
sans cesse l'enseignement de Jésus, — devenu enseignement 
sur Jésus, — aux besoins spirituels de la chrétienté. De 
même les détenteurs de nos petites lettres, qui les gardaient 
pieusement, trouvèrent opportun de faireparler Paul comme 
il convenait, selon eux, à l'édification des croyants, en am- 
plifiant les « pauvres billets » et les « lettres squeletti- 
ques », les chargeant d'enseignements divers, et composant 
même de nouvelles lettres à côté des anciennes, où, avec la 
meilleure volonté du monde, on ne pouvait tout loger. Le 
procédé était classique en Israël depuis les temps où s'éla- 
boraient les Ecritures de l'Ancien Testament ; le judaïsme 
alexandrin s'en était largement servi ; et le christianisme 
naissant cultiva cet héritage. Ainsi l'enrichissement doc- 
trinal que représente le Corpus paulinien n'est pas tellement 
« étonnant » ; c'est une illustration particulière d'une mé- 
thode générale dont la fécondité n'a été, comme chacun 
sait, endiguée, à peu près, que par la fixation du canon 
néotestamentaire. Et ce disant, nous n'exprimons certes ni 
la moindre découverte ni une « impression personnelle »; 

« Pourquoi des lettres réputées artificielles sont-elles si 
mal construites ? » — Hé ! c'est parce qu'elles sont artifi- 
cielles. Les compléments n'ont pas été ajoutés en une seule 

1. C. Guiguebert, loc. cit. 



CONCLUSIONS 189 

fois ni par les mêmes mains, mais en divers temps et 
par divers rédacteurs. Il y a des interpolations qui crèvent 
les yeux, à moins qu'on ne les tienne résolument fermés, par 
exemple, l'intrusion du cantique de l'amour (I Corinthiens, 
xiii) dans la leçon sur les charismes (I Corinthiens, xii, 
xiv), l'intrusion de la leçon sur le voile des femmes (I Corin- 
thiens, XI, 3-16) dans l'instruction sur la tenue de la cène 
(I Corinthiens, xi, 2, 17-34). Certains amalgames ne se dis- 
cernent qu'avec un peu plus d'attention et par un examen 
tout désintéressé, par exemple la façon dont la théorie 
mystique du salut a été ajustée à la théorie eschatologique 
dans l'Epître aux Romains. Mais de telles combinaisons 
sont la monnaie courante de la littérature biblique. Les 
gaucheries de nos compilations évangéliques, pour ne pas 
remonter jusqu'au Pentateuque, ne sont-elles pas innom- 
brables ? 

« Et n'est-il pas étonnant que de ces gnoses pseudo-pauli- 
niennes du ii^ siècle nous ne sachions rien ; j'entends rien 
quant à leurs origines et à leur entrée dans la croyance com- 
mune, en doublure de la régula fidei ^ » — Hélas ! cet étonne- 
ment n'a pas l'air de soupçonner combien il est surprenant I 
Où était donc la régula fidei avant l'an 150 ? Elle était 
Lien élastique, la régula fidei qui a recommandé aux Eglises 
le Pasteur d'Hermas ! Que ne demande-t-on son nom à 
l'auteur de l'Epître aux Hébreux ? Ce nom, on ne le con- 
naîtra probablement jamais. Pourtant l'Epître existe ; 
elle n'a pas été construite dans l'ignorance des gnoses 
pseudo-pauliniennes, et elle n'en tient pas compte. Elle a 
fmi par entrer dans le canon ; mais si un critique croyait pou- 
voir dire qu'elle est entrée dans la croyance commune, celui- 
là ferait preuve d'un singulier aveuglement. On a pu voir 
quelle était la doctrine christologique de l'auteur : de cette 
christologie presque rien n'a été retenu dans la croyance 
commune, et il en reste assez peu de traces dans la théo- 
logie traditionnelle. 

Il en reste une, très remarquable, mais qui semble avoir 

1. G. Guignebert, loc. cit. 



190 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

été peu remarquée, dans la liturgie catholique. On ne la cite 
ici que pour montrer combien l'argument d'orthodoxie est 
délicat à manier, surtout pour les personnes qui n'en ont 
pas l'habitude. Et donc, dans la prière Supplices, qui, au 
canon de la messe romaine, tient lieu de Yépiclèse, la prière 
consécratoire dans les liturgies orientales, on prie Dieu de 
faire porter l'oblation de pain et de vin par son ange sur 
l'autel du ciel, afin que ceux qui sont sur le point d'y com- 
munier reçoivent avec le corps et le sang de Jésus-Christ 
toute bénédiction céleste. C'est un écho de l'Epître aux 
Hébreux, où l'on voit (x, 19-20) le Christ-esprit apporter à 
l'autel du ciel l'offrande de son propre sang ; mais, comme, 
depuis des siècles, les théologiens catholiques placent la con- 
sécration dans les paroles de l'institution, qui précèdent la 
prière Supplices, ils négligent de voir que la prière a eu 
d'abord un sens consécratoire et qu'elle faisait opérer par 
sa propre vertu la consécration sur l'autel d'en haut ^. 

Les gnoses insérées dans les Epîtres de Paul sont dans les 
mêmes conditions que celle de l'Epître aux Hébreux, nées 
d'auteurs inconnus (comme tant de sectes gnostiques), 
énoncées sans souci de conformité avec une orthodoxie qui, 
en fait, n'existait pas encore ; et quand les Epîtres de Paul 
furent entrées dans le canon, l'orthodoxie ferma les yeux 
sur ce qui ne lui agréait pas ou en détourna le sens. Il en 
va de même pour les Evangiles : est-ce que les généalogies 
du Christ n'ont pas été construites pour établir que Jésus 
descendait de David par Joseph ? Et n'y a-t-il pas aussi 
bien dans les Synoptiques (Marc, xii, 35-37, et parallèles) 
une péricope où il est péremptoirement démontré que le 
Christ n'avait pas besoin d'être fils de David ? 

Est-il nécessaire d'ajouter que les autres Epîtres dont 
nous avons eu à nous occuper se sont présentées dans les 
mêmes conditions que celles qui ont été attribuées à Paul ; 
elles aussi se sont recommandées d'un nom qui ne leur 
appartenait pas, et souvent elles affectaient des opinions que 
la tradition n'a point retenues. Les Pastorales n'ont presque 

1. Cf. supr., p. 112, n. 1. 



CONCLUSIONS 191 

rien, si toutefois elles ont quelque chose, d'authentique. 
Elles se sont glissées dans le recueil paulinien à la faveur 
du crédit qu'avait déjà obtenu la première collection ; on 
ne leur a pas tenu rigueur de leur modalisme ni de tel pro- 
pos sur le Christ « justifié en esprit » (I Timothée, m, 16), 
qui ne s'accorde pas très bien avec la résurrection corporelle 
de Jésus. L'Epître de Jacques n'était pas de Jacques, et on 
lui a pardonné son offensive directe contre la doctrine 
de Paul sur la justification par la foi seule. La Première de 
Pierre n'était pas de Pierre ; on lui a néanmoins fait fête 
parce qu'elle magnifiait le prince des apôtres, censé fonda- 
teur de l'Eglise romaine, et l'on a laissé tomber doucement 
son admirable mythe de la prédication du Christ-esprit aux 
esprits qui étaient en prison depuis les jours du déluge, et 
aux âmes des hommes qui étaient morts avant la venue du 
Sauveur. La seconde de Pierre était encore moins, si pos- 
sible, de Pierre que la première; on ne dira jamais assez que 
c'était un faux des plus audacieux ; elle finit pourtant par 
entrer dans le canon, quand on eut oublié qu'elle procédait 
d'un apocryphe abandonné pour sa trop flagrante incom- 
patibilité avec les Evangiles canoniques. L'Epître de Jude 
n'était pas de Jude, et elle fut agréée malgré son insigni- 
fiance et les citations d'apocryphes dont était émaillée sa 
brièveté. On a vu comment furent acceptées, au me siècle, 
les lettres d' Ignace-Théophore, qui n'étaient pas tout à fait 
de Théophore et qui n'étaient pas du tout d'Ignace ; elles 
firent leur chemin en dépit de leur hérésie profonde, parce 
qu'elles exaltaient l'épiscopat et qu'elles avaient pris un 
vernis d'orthodoxie. N'ont-elles pas dupé jusqu'aux savants 
modernes (elles fournissaient un abri si commode, si avan- 
tageux, pour la littérature du Nouveau Testament !), et tant 
s'en faut qu'ils soient tous revenus de leur méprise. On peut 
prévoir même que d'aucuns n'en reviendront pas de sitôt. 
Après tout, les quatre Evangiles aussi furent canonisés, 
bien qu'aucun d'eux ne fût de l'auteur apostolique à qui 
on l'attribuait, parce qu'ils portaient des noms respectables, 
qu'ils étaient en possession de l'usage ecclésiastique, et que 
l'on passait sur les incohérences et contradictions dont cha- 



192 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

cun était pourvu, sur les contradictions non moindres qui 
subsistaient entre eux. L'orthodoxie existait à peine avant 
l'an 150 ; quand elle eut essayé, entre 150 et 180, de se don- 
ner consistance, elle garda encore longtemps des maillons 
assez élastiques pour n'être pas gênée de son propre con- 
tenu. Il faut bien reconnaître pourtant que son canon du 
Nouveau Testament était, à certains égards et dans une 
certaine mesure, un recueil d'hérésies mortes ou en sommeil, 
dont quelques-unes devaient se réveiller au cours des âges. 
On avait commencé par trouver que ces contradictions des 
écrits canonisés n'étaient « ni si évidentes, ni si inexpli- 
cables », et n'est-il pas vrai que cette heureuse disposition 
subsiste encore chez beaucoup de leurs conmientateurs ? 
Pour ne pas sortir de notre sujet, rappelons-nous que, si 
les lettres de Paul ont mis un certain temps à devenir les 
Epîtres que nous connaissons, elles mirent aussi un certain 
temps, on pourrait dire presque le même temps quelque peu 
allongé, à gagner le crédit où nous les voyons s'élever à par- 
tir de Marcion, qui sans doute fut le premier à les canoniser 
formellement. Nous avons pensé constater qu'elles avaient 
été gardées d'abord en Asie, à Ephèse et dans la région, 
mais nous avons constaté aussi bien qu'à Ephèse même elles 
étaient combattues. Ici l'Apocalypse de Jean est notre 
témoin irrécusable. Dans leur pays d'Asie, la majorité des 
chrétiens était contraire à nos Epîtres. Il est probable 
cependant, pour ne pas dire certain, que, peu après l'Apo- 
calypse, un accord fut réalisé, et l'héritage de Paul accepté 
de façon à pouvoir être divulgué dans les communautés. 
Ce dut être fort peu de temps avant Marcion. Et le crédit ne 
suivit pas tout à fait la diffusion. L'auteur d'Hébreux, qui 
connaît les principales Epîtres, se comporte comme s'il 
pouvait se flatter de les remplacer ; le pseudo-Jacques les 
réfute avec modération, mais ouvertement. Justin, qui n'a 
pu les ignorer, semble les avoir goûtées fort peu. Leur in- 
fluence a été assez limitée sur la gnose hérétique, en dehors 
de Marcion. Même en Asie, dans cette Asie qui, en un mo- 
ment décisif a dû les patronner, ce n'est pas la gnose de 
Paul qui domine la pensée chrétienne, c'est la gnose johan- 



CONCLUSIONS 193 

nique, et c'est le nom de Jean, — bien que cet apôtre ne 
soit jamais venu à Ephèsê, — qui prime dans le souvenir 
chrétien, celui de Paul. Paul n'est pas même nommé dans 
la lettre de Polycrate à Victor, où sont énumérées les gloires 
chrétiennes de l'Asie. Est-ce que ce silence est dépourvu 
de toute signification ? 

Ajouterons-nous que la gnose de Paul a peu pénétré la 
théologie chrétienne de l'Orient, et que c'est surtout saint 
Augustin, en attendant Luther et Calvin, sans parler de 
Jansénius, qui a fait sa fortune en Occident. Peut-être 
même, — que l'on nous pardonne Cette digression, qui n'en 
est pas tout à fait une, et qui ne veut pas être un blas- 
phème, — peut-être est-ce encore l'ombre de Luther et 
de Calvin qui protège les Epîtres dé Paul contre les entre- 
prises de la critique, plus efficacement qu'elle n'a protégé 
même les Evangiles. 

Sans doute n'est-il pas trop inopportun, en terminant 
cette étude d'examiner un dernier grief qui a été soulevé 
contre notre critique des Epîtres. On serait, parâît-il, obligé 
de « reconnaître que dans le dépeçage fondamental », — 
« le dépeçage », si dépeçage il y a, des Epîtres, tel qu'il a été 
indiqué dans là Naissance du Christianisme^ — « la part des 
impressions personnelles reste énorme » — le mot est fort, 
nous en ferons justice, = — « et qu'on peut réagir autrement 
devant tel ou tel texte ». — Cela est hors de doute. — « Il 
en va, dans une très large mesure, de même au regard de 
l'appréciation des différences qui opposent les divers mor- 
ceaux. Elles ne me paraissent ni si évidentes ni si inexpli- 
cables. » — L'évidence est chose subjective, au moins en 
partie ; quant aux: explications. Ton n'a qu'à choisir la plus 
probable. — « Comment donc, si une Epître de Paul n'est 
qu'une gauche compilation, s'explique cet irrésistible mou- 
vement qui m'emporte si je la lis à haute voix d'un seul 
trait ? D'où vient ce pedus dont aucune rocaille, aucune 
brousaille n'a raison ? ^ » 

Lire à haute voix d'un seul trait l'Epître aux Romains, 
ou l'une ou l'autre des deux Epîtres aux Corinthiens, 

1. C. Guignebert, art cit., pp. âÔ0-3Ôl. 

i3 



194 SUR LA LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE DU NOUVEAU TESTAMENT 

juste Ciel ! c'est un record magnifique, osons dire magna- 
nime, pour lequel, avouons-le, il faut être doué d'un solide 
pedus. Le souffle puissant du lecteur est sûrement pour 
quelque chose dans « l'impression » que lui donne la lec- 
ture. Et puis qu'est-ce que cela prouve ? Qu'une certaine 
unité d'esprit règne dans la compilation. N'en est-il pas de 
même pour les Evangiles, et cela démontre-t-il l'unité 
d'origine de toutes les péricopes ? Les généalogies du Christ 
en sont-elles plus authentiques, et ne seraient-elles pas, 
dans les Evangiles, une « broussaille », c'est-à-dire, disons-le 
tout bas pour éviter le scandale, un fatras superflu ? N'en 
trouverait-on pas aussi, sans mauvaise volonté, quelque peu 
dans les Epîtres ? Va-t-on, pour nous guérir des « impres- 
sions personnelles », nous obliger à professer, en toute 
conscience d'objectivité, que Jésus a prononcé lui-même 
et d'un seul trait le Discours sur la montagne tel qu'il 
est relaté dans Matthieu ? Ce serait inepte et ridicule. 
Et pourtant ne serait-il pas plus facile encore, en lisant 
tout haut le Discours, qu'en lisant l'Epître aux Romains 
ou l'une ou l'autre des Epîtres aux Corinthiens, d'être 
emporté par un « irrésistible mouvement », d'autant qu'il 
y a là un « pedus dont aucune rocaille, aucune broussaille » 
ne compromet l'effet ? Y aurait-il en critique biblique 
deux méthodes, l'une plus large et plus compréhensive, 
applicable aux Evangiles, l'autre plus étroite et moins 
pénétrante, qui devrait être appliquée aux Epîtres de Paul, 
afin d'honorer par un si touchant hommage, la mémoire du 
grand Apôtre ? 

Pour en finir avec les « impressions personnelles », disons- 
le sans hésiter, c'est de cela que nous vivons tous, à moins 
que ce ne soit de préjugés. L'auteur de La Naissance du 
Christianisme n'a pas le monopole de ces « impressions », 
et on ne lui oppose, en réalité, pas autre chose que des 
«impressions personnelles». Il convient seulement de savoir 
en quelle mesure sont exactes les unes et les autres. La 
critique biblique, comme toute critique scientifique, histo- 
rique, littéraire, est l'application de l'esprit à des expé- 
riences, des documents, des textes donnés, dont on essaie de 



CONCLUSIONS 195 

percevoir la vraie signification. La signification que recèlent 
les textes bibliques est la réalité qu'il s'agit, pour nous, de 
pénétrer. « L'impression » qui résulte de ce contact est ce 
qu'elle peut être d'après les qualités et la préparation de 
l'intelligence qui s'applique à les percevoir, aussi d'après 
sa lucidité dans le moment où se réalise son application au 
sujet. La photographie vaut ce que vaut l'instrument qui la 
saisit. Valeur relative, limitée, incontestablement. Mais 
ces conditions existent pour tous les exégètes, et non seule- 
ment pour Fauteur de La Naissance du Christianisme. 
C'est pourquoi celui-ci ose penser, il ose dire hautement, que 
ceux qui lui reprochent de publier des « impressions person- 
nelles » ne font pas autre chose que de donner ^eux-mêmes 
au public leurs propres « impressions ». Ce que valent ces 
impressions divergentes, ce n'est pas à lui d'en juger pour 
ce qui le concerne, non plus à ceux qui lui font grief, pour 
ce qui les regarde. A chacun de connaître, s'il le peut, ses 
propres limites, pour les étendre, et, autant qu'il peut, ne 
dépasser pas l'évidence dans ses conclusions. 

Le problème qu'on a essayé d'examiner ici n'est pas de 
ceux qu'un seul homme peut se flatter de résoudre ou seu- 
lement d'orienter de façon définitive. Encore est-il que l'on 
n'avance à rien, si l'on n'apporte des explications meil- 
leures, et qu'on ne disqualifie pas réellement, en la traitant 
d'impression personnelle, une opinion qui déconcerte les 
idées reçues, quand cette opinion s'appuie sur des preuves 
et sur une expérience réelles. C'est vers l'objet qu'on doit 
se retourner pour tâcher, si possible, d'y voir plus clair ; 
et c'est là que nous donnons sans crainte rendez-vous à 
nos critiques. 



TABLE DES MATIÈRES 



Pages 
Avant-propos 5 

Les Epîtres attribuées à Paul, et les Epîtres dites catho- 
liques, 5, — Comme quoi les Epîtres sont autre chose que des 
pièces de correspondance, 5. — Complexité de la question, 5. 
— Ce que l'auteur en avait dit dans La Naissance du Christia- 
nisme (1933) n'ayant pas toujours été bien compris, il reprend 
le sujet, 6. — Note sur les travaux de J. Turmel (H. Dela- 
fosse), 6. 

Chapitre premier. — Deux théories du salut 9 

Deux théories du salut sont nettement discernables dans 
l'Epître aux Romains, 9. 

I. — La théorie eschatologique. Son énoncé, 9. — Le déve- 
loppement de la théorie. La foi d'Abraham, incirconcis, père 
des croyants, juifs et païens, 10. — ■ Ce que l'on doit à Israël, 
11. — Le secret de l'élection providentielle, 11. — L'objet de 
la foi, 12. — Caractère provisoire de la réprobation d'Israël, 
13. — Conclusion de la théorie eschatologique, 13. — Morceaux 
de la même théorie dans l'Epître aux Galates. La participa- 
tion des Gentils à la bénédiction d'Abraham, 14. — L'élection 
providentielle. Le cas d'Isaac et d'Ismaël, 15. — Equilibre et 
cohésion de la théorie eschatologique, 16. 

II. — Caractère adventice de la théorie mystique, 16. — 
Elle diffère de / la théorie eschatologique par la forme même 
de son développement, 16. — L'énoncé de la théorie mys- 
tique dans Romains, m, 25-26, 17. — La justice et la foi y 
sont autrement comprises que dans la théorie eschatologique, 
18. — Comment le péché et la mort sont entrés dans le monde, 
et à quoi sert la Loi, 19. — Les deux Adam, le pécheur et 
le sauveur, 20. — Comment le croyant, dans le baptême, I 
est associé à la mort et à la résurrection du Christ, 21. — Con- 
séquences morales de cette régénération, 22. — Correctif ap- 
porté au système, 23. — Comment le péché a été « condamné 
dans la chair » par la mort du Christ, 24. — Comment la 
nature est associée à la régénération de l'humanité, 25. — 
L'enthousiasme de l'espérance, 26. — La surcharge de i, 
I8-111, 20, 25. — La gnose de l'Epître aux Galates, 27. 



TABLE DES MATIÈRES 197 

m. -^ Caractère secondaire des instructions morales qui 
viennent à la fin de l'Epître aux Romains, 28. — Le bloc du 
chapitre xii, 30. — Caractère adventice et tardif de xiii, 1-7, 
l'obéissance aux pouvoirs établis, et de xni, 8-10, la leçon de la 
charité, 30. — Obscurité de xiv-xv, 7, qui n'est pas en rapport 
avec les observances pascales, mais avec certaines pratiques 
d'abstinence, 31. 

Chapitre II, — Le double personnage de Paul 33 

Le personnage mystique de Paul apparaît surtout dans 
l'Epître aux Galates et dans les deux Epîtres aux Corin- 
thiens, 33. 

I. — Comment on a expliqué jusqu'à présent les prétentions 
du Paul mystique, 33. — Comment il parle dans Galates, i, 1-3, 
34. — Rappel des conditions historiques dans lesquelles Paul 
est devenu apôtre, 35. — Comme quoi l'Evangile du Paul mys- 
tique « n'est pas selon homme », 36. — «Comment se fit la révé- 
lation unique de cet Evangile, 37. — L'interpolation de 
Galates, i, 18-20, 38. — Ce que fut en réalité la mission de Syrie- 
Cilicie, 40. — Travestissement des conditions dans lesquelles 
Paul est venu à Jérusalem pour l'affaire des observances 
légales. Omission du nom de Barnabe dans la relation originale, 
40. — La mention de Tite, 41. — La prétendue attribution du 
monde juif à Pierre et du monde païen à Paul, 42. — Comment 
le porte-parole du Paul mystique, tout en altérant la physio- 
nomie historique de son personnage, se trouve mieux informé 
ou plus exact que la rédaction des Actes sur la chronologie des 
faits, 44. 

II. — Comment le Paul mystique vient en surcharge dans I 
et II Corinthiens, 45. — Le thème historique de I Corinthiens, 
indiqué dans i, 4-16. 45. — L'accrochage de i, 17-iv, 16, 45. — 
La parole de la croix, vraie sagesse », 46. — La vraie sagesse est 
pour les « parfaits », et « les princes de cet âge ne l'ont pas 
connue », 46. — Les Corinthiens n'auraient pas été capables 
de l'entendre, ainsi que l'attestent leurs divisions. Singulière 
équivoque de la perspective, 47. — Portrait idéal du véritable 
apostolat, apostrophe du Paul mystique à ses convertis, 49. 

m. — Le Paul mystique dans II Corinthiens. Eléments 
d'une lettre authentique dans i-ii, 13, 49. — Eloge dithyram- 
bique du véritable apostolat (ii, 14-vi, 13). Les « trafiquants de 
la parole de Dieu », 50. — L'alliance de It lettre et l'alliance 
de l'esprit, 51. — « Le dieu de cet âge », 52. — La régénération 
de l'homme intérieur, qui ne connaît plus personne selon la 
chair, pas même le Christ, 52. — « Dieu était dans le Christ 
se réconciliant le monde », et à ce ministère de réconciliation 
le Paul mystique est associé, y allant de tout son dévouement, 
53. — Second panégyrique ou apologie personnelle entremêlée 
dans la dernière partie de l'Epître avec les fragments d'une 
lettre authentique, 54. — Paul (x-xiii) ne se croit en rien 



198 TABLE DES MATIÈRES 

inférieur aux superapôtres, qui sont de « faux apôtres », 54. — 
Ce qu'a été sa carrière, 55. — Un porte-parole de Paul combat 
ici violemment les porte-parole des superapôtres, 56. 

Chapitre III. — Morceaux détachés de I Corinthiens 58 

Examen nécessaire de quelques morceaux importants, 58 , 

I. — La leçon sur le mariage et la virginité. Singularité 
de la perspective, 58. — Les déclarations fondamentales sont 
en faveur de la continence, 59. — Le divorce, 59. — Le cas 
du frère gardien d'une vierge ; celui de la veuve qui se remarie, 
60. 

II. — Groupement artificiel, sous la même introduction (xi, 
2) d'une instruction sur le voile des femmes (xi, 3-16) et de 
l'instruction sur la tenue de la cène (xr, 17-34). 60. — Perspec- 
tive équivoque de cette dernière instruction, 61. — Surcharge 
dans XI, 18-19, 61. — Le désordre que l'auteur voudrait faire 
cesser (xi, 20-22) cache sa réelle intention, 62. — Recomman- 
dation de la cène mystique par l'institution formelle du Christ 
(xi, 23-26), 63. — Le cadre de la cène eschatologique, 63. — 
Une opinion sur le texte qu'aurait établi Marcion, et sur l'addi- 
tion, qui y aurait été faite par un catholique, des paroles con- 
cernant le corps et le sang du Christ, 64. — Critique de cette 
thèse, 64, — Considération que méritent le corps et le sang- 
du Christ, 66. — Rapprochement d'autres passages de I Co- 
rinthiens, d'abord, v, 7 è-8, 67. — Dans x, 1-22, les sacre- 
ments du désert et la comparaison de la communion eucha- 
ristique avec les sacrifices païens, 67. — Age de ces dernières 
considérations, 69. 

III. — Deux constatations que permet de faire l'intrusion 
du cantique de l'amour (xiii) dans l'instruction sur les cha- 
rismes (xii, xiv), 69. — Une hypothèse sur l'origine de ces do- 
cuments, 69. — Les deux sutures qui dénoncent l'interpo- 
lation, xiii, 70. — Les quatre strophes du cantique, 70. — 
Le supplément qu'on y a voulu ajouter (xiii, 13), 72, — Ce 
qu'avait voulu l'auteur anonyme duj cantique, 72. — A quel 
temps rapporter l'instruction sur les dons spirituels et leur 
réglementation, 72. — L'interpolation (xrv, 33 è-35) par 
laquelle il est interdit aux femmes de prendre la parole dans- 
l'assemblée de la communauté, 73. — Age probable de cette 
interpolation et de l'instruction sur le voile des femmes, 73. 

IV. — L'instruction sur la résurrection du Christ et des 
morts. Une hypothèse sur l'origine et la date de l'instruction. 
Redressement de cette hypothèse quant à la date, 74. — A 
qui en veut le rédacteur principal, 74. — L'avertissement aux 
lecteurs (xv, 1-2), 75. — Ce qu'atteste la tradition touchant 
le motif de la mort du Christ (xv, 3), 75. — Touchant sa 
sépulture et sa résurrection (xv, 4), 76. — Les apparitions à 
Céphas et aux Douze (xv, 5), 76. — L'apparition aux cinq 
cents frères (xv, 6). 77. — Les apparitions à Jacques et à tous 



TABLE DES MATIÈRES 199 

les apôtres (xv, 7), 77. — L'apparition à Paul ; ce que celui-ci 
dit de lui-même et du témoignage commun (xv, 8-11), 78. — 
Gomment le rédacteur entend la résurrection. Si les morts ne 
ressuscitent pas,Christ non plus n'est pas ressuscité (xv, 12-19), 
79. — L'économie de la résurrection et du salut. Les deux 
Adam (xv, 20-22), 79. — Les étapes de la résurrection et du 
salut (xv, 23-28), 79. — Arguments contre les négateurs de 
la résurrection. Le baptême pour les morts (xv, 29), 81. — 
A quoi bon les labeurs de l'apostolat ? (xv, 29-34), 81. — 
La comparaison du grain et son application (xv, 35-44), 81. — 
Le document fondamental ; la thèse des deux Adam et l'œuvre 
vivifiante de l'Adam spirituel (xv, 45-51, 53-58), 82. — Date 
de la composition, 84. 

Chapitre IV. — Autres Epitres de Paul 85 

Il s'agit des Epîtres qui étaient dans le recueil de Marcion, et 
de l'Epître aux Hébreux, 85. 

I. — Caractère particulier de I Tkessaloniciens, it, 1-16, 85. 

— Simples questions aux défenseurs de l'authenticité, 86. 

— L'interpolation de m, 2 6-5 a, 87, — Trois instructions 
morales à discerner dans iv-v, 87. — Examen spécial de iv, 
13-14, 17-18, 88. — - La glose eschatologique de iv, 15-16, 89. 

— Composition de II Tkessaloniciens, 89. — La dissertation 
sur le retardement de la parousie et la manifestation de l'Anti- 
christ, II, 1-12, 90. — L'instruction sur le travail, ni, 6-12, 90. 

II. — L'Epître aux Philippiens. Le poème christologique, 
H, 6-11, 91. — L'économie du poème et son arrière-plan 
mythologique, 92. — La composition de l'Epître. Les deux 
lettres de Paul, 93. — Part d'enseignements conçus dans un 
courant de gnose mystique, 94. — Le rapport du poème chris- 
tologique avec la partie mystique de l'Epître, 94. — L'Epître 
aux Colossiens. Le poème christologique de i, 15-20, 95. — 
La restauration du plérôme, 96. — Ce qu'en dit Ephésiens, i, 
19-23, 97. — La gnose de Colossiens et son rapport avec le 
poème, 98. — Dénonciation (ii, 16-23) d'un culte mystique 
en affinité avec le judaïsme, 99. — L'attribution de Colos- 
siens à Paul semble résulter d'un artifice de rédaction, 100. 

— Le message confié à Tychicus (iv, 7-11), 100. — Un mot 
sur l'Epître à Philémon, 101. — Origine et composition de 
l'Epître dite aux Ephésiens, 101. 

III. — L'Epître aux Hébreux. Discussion de passages per- 
mettant d'établir l'âge de la composition, 103. — Son rapport 
avec la tradition évangélique, 104. — Comment l'auteur dis- 
tingue sa gnose du catéchisme commun de l'initiation chré- 
tienne, 105. — Le préambule de l'Epître (i, 1-4). Les éons, 106. 

— Le Fils et les anges, 107. — Comment Melchisédech a été le 
type unique de l'unique sacerdoce qui appartient au Fils de 
Dieu, 108. — Le sens exact du symbole et son application au 
Christ, 109. — Le rite lévitique de la grande Expiation et 



200 TABLE DES MATIÈRES 

l'acte sacerdotal par lequel le Fils a porté, une fois pour toutes, 
son sang dans le sanctuaire céleste, 110. — Comment l'auteur 
comprend la foi et la résurrection, 112. — Artifice rédactionnel 
(xiii, 19, 23-24) de l'attribution à Paul, 112. — Date probable 
de la composition, 113. 

Chapitre V. — Epîtres pastorales et Epîtres catholiques, 114 

Il s'agit des deux Epîtres à Timothée et de l'Epître à Tite, 
des deux Epîtres de Pierre, de celle de Jacques et de celle de 
Jude, 114. 

I. — Apparentement des trois Pastorales. La mention des 
Antithèses de Marcion dans I Timothée, vi, 20, 114. — L'em- 
phase des suscriptions et le modalisme de certaines formules, 

115. — Difficulté de voir quels hérétiques sont visés dans i, 3-17, 

116. — La recommandation de prier pour les personnes consti- 
tuées en dignité, et la profession de foi au Dieu unique, 117. — 
Noter, dans les conseils moraux (ii, 8-10, 15 a), l'interpolation 
qui oblige les femmes à recevoir l'enseignement en silence (ii, 
11-15 a), 117. — Interpolation plus considérable dans l'instruc- 
tion sur le choix des évêques et des diacres : le poème christolo- 
gique (m, 10), 118. — La dénonciation des hérétiques (Mar- 
cion, IV, 1-5), 119. — Les compléments rédactionnels de l'ins- 
truction concernant les veuves, 119, — Les honoraires dus 
aux « presbytres qui président bien », 119. — L'adjuration 
« devant Dieu, Christ Jésus et les anges élus » (v, 20), 120, — 
Monition complémentaire contre les ordinations précipitées 
(v, 22, 24) ; le vin de Timothée (v, 23), 120. — Autre complé- 
ment : l'adjuration solennelle à Timothée {vi, 13-16) de garder 
le dépôt, 120. — Age et caractère de l'instruction fondamen- 
tale, 121. — II Timothée. lue thème général et les renseigne- 
ments personnels (l'hypothèse de billets authentiques), 122. — 
La mère et l'aïeule de Timothée (i, 5), 122. — Le billet concer- 
nant Onésiphore (i, 15-18), 123, — Les réflexions sur le salaire 
de l'apôtre (ii, 6-7), 123. — Ceux qui disent que la résurrection 
est arrivée (ii, 16-18), 123, — Les engeôleurs de femmes (m, 
6-9), 123. — Avantage et prix des Ecritures (m, 15-17), 124. — 
Les dernières communications personnelles à Timothée (iv, 9- 
16, 19-21), 124, — L'Epître à Tite fondée sur un faux supposé, 
125, — Doublet des Epîtres à Timothée, 125. — Probable inau- 
thenticité du billet personnel de la fin (m, 12-15), 126, — 
Les deux rédactions des Pastorales, 126. 

IL — La Première de Pierre, Sa dépendance à l'égard des 
Epîtres de Paul, 126. — Ce qu'on peut déduire de la suscrip- 
tion (i, 1-2), 126, — Echantillon du style et de la doctrine 
(i, 18-21), 127, — Ce que l'auteur dit de la passion du Christ 
(il, 21-25), 127, — Un petit morceau de gnose sur la résurrec- 
tion du Christ et la prédication qu'il alla faire « aux esprits qui 
étaient en prison » (m, 18-22), 128, — La prédication du Christ 
aux morts de l'humanité passée (iv, 4-6), 129. — Appréciation 



TABLE DES MATIÈRES 201 

du mythe, 130. — Comment l'auteur soutient son person- 
nage apostolique et paraît s'inspirer de l'Apocalypse et de 
l'Evangile apocryphes de Pierre (v, 1-4), 130. — Les indications 
finales (v, 12-14) sont une fiction réductionnelle pour authen- 
tiquer l'Epître, 131. 

III. — La Seconde de Pierre. Ce que l'on peut déduire de la 
suscription (i, 1-2), 131, — Dans la perspective prochaine de 
la mort que lui a annoncée le Christ, Pierre dit comment 
il a été témoin oculaire de son exaltation (i, 12-21), 132. — 
Portée antignostique de la déclaration, 133. — Rapport 
immédiat de cette déclaration, prise dans son ensemble, 
avec l'Apocalypse de Pierre, 134. — Rapport singulièrement 
significatif de cette Apocalypse avec ce qu'on est accoutumé 
d'appeler la tradition évangélique, 135. — La seconde partie 
de l'Epître, contre les docteurs gnostiques (ii), et son rapport 
avec l'Epître dite de Jude, 136. — Dénonciation spéciale, 
dans la troisième partie (m, 1-13), des sceptiques qui tournent 
en dérision l'attente de la parousie (m, 1-13), 136. — Dans la 
moralité finale (m, 14-18), mention expresse des Epîtres de 
Paul, 136. — Comment l'Epître a échappé au discrédit où 
tomba bientôt l'Apocalypse de Pierre, 137. — La suscription de 
l'Epître dite de Jude (1-2), 137. — Objet de l'Epître (3-23) : 
dénonciation des docteurs gnostiques, 138. — Les citations de 
l'Assomption de Moïse (9-10) et du Livre d'Hénoch (14-15), 138. 
— Signification générale et date probable du document, 138. — 
L'Epître dite de Jacques. Sa suscription (i, 1), 138. — Cri- 
tique la doctrine de Paul sur la justification par la foi seule 
(il, 14-26), 139. — Date probable de l'Epître, 139. 

Chapitre VI. — Témoignages intéressant Vhistoire des Epîtres . . 140 
Comment l'histoire des Epîtres, pour ce qui est de l'âge pré- 
canonique, n'est pas chose si simple qu'on le croyait jadis et que 
beaucoup le croient encore maintenant, 140. 

I. — Ce qu'on lit dans l'Apocalypse de Jean, lettres aux 
sept communautés (ii-iii) touchant une infection doctrinale qui 
y sévit, 141. — La lettre à Ephèse et les nicolaïtes (ii, 2-3, 6), 

141. — Le drame qui se joue dans les communautés d'Asie, 

142. — La lettre à Smyrne (ii, 9), 142. — La lettre à Pergame 
(il, 14), Balaam et Nicolas, 142. — La lettre à Thyatires (ii, 
20-25), la prophétesse Jézabel, 143. — La lettre à Sardes (m, 
1-4), 144. — La lettre à Philadelphie (m, 9), 144. — La lettre 
à Laodicée (m, 15-19), 144. — L'antagonisme des groupes 
chrétiens au temps de l'Apocalypse et la position respective 
de ces groupes, 144. — Comment se forma et évolua le dossier 
épistolaire de Paul, 145. — Bref aperçu de l'histoire de la 
collection canonique depuis Marcion, à confirmer par l'examen 
d'autres témoignages, 146. 

II. — Ce qu'on peut, à cet égard, inférer de l'Epître aux 
Hébreux, 147. — La dépendance de Clément à l'égard de 



202 TABLE DES MATIÈRES 

l'Epître aux Hébreux, 147. — Critique de l'opinion commune 
qui fait composer la lettre de Clément vers 95-96, 148. — Clé- 
ment et Hermas ; date probable de l'Epître de Clément, 150. 

III. — La lettre de Poly carpe aux Philippiens et les lettres 
ignatiennes. Singulière position des lettres d'Ignace devant la 
critique, 151. — Interpolation pratiquée au profit d'Ignace 
dans le préambule de la lettre de Polycarpe (t), 152. — Ce 
que signifie la mention d'Ignace dans le corps de la lettre (ix), 
153. — Interpolation pratiquée à la fin de la lettre (xiii) pour 
authentiquer par le témoignage de Polycarpe les lettres igna- 
tiennes, 154. — Interpolations correspondantes dans la lettre 
d'Ignace à Polycarpe (vii-viii), 154. — Ce qu'a voulu l'interpo- 
lateur, 155. — Ce que l'on peut inférer de cette constatation 
touchant la date des documents, 156. 

IV. — La double rédaction des lettres ignatiennes, 156. — 
Explication probable de la formule : « Ignace, qui est aussi 
Théophore », dans l'adresse des lettres ignatiennes, 157. — 
Examen du texte primitif et des surcharges rédactionnelles. 
La suscription de la lettre aux Ephésiens, 157. — Théophore 
est un mystique de l'épiscopat, 158. — Remarque sur Ephé- 
siens, VII, 158. — Remarques sur Ephésiens, xvii (l'onction 
sur la tête du Christ) et xviii (le baptême), 159. — Sur xix (les 
mystères de clameur et l'étoile merveilleuse), 160. — Ce que 
signifie r étoile, 160.— Rapport avec I Corinthiens, ii, 6-9, 161. 
— Autre interpolation dans Ephésiens, xx, 161. — Dans Magne- 
siens, viii, Théophore répudie « le judaïsme », 162. — Ignace 
exalte les prophètes, en faisant allusion au système de Valen- 
tiir, 1 627 ^^ Cette fois, il y a présomption que Théodare est 
marcionite et condamne dans « le judaïsme » le christianisme 
commun, 163. — Présomption confirmée Magnésiens, ix, où 
Ignace ramène encore les prophètes, 163. — Nouvelle con- 
firmation dans Magnésiens, x et xi, nonobstant la surcharge 
introduite dans xi, par Ignace, 164. — Les deux couches 
rédactionnelles de Tralliens, ix, 164. — Assertion marcionite 
dans Romains, m : « Rien de ce qui est visible n'est bon », et 
IV, 165. — Discussion de Philadelphiens, viii, 165. — Rectifi- 
cation d'Ignace dans ix, 166. — Prouesses du rédacteur dans 
Smyrniotes, i-iii, 166. — Ce que Théodore paraît dire du ma- 
riage dans Polycarpe, v, et ce qu'il pourrait bien vouloir dire, 
en effet, 167. — L'âge des deux rédactions, 168. — La menta- 
lité du rédacteur catholique, 169. 

Chapitre VII. — Conclusions 170 

Opportunité d'intégrer ces conclusions dans l'histoire du 
mouvement chrétien, 170. 

I. — Jésus et Jean. Le ministère de celui-ci et sa mort, 171. 
— L'initiative de Jésus. La réalité de son ministère et ce 
qu'on appelle tradition évangélique, 171. — Le baptême 
chrétien et le baptême de Jean. Critique de Matthieu, xxviii, 



TABLE DES MATIÈRES 203 

19, 172. — Le témoignage des Evangiles et des Actes. Le bap- 
tême de Jésus par Jean, mythe d'institution du baptême 
chrétien, 173. — Le témoignage du quatrième Evangile, 174. 
— Le témoignage des Actes, 174. — Le fait historique, 175. — 
Pourquoi Jésus a voulu porter son message à Jérusalem,176. — 
Le rajustement de la foi en Jésus chez les disciples galiléens, 
177. — Les croyants hellénistes et l'affaire d'Etienne, 177. ■ — 
L'activité des croyants hellénistes pour la propagande chré- 
tienne, 178. — La lettre de Claude aux Alexandrins, en l'an 41, 
et le véritable caractère de la propagande chrétienne, 179. — 
L'adhésion de Paul au christianisme, 179. — Sa participation 
à la mission de Syrie-Cilicie et .à l'assemblée de Jérusalem où 
fut réglée la question des observances légales, 180. — L'acti- 
vité de Paul missionnaire indépendant, 181. — La légende de 
Pierre dans les Actes, 181. — Ce que pourrait signifier sa ren- 
contre avec Simon le Magicien à Samarie, 182. — Le procès de 
Paul et la situation juridique du christianisme devant l'auto- 
rité romaine jusqu'à la fin du second siècle, 183. 

IL — Les lettres et billets authentiques de Paul, 185. — 
Si ces lettres étaient « squelettiques », et dans quelles condi- 
tions elles semblent avoir été conservées, 187. — Gomment 
y furent adjoints des compléments et des Epîtres supposées, 
188. — Ces additions se sont faites successivement et au cours 
d'un assez long temps, 189. — Pourquoi les compléments sont 
anonymes et les Epîtres pseudonymes, 189. — La même expli- 
cation vaut pour les Epîtres pastorales et pour les Epîtres 
catholiques, 190. — Les Epîtres dé PauF ont été d'àbôrd 
combattues et leur crédit a été longtemps limité, 192. — Si 
l'impression générale que donnent les grandes Epîtres est une 
preuve de leur unité et de leur authenticité, 193. — Si et com- 
ment nos conclusions sont des impressions personnelles, 194. 



1484. — Impr. Jouve et Cie,15, rue Racine, Paris. — 10-35 





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